Développer la visioconférence pour préserver le confort des riverains ?
À la demande de Geoffroy Boulard, maire du 17e arrondissement, le garde des Sceaux Gérald Darmanin se serait engagé à privilégier la visioconférence au tribunal de Paris pour réduire les nuisances sonores.

« À la demande du maire du XVIIe arrondissement, le ministre de la Justice Gérald Darmanin s’est engagé à privilégier la visioconférence pour les procès au tribunal de Paris afin de réduire les nuisances sonores liées aux sirènes » révèle un article du Parisien publié ce vendredi aux alentours de 16 heures. Les nuisances en question, ce sont les sirènes de l’administration pénitentiaire lors des transferts de détenus depuis la prison jusqu’au tribunal. Nul ne doute que celles-ci constituent une nuisance sonore, au même titre, au demeurant, que celles du SAMU ou des pompiers. S’il est vrai qu’on n’a pas encore inventé le transport sanitaire en visioconférence, ni la gestion des incendies, en revanche, la justice développe depuis une trentaine d’années, l’utilisation de cette technologie pour les témoignages dans les procès (experts, policiers, proches…) et aussi pour les mis en cause lorsqu’ils doivent être entendus par un juge et, de façon exceptionnelle, dans le cadre d’une audience de jugement correctionnelle (mais jamais criminelle).
La tranquillité des riverains au-dessus des droits fondamentaux ?
Que le maire réclame pareille mesure, cela peut s’entendre. Que le ministre de la Justice y réponde favorablement, en revanche, interroge. D’abord, parce que cela signifie qu’il place la tranquillité des riverains au-dessus des droits fondamentaux. La visio dans les tribunaux fonctionne mal, la plupart du temps, le son est aussi mauvais que l’image. Son utilisation, au demeurant strictement encadrée par la loi- ne peut donc qu’être un pis-aller, ce d’autant plus que rien ne remplace une rencontre physique, surtout quand les enjeux sont aussi graves que dans une procédure pénale. Même si le Conseil constitutionnel et le Conseil d’état ont validé de multiples élargissements de ses cas d’utilisation, au nom du principe d’une bonne administration de la justice – traduction : pour faire des économies -, le premier a encore rappelé récemment que la visio ne pouvait devenir la règle.
La déclaration du ministre surprend aussi parce qu’il n’entre pas dans ses pouvoirs d’enjoindre aux magistrats d’opter pour la visioconférence. La décision, dans chaque dossier, leur appartient.
La visioconférence est déjà beaucoup utilisée
Enfin et surtout, parce que l’utilisation de la visioconférence est déjà à son maximum, en raison de l’insuffisance des effectifs de l’administration pénitentiaire. Depuis qu’elle est en charge des extractions, anciennement dévolues à la police nationale, elle oppose régulièrement aux demandes des magistrats des IDF, autrement dit des impossibilités de faire. Pas de personnel, pas d’extraction. Ceux-ci ont donc appris à utiliser la visio le plus souvent possible pour éviter de se heurter au refus de l’administration et se ménager la possibilité de voir les gens physiquement dans les cas les plus importants. Il n’y a donc, en pratique, aucune marge de progression dans le recours à la visio, ou alors très résiduelle. Gageons que cette annonce restera un vœu pieux. Mais elle laissera un goût amer. Car si l’on a avancé ces dernières années nombre de raisons plus ou moins audibles pour justifier ces rencontres par écran interposé et la déshumanisation qu’elles impliquent, nul n’avait encore jamais osé invoquer le confort sonore du voisinage.
Un moment unique dans l’histoire judiciaire
La chose n’est pas sans rappeler l’ordonnance du 27 novembre 2020, prise durant la crise sanitaire, qui prévoyait qu’en matière criminelle, à la fin de l’instruction à l’audience, l’accusé puisse comparaitre à son procès en visio. Fort de ce texte – provisoire – le président de la cour d’assises qui jugeait les accusés dans le dossier des attentats de janvier 2015 avait décidé qu’il en serait ainsi concernant le principal mis en cause, Ali Roza Polat, qui souffrait de la covid. Ainsi pourrait-on poursuivre et terminer ce procès déjà bien trop long (deux mois) sans perdre du temps à attendre qu’il se rétablisse. On avait vécu alors un moment unique dans l’histoire judiciaire : tous les avocats des parties civiles, sans aucune exception, avaient plaidé contre la poursuite du procès en l’absence du principal accusé, avant même que la défense n’ait eu besoin de s’en indigner. Et le président avait renoncé. L’ordonnance fut par ailleurs suspendue par le Conseil d’état quelques jours plus tard. À l’audience, une représentante de la Chancellerie avait expliqué qu’il fallait inventer de nouvelles méthodes de travail. Elle ne voyait visiblement aucune différence entre une réunion du bureau et un procès d’assises. Les avocats, si. Même à la fin d’un procès aussi lourd d’enjeux et traumatisant pour les victimes, et même dans une période exceptionnelle comme la crise sanitaire, ils avaient fait prendre conscience alors qu’on ne pouvait pas juger un homme poursuivi pour un crime en visio depuis sa cellule.
Faut-il désormais redouter qu’un jour, on propose une réforme similaire pour le seul confort des riverains du palais de justice ?
Référence : AJU500348
