Dans le nouvel État des devoirs, on légifère pour « emmerder » les mauvais citoyens !

Publié le 05/01/2022

La déclaration mardi du président Emmanuel Macron dans Le Parisien selon laquelle il entendait « emmerder » les non-vaccinés a déclenché une importante polémique. Alors que le Parlement examine actuellement le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire, Me Michèle Bauer voit dans la création du passe vaccinal inscrite dans ce texte un nouveau recul de l’état de droit. L’efficacité de la lutte contre l’épidémie serait à ce prix. Mais où sont les preuves que ces mesures sont efficaces ? Surtout, qu’est-ce qui justifie de porter des atteintes aussi graves à tant de libertés fondamentales ? Que l’on soit pour ou contre le passe vaccinal, ces questions méritent d’être posées. 

Dans le nouvel État des devoirs, on légifère pour "emmerder" les mauvais citoyens  !
Photo : ©AdobeStock/Romain Talon

Emmanuel Macron, Président de la République, a déclaré hier dans une interview au Parisien : « Eh bien là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » et aussi « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen » (1).

Ces propos sont choquants non seulement car le Président de la République est le Président de tous les français, vaccinés ou non, mais surtout parce que si les non vaccinés « emmerdent » le Président, il ne peut s’en vouloir qu’à lui-même et à son gouvernement.

Le choix  a été laissé aux français : se vacciner ou faire des tests avec le passe sanitaire.

En France, il n’existe, en effet, aucune obligation vaccinale contre la covid, mais le gouvernement a pris le parti  de mettre en place des mesures qu’il qualifie de sanitaires, portant atteinte à diverses libertés comme la liberté d’aller et venir ou la liberté du travail. Le passe sanitaire et bientôt le passe vaccinal en sont les tristes illustrations.

Le Passe sanitaire a été mis en place par la loi du 5 août 2021 et validé par le Conseil Constitutionnel qui a considéré : «  les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination. Ainsi, ces dispositions n’instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. »

Le passe vaccinal n’est pas une obligation vaccinale, selon le Conseil d’Etat

Le passe vaccinal est discuté au Parlement cette semaine.

C’est une mesure qui, comme son petit frère le passe sanitaire, porte atteinte aux libertés ; elle se révèle par ailleurs encore plus discriminatoire.

Pourtant, le Conseil d’Etat n’a rien trouvé à y redire et donné sa bénédiction.

Comme le note le Professeur Roseline Leterron sur son blog « Liberté, libertés chéries » : « Une nouvelle fois, le Conseil d’État, dans son avis, refuse de considérer l’obligation de détenir un « passe vaccinal » comme une obligation vaccinale, refus qui va certainement décevoir les opposants à ces documents car il s’agit de l’un de leurs arguments essentiels. Le Conseil reconnaît toutefois qu’il s’agit d' »établir une contrainte conduisant la plupart de ces personnes à se faire vacciner ».

Hors de nos frontières, pas si loin de nous, en Tunisie « Amnesty International demande aux autorités tunisiennes de surseoir l’application d’un décret présidentiel. Celui-ci rend obligatoire à partir de mercredi le passe vaccinal contre le Covid-19 dans les secteurs public et privé. Selon l’ONG de défense des droits humains ce texte « viole les droits ». »(Info TV5 Monde).

En France, parions que si le Conseil constitutionnel est saisi sur la question du passe vaccinal, ce qui n’est pas certain, ce-dernier le validera. Il faut donc faire le deuil de ces juridictions (Conseil d’Etat et Conseil constitutionnel) qui ne sont plus les garantes de nos libertés et presque se résigner.

Tout contraint à se taire en effet depuis l’incurie de ces hautes juridictions jusqu’à la passivité de la majorité des citoyens mais aussi des avocats, de mes Confrères.

Critiquer est devenu trop risqué. Se hasarde-t-on à suggérer que certaines mesures sont inadaptées et disproportionnées, très vite l’étiquette « d’anti-vax », « d’anti passe » nous est attribuée. Et tant pis si les non-vaccinés deviennent les bouc-émissaires de cette pandémie, permettant opportunément de dissimuler la gestion souvent contradictoire et discutable de cette crise sanitaire guidée essentiellement par l’obsession de sauver l’économie au péril de nos libertés les plus fondamentales.

J’ai déjà reçu deux doses, mon rappel est programmé pour cette semaine. En tant qu’avocate je n’appartiens ni au camp des pro-vaccin ni à celui de leurs adversaires, mon seul « camp » c’est le droit. Mais sa voix est de plus en plus difficile à faire entendre, tant il est difficile d’évoquer, sereinement, cette question désormais « clivante » . Pour plusieurs raisons.

D’abord, la covid concerne tous les avocats personnellement et renvoie chacun à ses angoisses.

Un débat monopolisé par la médecine et pollué par les extrêmes

Le gouvernement a très bien compris comment effrayer la population en brandissant régulièrement le confinement qui en a traumatisé plus d’un, particulièrement dans notre profession mise à l’arrêt durant plusieurs mois,  après une grève historique de deux mois.

Quand il est question de ce virus, il est question de mort, de maladie, de perte possible de proches.

Ensuite, lorsqu’il s’agit des demandeurs d’asiles ou des fils ou filles d’immigrés victimes de discrimination à l’embauche, des conditions indignes de détention, beaucoup se lèvent, c’est un combat noble et respectable, non clivant dans notre profession. Mais ici, la défense des libertés en temps de covid est récupérée par les extrêmes. Certains estiment que partager leurs constats revient à les soutenir.

Surtout, le sujet est monopolisé par la sphère médicale qui, seule, semble dotée de la légitimité de s’exprimer.

L’interdiction est formelle, on ne critique pas les mesures sanitaires qui sont aussi des restrictions de libertés lorsque l’on n’est pas docteur (en médecine bien entendu).

Toutes les mesures « sanitaires » primeraient donc sur toutes les libertés et les droits. Comme l’a dit notre Président dans son allocution des vœux : « Les devoirs passent avant les droits » mettant à mal la Constitution et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

L’État de droit n’est plus, vive L’État des devoirs et de la responsabilité collective pour notre Président.

Le passe vaccinal qu’examine cette semaine le Parlement dans le cadre du  projet de loi  renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire est un justificatif de vaccination complet qui conditionne l’accès aux loisirs, au lieux de restauration et, pour certains, même à leur  travail. En cela il se distingue du passe sanitaire qui laissait le choix entre un justificatif de vaccination et un test négatif de 24h. Le passe vaccinal n’est pas une obligation vaccinale, nous affirme-t-on. Toutefois, le Ministre de la santé a déclaré qu’il s’agissait d’une obligation vaccinale déguisée.

Exclusion sociale totale

Les personnes ne souhaitant pas se faire vacciner seront donc exclues socialement de toutes activités, et le pire de tout, elles pourront être suspendues de leur emploi (pour les salariés travaillant dans des établissements recevant du public) et se retrouver sans revenus, ne pouvant plus faire de tests tous les jours pour justifier de leur passe.

A l’heure de ce nouveau variant « omicron » qui serait très contagieux mais moins dangereux que le delta, il est donc instauré un passe vaccinal alors que les médecins (oui ceux des plateaux TV) s’accordent tous pour concéder que le vaccin ne préserve pas de la contagion.

Pour ce qui est des formes graves, des études sérieuses provenant d’Afrique et du Royaume-Uni démontreraient qu’il y en aurait très peu avec ce variant et, par voie de conséquence, très peu de réanimations aussi (Nicolas BERROD  journaliste au Parisien, sur son fil twitter informe régulièrement sur cette question). La tension dans les hôpitaux serait donc due au variant delta, sans oublier (pour certains) les  « covidiots », surnom très élégant attribué aux non-vaccinés sur les réseaux sociaux. A quoi sert donc ce passe vaccinal ? Permet-il de limiter la propagation du virus et donc de limiter la contagion des non-vaccinés qui risqueraient les formes graves – qui ne sont pas si graves que cela –  avec le variant omicron ?

Ce passe vaccinal s’avérera sans doute totalement disproportionné, tant le projet de loi qui l’instaure s’appuie sur de trop maigres données relatives au variant Omicron qu’il prétend par ailleurs combattre. Le pire est sans doute qu’avec le passe sanitaire, ceux qui œuvraient le plus contre la propagation du virus étaient les non-vaccinés qui se faisaient tester pour sortir déjeuner ou diner au restaurant.

Ce passe vaccinal est aussi discriminatoire car dans une situation identique le non-vacciné sera moins bien traité que le vacciné.

Prenons l’exemple du travail, un non-vacciné, serveur, qui ne souhaitera pas se faire vacciner verra son contrat suspendu, tandis que dans le même restaurant, son collègue vacciné, pourra travailler. Le passe sanitaire permettait dans cette hypothèse au non-vacciné de travailler avec un test négatif. On justifiera cette discrimination par la nécessité de santé publique, mais quelle est-elle avec ce nouveau variant ? Est-ce vraiment proportionné ?

L’accès aux loisirs, à la culture sera également impossible pour ces non vaccinés alors qu’ils pouvaient y accéder avec des tests négatifs. Or, les loisirs, la culture en cette période de fatigue pandémique constituent un « bien essentiel ». Les bouc-émissaires de cette crise ne pourront pas s’instruire, se cultiver et resteront donc covidiots ?

Et que dire de l’exigence de ce nouveau passe pour les grands déplacements, en TGV notamment ? Outre l’atteinte à la liberté d’aller et venir et à celle du travail, on peut citer l’atteinte au droit de vote. Beaucoup de jeunes, étudiants pour la plupart sont inscrits sur les listes électorales de la ville de résidence de leurs parents chez qui ils vivent hors période universitaires. Certains étudient loin de chez eux. S’ils ne sont pas vaccinés, ils ne pourront prendre les TGV, les avions pour rentrer voter pour les présidentielles du mois d’avril 2022. Voilà qui devrait faire  réfléchir nos politiques à la recherche de ces voix de jeunes qui ont trop  tendance à s’abstenir.

Les mesures sanitaires dans les transports ne se limitent donc pas à la caricature du sandwich SNCF que l’on ne pourra plus savourer tranquillement sans masque selon les propos du Premier Ministre, propos qui n’ont pas été suivis d’un quelconque décret et pourtant, il y aurait une interdiction de « manger » mais qui sera appliquée « avec discernement ». Une règle qui n’est inscrite nulle part sera donc appliquée par les agents SNCF, c’est lunaire !

La liberté est le principe, les atteintes à celle-ci l’exception

Ce que l’on est en passe d’oublier avec ces lois d’exception prétendant gérer aux mieux la crise sanitaire, c’est une règle fondamentale dans un état de droit, justement rappelée par le professeur Muriel Fabre Magnan  :  « S’il est une chose certaine en régime démocratique, c’est que la liberté est le principe et les atteintes à la liberté l’exception. Les règles juridiques qui encadrent ces atteintes à la liberté sont très claires et incontestables : nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés fondamentales des restrictions qui ne seraient pas tout à la fois justifiées et proportionnées par rapport au but recherché. »

Pour conclure, la CNIL s’est inquiétée lorsque le passe sanitaire a été mis en place (avis du 12 Mai 2021) et a précisé : «  (..)le maintien du dispositif doit être limité à la durée strictement nécessaire à la réponse à la situation sanitaire exceptionnelle et devra, en tout état de cause, prendre fin dès que cette nécessité disparaîtra.

La CNIL demande donc que l’impact du dispositif sur la situation sanitaire soit étudié et documenté de manière fréquente, à intervalles réguliers et à partir de données objectives, pour aider les pouvoirs publics à décider ou non de son maintien et demande à ce que ces éléments lui soient transmis. »

La CNIL ne semblerait pas avoir reçu les études sur l’impact du dispositif du passe sanitaire. On peut douter de son efficacité sur la propagation du virus eu égard au pic que nous rencontrons aujourd’hui. Si le passe sanitaire n’a pas été si efficace, comment un passe vaccinal qui exclut les tests négatifs pourrait-il l’être ?

Doit-on sacrifier ainsi aussi  gravement nos libertés et droits fondamentaux ?

Pour le Président, le sacrifice en vaut la chandelle à partir du moment où la loi « emmerde » les non-vaccinés, tout un programme en cette période électorale…

 

(1) NDLR : Au vu de la polémique déclenchée par cette phrase, nous avons jugé utile de la replacer dans son contexte.

Dans le nouvel État des devoirs, on légifère pour "emmerder" les mauvais citoyens  !