Covid-19 : « On peut faire baisser la population carcérale »
Comment les prisons françaises gèrent-elles la crise sanitaire ? Mal, d’après le Syndicat des avocats de France, qui lance l’alerte et appelle à réduire d’urgence la surpopulation des prisons. Amélie Morineau, avocate au barreau de Paris et membre du SAF, est revenue pour les Petites Affiches sur les risques et les difficultés auxquels font face les établissements pénitentiaires en cette période de confinement.
Les Petites Affiches : Pourquoi la situation des prisons vous inquiète-t-elle ?
Amélie Morineau : Cette crise sanitaire exceptionnelle menace particulièrement dans tous les espaces clos.Les consignes prescrites par le ministère de la Santé sont impossibles à respecter dans un contexte de promiscuité. Or plusieurs prisons d’Ile-de-France — Villepinte, Bois d’Arcy, Fresnes — comptent un taux d’occupation de 180 %. Cela engendre des conditions de promiscuité parfaitement contraires aux consignes de distanciations sociales répétées par le gouvernement. S’ajoutent à cela des conditions d’hygiène déplorables dans les vieux établissements. Il y a un certain nombre d’établissements dans lesquels il n’y a pas de sanitaires. Cela est d’autant plus préoccupant qu’il y a, en prison, beaucoup de personnes considérées comme à risque : des personnes âgées, fragiles, qui souffrent de maladies chroniques.
LPA : Quelles ont été les mesures prises dans les prisons ?
A. M. : Pour respecter le confinement, la principale réponse a été la suppression des activités collectives : le scolaire, la formation, le travail, le sport, les activités socioculturelles. Certains établissements organisent une douche par jour au lieu d’une douche tous les deux jours. En réalité, on tend davantage la situation. Les détenus se retrouvent à trois dans une cellule, avec un qui dort sur un matelas par terre, à sortir qu’une heure par jour en promenade. Ils passent les 23 heures restantes enfermées les uns sur les autres. Tout cela sans gel hydroalcoolique puisque l’alcool est interdit en prison, et sans masque, même s’ils ont des symptômes, car il est interdit de cacher son visage en détention. Il n’y a pas d’aménagement possible quand vous avez 1 000 détenus pour 500 places. Le seul moyen d’aménager l’espace est de faire sortir les 500 personnes de trop. Nous préconisons que les établissements reviennent au taux d’occupation initialement prévu dans les établissements. Il faut revenir à l’incarcération en cellule individuelle qui, soit dit en passant, est en principe la norme.
LPA : Le SAF rappelle qu’en Italie, la fermeture des parloirs le 9 mars a entraîné des mutineries entraînant la mort de 12 détenus et laissant 40 surveillants blessés. Craignez-vous un tel scénario en France ?
A. M. : La crainte première n’est pas celle des mutineries. De fait, en supprimant les parloirs famille, qui sont les derniers liens avec les proches, vous créez les conditions d’une extrême tension. Ce qu’on redoute par-dessus tout, c’est l’entrée du virus dans les centres de détention. Il n’y a pas de raison que cela n’arrive pas, puisqu’on nous dit que 60 % de la population finira par l’avoir ! Compte tenu de la circulation rapide à l’extérieur, on peut imaginer que cela va devenir dramatique en détention. Avec une prise en charge sanitaire qui, malgré les immenses efforts des personnels de santé au sein des établissements pénitentiaires, n’est pas équivalent à ce qu’on connaît à l’extérieur.
LPA : Comment vous viennent les informations ?
A. M. : Nous, avocats, n’allons plus en prison depuis que l’on nous a indiqué qu’il fallait respecter les consignes de distanciation. Les parloirs avocats ne sont pas adaptés pour cela. Nous avions moins peur pour nous que pour les détenus, car nous pouvions être porteurs asymptomatiques et faire rentrer le virus en détention. Les informations nous proviennent désormais des familles, quand les détenus ont encore accès à la cabine téléphonique pour les appeler. Elles nous viennent également des magistrats, des surveillants pénitentiaires, des intervenants extérieurs qui continuent à se rendre dans les établissements.
LPA : Comment les avocats travaillent-ils avec leurs clients en détention ?
A. M. : De nombreuses audiences sont annulées mais un certain nombre d’entre elles continuent d’avoir lieu. On ne sait pas comment faire pour les préparer avec nos clients, que nous ne pouvons plus voir. Nous demandons que les téléphones soient gratuits en détention afin que nos clients puissent nous contacter en cette période très particulière. Nous n’avons pour le moment aucun retour, ni de l’administration pénitentiaire ni de la Chancellerie. D’autre part, la loi nous impose de déposer nos requêtes en mains propres ou en lettre recommandées, mais celles-ci ne sont plus distribuées.
LPA : Y a-t-il déjà des prisonniers infectés par le Covid-19 ?
A. M. : À l’heure où je vous parle (le 17 mars 2020) seul un détenu a été testé positif au Covid. Il est décédé. Pour contenir l’épidémie, une centaine de détenus, considérés comme à risques, sont confinés ensemble dans une aile du bâtiment, à l’écart du reste de la détention. Il y a certainement d’autres détenus porteurs du virus mais comme personne n’est testé, nous n’avons pas ces données.
LPA : Quelles sont les solutions pour prévenir la contagion ?
A. M. : Globalement, il faut limiter les entrées en détention et favoriser les sorties. Dans les faits, cela veut dire sortir de prison tous ceux qui peuvent l’être : les personnes placées en détention provisoire pour des faits délictuels, celles qui bénéficient de garantie et qui se représenteront devant la juridiction, celles qui n’avaient pas d’antécédents, qui ont des garanties. Tous ceux-là doivent pouvoir être placés sous contrôle judiciaire. Il faut faire sortir tous les mineurs qui sont là pour quelques semaines – la moyenne d’emprisonnement des mineurs est de deux mois –. Il faut également permettre les suspensions de peine pour tous ceux qui présentent des profils à risque d’un point de vue sanitaire. Il faut, de l’autre côté, limiter les entrées en détention en limitant le prononcé des mandats de dépôt aux cas les plus extrêmes. Un certain nombre de juridictions sont en train de s’organiser dans ce sens.
LPA : Que font les juridictions ?
A. M. : Alors que de nombreuses audiences ont été annulées, à Créteil, les débats continuent de se tenir en détention pour permettre le prononcé d’aménagements de peine. À Paris, les magistrats aménagent les courtes peines en détention, sans débat devant le juge et sur étude de dossier. À Nantes, les juges d’instruction ont commencé à s’auto-saisir pour permettre le placement sous contrôle judiciaire de ceux qui aujourd’hui étaient en détention provisoire. À Bobigny les débats sont maintenus mais se déroulent en visio-audience. La difficulté est qu’il n’y a aucune unité, aucune communication nationale. Il nous revient de joindre chaque juridiction – un challenge en ce moment – pour obtenir des informations.
LPA : Vous donnez l’alerte. Êtes-vous entendus ?
A. M. : Ce n’est pas le sens des communications de la garde des Sceaux, qui a pris une circulaire mi-mars en rappelant aux magistrats les outils à leur disposition pour mettre en place des aménagements de peine sans débats contradictoires, donc sans tenir d’audience. Dans le même temps, elle disait qu’il fallait veiller à une incarcération dans des conditions dignes. Je ne sais pas ce que cela veut dire ! La Chancellerie se refuse à prendre une circulaire de politique pénale qui donnerait une position claire à l’ensemble des juridictions. Elle laisse à chacune le soin de choisir sa propre politique.
LPA : Pensez-vous qu’en pleine crise, on puisse régler la situation des prisons ?
A. M. : Oui. J’ai espoir qu’on règle la situation pendant la crise car les outils pour faire baisser la population carcérale existent. Même lorsque les audiences sont annulées, il est possible d’aménager les peines sur études du dossier des détenus, en prenant en compte leurs garanties, leur comportement. On nous répète depuis des années que les aménagements de peines sont là pour redonner du sens à la peine et prévenir la désocialisation des personnes condamnées à de courtes peines. C’est maintenant qu’il faut prouver qu’on est capables de le faire à grande échelle. J’espère qu’on y arrivera et qu’on ne généralisera pas au contraire des dispositions exceptionnelles auxquelles on a recours en cette période de confinement. Je m’inquiète que la généralisation de la visio-audience rendue nécessaire par la situation actuelle, devienne une facilité que l’on cherche à étendre à l’issue de cette crise.
LPA : Pensez-vous que cette crise puisse être l’occasion d’une prise de conscience ?
A. M. : J’ai bien peur que la Chancellerie ait parfaitement conscience de la situation et ait choisi de ne pas en tenir compte. La France a été condamnée au mois de janvier dernier par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a considéré que laisser des gens dans des maisons d’arrêts aussi surpeuplées que les nôtres constituait un traitement inhumain et dégradant. Cette instance dit sans la moindre nuance que les prisons sont des lieux de torture, et combien la France viole la Convention européenne des droits de l’Homme. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait exactement les mêmes demandes. Trois mois après cette condamnation, rien n’a changé.