La loi du 8 février 1995 sur la médiation judiciaire fête ses 30 ans

Publié le 08/02/2025 à 8h52

Le saviez-vous ? La médiation est une création prétorienne apparue dans les années soixante-dix. Elle a été légalisée par la loi du 8 février 1995. À l’occasion des trente ans de ce texte, on fait le point avec Fabrice Vert sur les évolutions accomplies depuis. 

La loi du 8 février 1995 sur la médiation judiciaire fête ses 30 ans
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Il y a exactement 30 ans, jour pour jour était promulguée en France la loi du 8 février 1995 sur la médiation judiciaire qui constituait une véritable révolution de paradigme dans l’office du juge, même si elle s’inscrivait dans le sillage du principe directeur du procès énoncé en 1975 par l’article 21 du nouveau code de procédure civile selon lequel : « Il entre dans la mission du juge de concilier »

La médiation judiciaire : d’abord une construction prétorienne

Avant la loi du 8 février 1995, quelques juges pionniers s’inspirant notamment  d’expériences de collègues étrangers, ont construit de manière prétorienne une pratique de médiation dans les juridictions au début des années 1970 dans le domaine familial ou dans les conflits collectifs du travail, désignant parfois des enquêteurs, des experts, ou des collègues avec pour mission d’entendre les parties, de confronter leurs points de vue et de les aider à trouver un accord.

Ce phénomène est apparu dans un contexte socio-politique et économique de bouleversement des repères traditionnels de notre société avec, à la clef, une crise profonde de la fonction de régulation sociale.

Dans cette œuvre prétorienne la cour d’appel de Paris, qui a souvent joué un rôle moteur dans la promotion des modes amiables, le 16 mai 1988, énonçait dans un arrêt que « l’institution prétorienne de la médiation n’est pas contraire à la loi dès lors que, conçue comme une modalité du processus de conciliation, et non comme une délégation des pouvoirs du juge, elle permet d’assurer seulement, sous le contrôle de celui-ci et en présence d’une personnalité ayant sa confiance, la confrontation des points de vue respectifs des parties à un litige et d’entamer la négociation » ; conception suivie par la Cour de cassation qui dans un arrêt, a conçu la médiation comme une modalité du processus de conciliation en se référant à l’article 21  du Code de procédure civile : « l’objet de la médiation, qui est de procéder à la confrontation des prétentions respectives des parties en vue de parvenir à un accord proposé par le médiateur, est une modalité d’application de l’article 21 du nouveau Code de procédure civile tendant au règlement amiable des litiges » ( CA Paris, 1ʳᵉ ch. – sect. A, 16 mai 1988, SA SNECMA c/ Allain et al., D 1988. IR. p. 174. Cour de cassation, Civ 2,16 juin 1993, Bull, II).

Cette jurisprudence valide cette nouvelle pratique en se fondant sur l’article 21 du Code de procédure civile participant ainsi à la confusion terminologique entre médiation et conciliation dénoncée par certains comme un frein à leur développement.

 La codification de la médiation judiciaire

Le législateur en 1995 a décidé de légaliser cette pratique prétorienne des juridictions. La médiation dite judiciaire est ainsi prévue aux articles 131-1 à 131-15 du Code de procédure civile, issus du décret du 22 juillet 1996, mettant en application la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qui renforce la conciliation et la médiation. Plusieurs réformes ont modifié la rédaction de ces articles, comme l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 qui a transposé, mais à minima, la directive européenne du 21 mai 2028 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale ou le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 qui a contribué à une grande avancée en permettant le versement de la provision du médiateur directement entre ses mains et non plus à la régie du tribunal, ce qui est beaucoup plus adapté aux médiations urgentes.

Des expériences individuelles de mise en œuvre de la loi du 8 février 1995 toujours fragiles

Le paradoxe de la médiation judiciaire en France est que, si notre pays a été l’un des premiers à se doter, en février 1995, d’une loi l’organisant et la codifiant sa pratique, trente ans après, reste relativement peu développée.

Quelques magistrats se sont néanmoins emparés de ce nouvel outil, accompagnés de médiateurs et de certains avocats pour proposer aux justiciables ce mode de résolution des conflits qui est particulièrement adapté dans tous les contentieux où il est dans l’intérêt des parties de poursuivre leurs relations, de préserver leur litige de toute publicité, de trouver des solutions  inventives et originales, d’éviter une procédure longue et couteuse, d’obtenir une solution rapide.

L’expérience la plus emblématique a été celle initiée par   Béatrice Brenneur à la fin des années 1990 alors présidente de la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble qui a ordonné plus de 1 000 médiations avec un taux de réussite de 80%, expérimentation qui s’est arrêtée net à son départ de cette juridiction.

Béatrice Brenneur a été également l’initiatrice d’un événement majeur pour le  développement de la médiation judiciaire : avec notamment Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, elle a créé le Groupement européen des magistrats pour la médiation (GEMME) qui offre aux magistrats des formations, soit pour leur mission de conciliation, soit pour leur mission de prescripteur de médiation, contribuant à la qualité de la formation des médiateurs tant sur le plan déontologique que méthodique, tout en veillant à l’harmonisation des pratiques.

La cour d’appel de Paris a été aussi le laboratoire de nombreuses bonnes pratiques en matière amiable sous la conduite de ses premiers présidents comme Jean-Claude Magendie (à l’initiative d’un rapport qui a fait date en 2008 :Célérité et qualité de la justice, la médiation :une autre voie), Chantal Arens (qui a même réussi à implémenter la médiation à la Cour de cassation) ou l’actuel premier président Jacques Boulard qui a initié l’année dernière un cycle de conférences très suivi sur l’amiable.

Le président Stéphane Noël a également développé une importante politique de l’amiable dans les tribunaux judiciaires de Créteil puis de Paris (création d’une unité des modes amiables, permanences de médiateurs et conciliateurs aux audiences, pratique courante de l’injonction de rencontrer un médiateur, lettres de mission aux coordonnateurs des pôles etc).

Mais ces expériences, aussi concluantes soient-elles, trouvent souvent leurs limites lorsque les magistrats qui en ont été les initiateurs et les forces inspiratrices, sont appelés à d’autres fonctions,

Seule une institutionnalisation, dans le cadre d’une politique publique de l’amiable, est de nature à faire des mécanismes amiables des modes habituels de règlement des litiges dans l’ensemble des juridictions, étant observé que le principe d’égalité de traitement des usagers du service public de la justice milite pour qu’il existe dans toutes les juridictions une offre équivalente de médiation et de conciliation.

Une telle politique (objectifs, moyens, évaluation) et la création d’un conseil national de la médiation étaient espérées par de nombreux pionniers de la médiation pour en assurer le développement significatif.

  2023 : lancement d’une politique nationale de l’amiable

Suite au rapport du Comité des Etats généraux de la justice « Rendre justice aux citoyens » qui faisait le constat d’un « état de délabrement avancé » de l’institution judiciaire et en particulier de la justice civile  après des décennies d’abandon, le ministre de la justice de l’époque, Eric Dupond Moretti,   outre l’annonce de  recrutements importants de magistrats et de fonctionnaires de justice, a décidé le 13 janvier 2023 de lancer une politique nationale de l’amiable , impulsant un changement de paradigme dans le  rôle de  l’avocat et  dans l’office du juge civiliste de nature à redonner du sens  à une fonction  vivant une crise de vocation et à replacer au centre du dispositif le justiciable .

Cette politique nationale, s’inspirant de modèles étrangers mais aussi de propositions de pionniers de l’amiable en France, s’est déclinée en plusieurs étapes :

– La création  par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023  de deux nouveaux mécanismes amiables, l’audience de règlement amiable (ARA)  et la césure ;

– Le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 a réécrit l’article 750-1 du CPC, prévoyant l’obligation d’un recours préalable à un mode amiable de résolution (médiation, conciliation de justice, convention de procédure participative) avant toute action judiciaire notamment pour les litiges jusqu’à 5000 euros ou les troubles anormaux de voisinage.

L’installation en mai 2023  du   Conseil national de la médiation (créé par la loi  n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire) placé auprès du ministre de la Justice, chargé notamment de rendre des avis dans le domaine de la médiation, de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l’améliorer, de proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation, de proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs ;

-Désignation, le 12 mai 2023  par le ministre de la Justice, de 9  ambassadeurs de l’amiable (3 magistrats, 3 avocats médiateurs, 3 professeurs de droit) avec pour mission notamment d’accompagner la politique nationale de l’amiable sur le terrain, au plus près des acteurs concernés dans les juridictions et de permettre l’appropriation des nouveaux et anciens mécanismes de l’amiable dans les meilleures conditions.

L’amiable pourrait être au cœur de la politique publique de la justice civile  voulue par le ministre de la Justice Gérald Darmanin 

Le Conseil national de la médiation a rendu ses premiers avis et les ambassadeurs de l’amiable ont publié leur rapport qui préconise de nombreuses réformes qui pourraient être le socle d’une politique ambitieuse de l’amiable dans le cadre de cette politique publique de la justice civile que le nouveau Garde des Sceaux a décidé  de développer.

Le ministre de la Justice a marqué à plusieurs reprises son intérêt pour cette justice civile, invisible et devenue une variable d’ajustement, qui rend pourtant  1,5 million de décisions par an (hors tribunaux de commerce et conseils des prud’hommes) et manifesté sa volonté de donner aux modes amiables la place qu’ils méritent dans l’institution judiciaire au profit des justiciables. Le décret réécrivant le livre V du Code de procédure civile sur les modes amiables est attendu en espérant que la vision ambitieuse l’emportera lors des arbitrages.

Trente ans sera peut-être le bel âge pour la médiation judiciaire !

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