Hauts-de-Seine (92)

La Journée du droit : « Sommes-nous tous égaux devant la justice ? »

Publié le 24/10/2022

Le 4 octobre dernier, les collèges franciliens ont ouvert la porte au droit. Me Nathalie Attias ne manque jamais cette occasion pour ouvrir les jeunes esprits à la citoyenneté et au vivre ensemble. Récit d’une journée du droit dans un collège des Hauts-de-Seine (92).

Pour la cinquième édition de la Journée du droit, des avocats bénévoles sont intervenus pendant deux heures dans les classes de 5e et de 4e pour un échange pédagogique sur des questions liées à la présomption d’innocence, au principe d’égalité devant la loi, à la discrimination, aux préjugés ou encore aux symboles de la justice.

Dans sa semaine très chargée de spécialiste en droit du travail au cabinet parisien Wan, Me Nathalie Attias a dégagé deux heures à consacrer à une session en collège qui lui est très chère. En tant que membre du Conseil national des barreaux, mais d’abord en tant que citoyenne, elle s’est rendue ce mardi 4 octobre dans l’enceinte proprette du collège Jean Mermoz de Bois-Colombes (92) pour rencontrer une classe de 25 élèves de 5e.

Un cadre qui change de celui de l’année dernière, où l’avocate s’était trouvée dans une classe de REP+ à Aubervilliers (93). « J’adore transmettre et je trouve que cette Journée du droit au collège est une occasion capitale de rencontrer les jeunes : l’année dernière, j’étais dans une classe dite difficile mais les questions fusaient, ça foisonnait… les interrogations tournaient autour des insultes, ce qu’ils risquaient à en proférer, et le harcèlement. Je savais qu’une élève était harceleuse et je l’ai vite repérée, c’était elle qui posait toutes les questions ! Cette année, c’était autre chose : tout le monde s’est levé quand je suis entrée » !

Actu-Juridique : Comment vous êtes-vous saisie de la problématique de l’année : « Sommes-nous égaux devant la justice » ?

Nathalie Attias : Pour évoquer la thématique, il convient de revenir un petit peu en arrière : le ministère de l’Éducation nationale voulait que l’on change d’approche par rapport aux éditions précédentes. D’ordinaire, nous nous tournions sur les questions du droit appliqué aux réseaux sociaux ou sur le harcèlement scolaire. Cette année, ils voulaient que nous ouvrions le débat. Après avoir consulté le rapport Guigou sur la présomption d’innocence, paru l’année dernière, je leur ai proposé la piste du procès équitable, et donc de l’égalité entre les citoyens. Le but était vraiment de partir du principe du procès équitable, avec le contradictoire, l’égalité des armes, le tribunal impartial et par ce biais-là nous sommes retombés sur nos pieds avec la présomption d’innocence, en évoquant les procès qui ont lieu sur les réseaux sociaux ou dans les médias. C’est dans cet esprit que nous avons monté la notice.

Actu-Juridique : Comment avez-vous travaillé avec les élèves sur ces questions pointues ?

Nathalie Attias : J’ai fait un peu comme les professeurs de français ou de philosophie, j’ai déroulé une idée en tirant un fil. On a commencé par prendre tous les mots un par un, c’est quoi « tous », c’est quoi « égaux », c’est quoi « la justice », et surtout, nous nous sommes interrogés sur la présence du point d’interrogation à la fin de la phrase, ce qu’il faisait là. Il fallait se poser la question. La plupart ont répondu qu’il était évident que la réponse à la question était « non », alors nous avons rappelé que la loi affirme cette égalité. Nous avons également expliqué qu’il avait pu y avoir des exceptions, et nous sommes partis un peu plus loin, dans la distinction entre « morale » et « justice », je leur ai réexpliqué comment fonctionnait l’institution judiciaire, comment on votait une loi, comment était composé le Parlement. Le but n’est pas simplement de refaire l’histoire, mais bien d’inculquer à ces enfants l’importance des règles, d’ailleurs ils étaient tous d’accord pour dire qu’il en fallait « parce que sinon ça part en vrille » ! J’ai repris les symboles de la justice, la balance, pourquoi elle doit être équilibrée. J’ai aussi utilisé leur récente élection des délégués de classe pour rappeler que leur conscience citoyenne s’éveille dès à présent, que voter est capital (que ce soit en classe ou à l’Assemblée) pour être représenté ; pour moi, c’est ça le vrai objectif des Journées du droit…

Actu-Juridique : Le but n’est-il pas aussi de susciter des vocations ?

Nathalie Attias : À mes yeux, ces journées n’ont pas pour objectif de faire de la promotion du métier d’avocat. Ils sont encore très jeunes ; le but est d’amorcer une réflexion sur ce qu’ils pourront faire en tant que citoyens, comment ils pourraient agir contre l’inégalité, à leur hauteur d’enfant. Dénoncer, saisir le Défenseur des droits… il faut qu’ils apprennent à se défendre et donc il faut les aider à raisonner. Ce que je leur dis, c’est qu’ils ne doivent pas se contenter des informations qu’on leur donne : le point d’interrogation à la fin de « Sommes-nous tous égaux devant la justice ? », c’est ça l’intérêt de notre venue dans leur classe. Il s’agit d’une approche philosophique, je réfléchis avec eux, je me challenge aussi quand je les écoute.

Actu-Juridique : Quelles réflexions vous ont particulièrement frappées ?

Nathalie Attias :Cette année, un enfant m’a demandé : « Blasphémer, est-ce un délit ? ». Avant de répondre du point de vue du droit, je lui ai demandé ce que lui en pensait. Il a répondu que pour lui c’était interdit. Je lui ai demandé s’il pouvait aussi considérer qu’il existait une opinion différente sur la question, et je lui ai expliqué pourquoi le blasphème n’était pas répréhensible du point de vue du droit. Je lui ai aussi expliqué qu’il était légitime de porter plainte si un blasphème était vécu comme une injure, ou une attaque à son encontre : les mots sont les meilleures armes. La discussion a été calme, posée, chacun s’est respecté. Le nom de Samuel Paty a jailli. On a aussi parlé de ce que c’était que débattre avec respect sur les réseaux sociaux, sur WhatsApp… Ce qui était d’autant plus intéressant, c’est que la prof qui nous encadrait était la prof d’EPS, et qu’elle était accompagnée de la médiatrice de l’établissement. Nous avons pu aussi rappelé l’intérêt de cet outil de médiation qui est à leur disposition dans l’établissement et dont ils peuvent se saisir en cas de problèmes, qu’ils soient victimes ou témoins. Je suis sortie plutôt heureuse de cette discussion à bâtons rompus avec les enfants, que je trouve passionnants.

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