Le centre de rétention du Mesnil-Amelot « abandonné par l’Etat »

Publié le 25/08/2023

À quelques centaines de mètres de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, l’enfilade de bâtiments abrite des étrangers en situation irrégulière. Les centres de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) font l’objet d’une attention particulière car les conditions de vie y sont misérables. En février 2023, la Défenseure des droits a ordonné une instruction. En mai, la Contrôleure des lieux de privation de liberté a rendu un avis alarmant.

Le centre de rétention du Mesnil-Amelot « abandonné par l’Etat »
Photo : Centre de rétention du Mesnil-Amelot (Photo : ©T. Chantegret/CGLP)

 

De l’extérieur, on ne voit qu’un édifice beige à un étage. Le panneau révèle la présence des policiers de la police aux frontières (PAF) du département. A l’intérieur, une succession de petits locaux blancs à briquettes et tuiles rouges, ceints de grilles vertes et barbelés. Bienvenue aux CRA 2 et CRA 3 du Mesnil-Amelot, que survolent sans cesse des avions à altitude si basse que le bruit est assourdissant. Et constant durant la journée et la soirée. Au sein de ce qui ressemble à des baraquements, des hommes, des femmes et parfois des enfants – il n’y en a pas en cette fin de mois d’août 2023. On les appelle des « retenus ».

Ils sont tous étrangers, sans autorisation de séjour sur le territoire français, en attente de leur « éloignement ». Un substantif qui, comme « l’ailleurs », s’inscrit dans l’écriture poétique. Ici, il signifie l’expulsion, le retour vers le pays d’origine même s’il arrive que celui-ci soit en proie à la guerre. Le 29 avril, le juge des libertés et de la détention (JLD) a estimé qu’un Soudanais devait rentrer chez lui, sans tenir compte du conflit qui avait éclaté 15 jours plus tôt, ni de la fermeture de l’aéroport de Khartoum. S’il a concédé « un soulèvement » de paramilitaires contre l’armée régulière, le JLD a affirmé que « rien ne permet, à ce stade, de considérer la situation sans issue », évoquant « des interventions diplomatiques ». Une interlocutrice suggère « que le juge y aille, pour voir… »

En dépit du statut de réfugié de cet homme, le magistrat l’a maintenu en rétention. Une décision prise au mépris des droits fondamentaux selon la Convention européenne et celle des Nations unies. Finalement, révèle un intervenant de La Cimade, l’association de soutien aux migrants, réfugiés, déplacés, « son OQTF [obligation de quitter le territoire français, Ndlr] a été annulée par le tribunal administratif (TA) et il a été libéré ».

Rétention, détention, rétention : « Une chaîne sans fin »

Le centre de rétention du Mesnil-Amelot « abandonné par l’Etat »
Intérieur d’un baraquement (Photo : ©Thierry Chantegret/ CGLPL)

 

En début de mois, un second Soudanais est arrivé au Mesnil-Amelot. Que va-t-il devenir alors que, ce 25 août, l’ONU a annoncé que « des centaines de milliers d’enfants [notamment] vont mourir de faim et maladies » ? La loi contraint à le libérer au terme de 90 jours. Las ! comme l’indique Me Carine Chevalier-Kacprzak, du barreau de Meaux, « les gens sont relâchés au bout des trois mois, puis rattrapés et c’est reparti pour 90 jours. Ou bien le préfet saisit le procureur de la République pour obstruction [au renvoi], le retenu est déféré en comparution immédiate, condamné en moyenne à trois mois de détention et, à l’issue, repart au CRA. C’est une chaîne sans fin. D’autant que certains consulats, dont l’Algérie et le Maroc, n’accordent plus de laissez-passer ». Ce qui interroge sur la base légale des rétentions sans perspective de retour…

Depuis longtemps chargée de ce type de contentieux, l’avocate a défendu, le week-end dernier, 19 des 170 personnes actuellement retenues dans les CRA 2-3 qui peuvent en accueillir 240. Les audiences y sont quotidiennes.

Selon elle, les conditions d’enfermement y demeurent déplorables en dépit des engagements pris auprès de la CGLPL (Contrôleure générale des lieux de privation de liberté) et de La Cimade qui vient de publier son rapport de l’année 2022. Le 2 février, l’association s’est retirée de ces centres, à cause « de la recrudescence des violences et graves dysfonctionnements ». Le 20 avril, quand « la justesse de ses analyses » a été reconnue et qu’elle a obtenu des garanties, elle y a repris ses activités d’assistance. Depuis, La Cimade n’a pas constaté « d’amélioration des conditions d’enfermement, aucune modification, nous confie un intervenant. Les locaux sont toujours aussi sales et surtout, les insuffisances d’alimentations persistent. On voit les personnes maigrir, jusqu’à perdre dix kilos en trois mois si elles n’ont pas de proches qui peuvent leur apporter de la nourriture ». Seule la relation avec la PAF s’est améliorée. Certains agents ont été la cible de plaintes en raison de violences envers les retenus.

« Les gens ont faim, a également relevé la CGLPL, Dominique Simonnot. Ils n’ont même pas droit à un sachet de sucre en rab. Jamais une ration en plus alors qu’elles ne rassasient pas. » Son rapport fait état d’un morceau de pain de 80 grammes au lieu des 100 prévus, de barquettes de semoule pesant 263 grammes (emballage compris) quand les clauses prévoient un poids brut de féculents de 380 à 560 grammes.

Faute de verrou, les toilettes et douches restent ouvertes

Le centre de rétention du Mesnil-Amelot « abandonné par l’Etat »
Les sanitaires du centre (Photo : ©T. Chantegret/CGLPL)

 

Me Chevalier-Kacprzak a rédigé un rapport à l’issue de sa dernière visite des CRA du Mesnil, non encore publié par l’Ordre : « Je confirme : rien n’a changé. On me rapporte même que les légumes ne sont plus servis afin de pallier des troubles digestifs ! Et je constate de plus en plus de problèmes psychiatriques, générés par la rétention. Certains arrivent fragilisés mais les mises en chambre d’isolement avec un casque sur la tête n’arrangent rien. Je l’ai vu de mes propres yeux. » La Cimade en témoigne : « Ce sont des espèces de casques de boxe qu’ils portent H24 pour empêcher qu’ils se fassent mal, on voit aussi des instruments de contention. Ces conditions de vie induisent des pathologies psychiatriques. Et l’accès aux soins reste l’une des problématiques principales. Avec 170 retenus et un psychiatre présent une demi-journée par semaine, comment y remédier ? »

Nombre d’entre eux disent être traités « comme des chiens », expression si répétitive qu’elle suscite un profond désarroi. Et l’on pense aussitôt à la réflexion d’une intervenante, sous couvert d’anonymat : « Vous êtes sûre de vouloir écrire un article sur la survie des étrangers dans un CRA ? Alors il faut être prête à recevoir des pelletées d’injures. » Habituée à l’hostilité, elle prévient : « La remarque la plus modérée, ce sera “ils n’ont qu’à rester chez eux !” Une majorité de Français estime que, s’ils ne sont pas contents, ils n’avaient qu’à pas venir en France. C’est oublier qu’on parle d’enfants, de femmes et d’hommes. »

Dans ses recommandations publiées le 19 mai 2023 au Journal officiel, la CGLPL Dominique Simonnot alerte sur la situation au Mesnil-Amelot : « Les portes des toilettes et des douches ne peuvent être fermées, faute de verrou. Le risque d’atteinte à l’intimité et d’intrusion est partout accentué par l’impossibilité de fermer les portes des chambres (…) Les locaux sont vétustes ou dégradés, insuffisamment entretenus. Pas de porte d’armoires, des tables sans chaise, des matelas sans housse, des murs lépreux. »

« Les CRA du Mesnil-Amelot semblent totalement abandonnés par l’Etat, regrette Dominique Simonnot auprès d’AJ. Les policiers de la PAF ne sont pas formés à la garde des personnes retenues, lesquelles ont peur d’eux et inversement. On leur dit que le profil a changé, que beaucoup sortent de prison [près de 40 % dans les deux CRA concernés], que c’est inquiétant et par conséquent, les agents ne rentrent plus en zone de vie où règne la loi du plus fort. »

« Une atmosphère d’anxiété et de tensions »

Le centre de rétention du Mesnil-Amelot « abandonné par l’Etat »
Entrée des chambres (Photo : ©T. Chantegret/CGLPL)

 

Autres remarques de la CGLPL : « Le manque d’effectif chronique » ; « pas de prestation de ménage le week-end, contrairement à ce que prévoient les clauses du marché public. » Normalement « fixé à 1h30 par pavillon et par jour, le volume horaire ne dépasse pas la demi-heure ». Sans compter « l’absence de la moindre intimité. Au Mesnil-Amelot, rien ne distingue les portes des chambres et celles des sanitaires collectifs, si bien qu’on peut entrer par erreur dans une chambre en pensant aller dans les sanitaires, et vice-versa ». Le directeur des CRA 1 et 2 n’a pas souhaité s’exprimer. Le ministère de l’Intérieur assure en revanche s’être engagé à « réparer les installations dès constatation de dégradations » et à imposer au prestataire « une opération de récurage à ses frais, compte tenu de l’insuffisance des prestations antérieures ».

La CGLPL note aussi « une atmosphère d’anxiété et de tensions » tant les distractions et activités sont quasi inexistantes : « En-dehors de la télé, de ballons et d’agrès, rien n’est prévu. Des jeux de société sont stockés dans une pièce du CRA 2 dont ni retenu ni agent ne connaissent l’existence. »

Parmi les préoccupations de Dominique Simonnot et de La Cimade, « une hausse des violences : 29 faits signalés en 2017 contre 61 du 1er janvier au 7 novembre 2022. Le recours aux mesures de mises à l’écart disciplinaire s’accroît ». Exemple au CRA 3 en 46 jours : 28 isolements dont seulement 4 pour motif sanitaire. Leur durée est en moyenne de 23 heures, dans une chambre dépourvue de boutons d’appel, d’interrupteur, de point d’eau (à l’exception du CRA 3). Pas de fenêtre ou des fenêtres qui ne s’ouvrent pas.

« Ces pratiques témoignent de graves violations des normes applicables », regrette la CGLPL qui insiste sur les règles de la mise à l’écart : trouble à l’ordre public, menace à la sécurité d’autres étrangers, limitation dans le temps, caractère exceptionnel. « Les constats démontrent qu’aucune de ces instructions n’est respectée ».

Enfin, lui ont été rapportés « des comportements inadaptés : brutalités, moqueries, propos racistes ». Ce dont s’est également émue Claire Hédon, Défenseure des droits. Le 16 février, elle s’est auto-saisie de ces attitudes indignes, en vertu de ses prérogatives. « Au regard de l’ensemble des griefs soulevés par [La Cimade] et d’une recrudescence des saisines », elle a ordonné une instruction dans les centres seine-et-marnais, jugeant utile de repréciser le droit fondamental de « toute personne, quelle que soit sa situation », à voir « sa vie privée et familiale » et « ses recours » respectés, à accéder à « des soins appropriés » et à « ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants ».

En 2022, les 25 CRA français (dont quatre Outre-mer) ont hébergé 43 565 étrangers, pour un total de 1 936 places, 2 178 d’ici à la fin de l’année 2023, 3 000 programmées en 2027. Dominique Simonnot continuera de veiller et incite les avocats « à entamer des démarches et déposer des recours contre les conditions de rétention indignes ».

 

Plan