Insolite : quand faire un doigt d’honneur devient un droit fondamental

Publié le 06/07/2023

Que risque-t-on à faire un doigt d’honneur ? Tout dépend…Notre spécialiste des décisions de justice étranges, Raphaël Costa,  s’est penché sur la question. Il a découvert que les juges traitaient le sujet avec un certain humour. Attention cependant, car c’est une affaire de circonstances.

Insolite : quand faire un doigt d’honneur devient un droit fondamental
Photo : ©AdobeStock/MichaelJBerlin

Si l’envie de tendre un majeur à vos voisins vous a déjà traversé l’esprit, vous allez adorer Dennis Galiatsatos, magistrat à la Cour du Québec.

Celui-ci eut à juger un Québécois poursuivi pour avoir, en mai 2021, adressé un double doigt d’honneur à son voisin afin de mettre un terme à leur énième altercation. S’estimant en danger de mort, l’intéressé a  appelé la police qui a procédé à l’arrestation de l’auteur dudit doigt. Ce qui a valu à ce-dernier d’être poursuivi pour « harcèlement et menaces ».

Le plaignant expliqua à la justice  que ses voisins l’espionnaient chez lui avec des caméras ; que l’accusé l’avait menacé de frapper ses parents âgés ; qu’il avait aussi manqué de l’écraser lui et sa famille en voiture ; et qu’enfin, le jour des faits, il avait menacé de l’égorger en passant son pouce sur son cou, avant de changer de doigt pour lui tendre celui du milieu !

Deux ans d’instruction plus tard, il s’avère que c’est en réalité l’accusé lui-même qui filme tout son quartier… Des caméras installées dans son jardin, sa voiture et celle de ses proches, captent tous les mouvements alentours. C’est d’ailleurs grâce à ces vidéos que le magistrat québécois a pu déterminer que l’auteur des faits allégués n’était autre que le plaignant lui-même, et que les vraies victimes étaient… ses voisins. Victimes de l’accusateur, mais également des membres de sa famille qui, ce jour-là, sont allés un par un faire des tours de voiture dans le quartier afin d’effrayer les enfants des voisins qui y jouaient – « délibérément et avec cruauté » écrit le juge.

« Offenser quelqu’un n’est pas un crime, cela fait partie intégrante de la liberté d’expression »

La vidéo montre même le frère du plaignant pousser physiquement l’accusé qui ne rétorque pas ; « un remarquable exercice de retenue » note encore le juge. Les images font tomber toutes les allégations des voisins malintentionnés, des menaces de mort aux conduites dangereuses. Le magistrat se demande même sur quelle base la prétendue victime craignait que l’accusé « soit un meurtrier potentiel ? Le fait qu’il se soit promené tranquillement avec ses enfants ? »

Toutes les charges sont balayées… exceptée celle concernant le double doigt d’honneur ! Le juge va donc devoir déterminer la légalité du geste : « Ce n’est peut-être pas civil, pas poli, pas courtois. Mais offenser quelqu’un n’est pas un crime, cela fait partie intégrante de la liberté d’expression. Pour être très clair, ce n’est pas un crime de faire un doigt d’honneur à quelqu’un, c’est un droit fondamental inscrit dans [la loi] qui a appartient à tous les Canadiens ».

Et le juge Galiatsatos de conclure, après avoir écrit que les accusateurs devraient s’estimer chanceux de ne pas avoir été poursuivis, que : « Dans les circonstances spécifiques de cette affaire, la Cour aimerait prendre le dossier et le jeter par la fenêtre, seule réaction adéquate au fait que l’accusé ait été arrêté et poursuivi. Hélas, les salles d’audience du palais de justice de Montréal n’ont pas de fenêtre. Un verdict d’acquittement fera donc l’affaire. » Celui-ci fut prononcé sans encontre, le procureur ayant même refusé de contre-interroger l’accusé avant de requérir un acquittement, lui aussi.

Ce type de décision, très favorable à l’adressant digital, avait déjà été adopté en 1992 par la Cour d’appel de Virginie : « Le fait d’inviter son voisin à aller se faire enculer en lui faisant un doigt d’honneur à une trentaine de mètres de distance ne constitue pas l’infraction d’injure puisqu’elle doit être prononcée en face-à-face pour être constituée »[1].

La Cour du Québec admet donc une distance plus réduite…

« Un gant de jardinage ficelé de manière à ne faire apparaître qu’un seul doigt dressé »

Mais qu’en est-il en France ? Difficile à dire car de la trentaine de décisions de justice concernant des doigts d’honneur entre voisins, seul l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Amiens le 13 juin 2013[2] s’avère pertinent… et particulièrement savoureux.

À l’origine de la procédure, une clôture en bambou jugée trop invasive par les voisins.  Malgré le retrait des bambous incriminés et le nettoyage des racines, facture de professionnel et constat d’huissier à l’appui, le voisin procédurier attaque une nouvelle fois pour exiger le retrait d’un piquet sur lequel les défendeurs ont installé « un gant de jardinage ficelé de manière à ne faire apparaître qu’un seul doigt dressé, qui correspond au majeur ».

Voici la réponse de la Cour à cette requête : « Si un abus de droit peut conduire le juge à imposer au propriétaire qui s’en rend responsable de le faire cesser, encore faut-il que le requérant justifie tout à la fois d’une faute de l’auteur de l’abus allégué et d’un préjudice que lui cause cette faute. Or si la faute des époux E. apparaît démontrée par la mise en place d’un doigt d’honneur, l’appelant ne justifie pas que le préjudice qu’il subit résulte d’une cause autre que l’attention excessive qu’il porte au [jardin de ses] voisins. Dans ces conditions, la demande de suppression de l’objet incriminé sera écartée, tout comme la demande en dommages intérêts que ne justifie aucun préjudice démontré par l’appelant »…

Bonsoir !

 

 

[1] Cour d’appel de Virginie, 5 mai 1992, Hershfield c/ Virginie, n° 14 Va.App. 381.

[2] N° 12/00279.

 

 

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