Se saisir de l’expertise amiable comme outil efficace de résolution des conflits
Écrit à quatre mains, avec l’expérience mêlée de nos casquettes d’expert-comptable et expert judiciaire, avocate et médiatrice, cet article a pour objectif d’attirer l’attention des acteurs du système judiciaire sur l’opportunité que constitue l’expertise amiable. Nous tenons à remercier sincèrement Monsieur Fabrice Vert, Magistrat, Premier Vice-Président au tribunal judiciaire de PARIS, Vice-Président du Groupement européen des magistrats pour la médiation (GEMME), inlassable ambassadeur de l’amiable pour ses propos introductifs.

Propos introductifs de Monsieur Fabrice Vert
« L’amiable dans le monde judiciaire et le monde juridique est souvent présenté comme une révolution culturelle et un changement de paradigme, tant le réflexe contentieux imprégnant le quotidien des acteurs judiciaires reste omniprésent. Mais les choses évoluent, et c’est avec plaisir et satisfaction que j’introduis cet appel d’un expert judiciaire et d’une avocate médiatrice à se saisir d’un outil de l’amiable particulièrement performant, l’expertise amiable dont les avantages sont bien connus : rapidité, moindre coût, choix de l’expert et de sa mission. On peut ainsi être surpris du faible recours à ce mécanisme. Outre le poids des habitudes et une formation parfois insuffisante sur les voies amiables, il manque certainement dans l’arsenal juridique l’existence d’un juge d’appui de l’expertise amiable, dont le rôle serait de traiter les incidents pouvant survenir au cours de cette expertise amiable, comme une demande d’une partie d’attraire de manière forcée son assureur à cette expertise. Et la question de l’interruption de la prescription et de la forclusion doit également être traitée pour que l’expertise amiable rencontre le succès escompté.
Aussi, je me réjouis de l’annonce qui a été faite par le garde des Sceaux, lors de la visite des ambassadeurs de l’amiable à la cour d’appel d’Aix en Provence le 5 février 2024, de la création prochaine d’un juge d’appui, création confirmée tout récemment par la direction des affaires civiles et du Sceau, lors d’une rencontre sur l’amiable organisée au CNB. »
Fabrice Vert
Au cours d’une médiation, d’une conciliation, d’une négociation ou d’une procédure participative (c’est-à-dire d’un MARD – mode alternatif de règlement des différends), les parties peuvent être non seulement assistées par un avocat, mais également, et cela est moins connu, faire appel à un expert pour procéder à des investigations plus complexes en vue de fournir, sur des questions de fait, des informations techniques sur leurs désaccords.
En effet, même en utilisant un MARD, les parties peuvent être confrontées à des questions complexes bloquant la progression des discussions et sur lesquelles elles ont besoin d’être éclairées par un expert en vue de mesurer leur(s) risque(s).
Résoudre cette problématique technique (dans des domaines très variés tels que des questions d’ordre financier, médical, immobilier, assurantiel, mécanique, etc.…) facilitera ensuite la reprise des discussions et négociations entre les parties.
Par exemple, en droit des affaires, le recours à un expert pendant une médiation peut être utile pour évaluer un fonds de commerce en cas de séparation d’associés, ou pour calculer une indemnité d’éviction en cas de différends entre un bailleur et un preneur pendant une négociation, ou encore pour évaluer des préjudices en cas de concurrence déloyale invoquée par une entreprise dans le cours d’une procédure participative… L’objectif de l’expertise sera ainsi de fournir aux parties des données impartiales et objectives leur permettant d’aboutir à un accord sur cette base.
Il faut alors bien appréhender le rôle essentiel qu’a l’avocat dans l’expertise amiable : c’est lui qui l’impulse et qui, hors de toute procédure judiciaire, pendant un MARD, lui donne tout son sens, pendant et après l’intervention de l’expert.
L’avocat a donc tout intérêt à se saisir rapidement de cette opportunité que constitue l’expertise amiable.
Il est avant tout important de comprendre comment fonctionne l’expertise amiable pour pouvoir la préconiser et la mettre en œuvre.
Dans le cas où les conditions de l’indépendance, de l’impartialité et du respect du contradictoire sont respectées, l’avis de l’expert au cours d’un MARD a la même force probante que l’avis de l’expert judiciaire désigné par un juge.
Le Décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021, modifiant l’article 1554 du Code de procédure civile, confère valeur de rapport d’expertise judiciaire au rapport établi par l’expert missionné en vertu d’un acte contresigné par les avocats des parties.
Plus besoin donc de recommencer l’expertise en cas d’échec du MARD en saisissant le juge.
De plus, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 prévoit que « les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, […] lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des Parties, peuvent être revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente ».
Ainsi, le protocole d’accord à l’issue d’un MARD, s’il est contresigné par les avocats, permet une apposition rapide de la formule exécutoire sur cet accord.
Souplesse d’utilisation, durée réduite, coût limité et confidentialité : autant d’avantages présentés par l’expertise amiable par rapport à l’expertise judiciaire.
Souplesse tout d’abord.
Contrairement à l’expertise judiciaire, dans le cadre de laquelle le juge choisit souverainement le nom de l’expert, lors d’un MARD, les parties choisissent elles-mêmes l’expert, dont en conséquence elles valident la compétence.
L’expert ainsi mandaté est un tiers qualifié dans la question technique qui se pose.
Il n’est pas nécessairement inscrit près d’une cour d’appel. Cependant, cela est fortement recommandé : le choix d’un expert inscrit auprès d’une cour d’appel apporte, en effet, une meilleure garantie de respect des principes du procès équitable (déontologie, indépendance, impartialité, confidentialité et respect des échanges contradictoires).
Les parties ont le choix de mandater l’expert, soit pour un simple avis oral comparable à une consultation, soit pour lui confier une véritable mission d’expertise qui pourra être utilisée en justice, en cas d’échec du MARD, en accord avec les parties.
Celles-ci ont également la liberté de définir les diligences confiées à l’expert qui seront encadrées par une lettre de mission.
Durée réduite, coût limité et confidentialité.
La lettre de mission de l’expert comprendra notamment le contexte et le calendrier de sa mission, une déclaration d’indépendance et d’impartialité de l’expert, les conditions de respect du contradictoire, les pièces devant être communiquées, le budget d’honoraires, sa répartition entre les parties et les dates de paiement des honoraires, le délai de dépôt du rapport de l’expert, le sort de l’expertise en cas d’échec du MARD et les conditions de confidentialité de l’intervention de l’expert, pour les parties comme pour lui-même. Les parties pourront aussi s’accorder sur la prescription.
Concernant la procédure participative, les textes indiquent que la lettre de mission de l’expert doit précisément mentionner l’indépendance de l’expert, l’accomplissement de sa mission avec conscience, diligence, impartialité dans le respect du principe du contradictoire (art. 1549 du Code de procédure civile), la remise d’un rapport écrit, qui pourra, en cas d’échec, être produit en justice (art. 1554 du Code de procédure civile) et aura une force probante équivalente à une expertise judiciaire, en raison de son caractère contradictoire et du respect par l’expert des principes directeurs du procès.
En outre, dans le cas des médiations judiciaires, l’expert sera tenu de respecter le délai légal de trois mois renouvelable imposé au médiateur par le juge pour la réalisation de sa mission. L’expert devra ainsi faire preuve d’une grande célérité dans la réalisation de ses propres diligences.
Par ailleurs, à la différence de l’expertise judiciaire où la rémunération de l’expert est « taxée » par le juge, les parties ont la possibilité de se mettre d’accord directement avec l’expert sur les conditions de sa rémunération.
Les contraintes de l’expertise judiciaire, ordonnée par le juge, liées à la consignation des honoraires de l’expert, à la nécessité pour les avocats des parties de produire des dires et à l’attente de la production d’un prérapport puis d’un rapport par l’expert dans des délais non maîtrisés permettent d’être évitées dans le cadre de l’expertise amiable.
Cependant, en raison du caractère conventionnel de la relation entre les parties et l’expert, en cas de difficultés dans le déroulement de sa mission dues par exemple à l’inertie d’une partie pour communiquer les documents nécessaires ou en cas de demande de mise en cause d’un tiers, l’expert ne pourra pas faire appel à l’intervention du juge chargé du contrôle des opérations d’expertise et ne pourra donc que déposer son rapport « en l’état ».
Dans ce contexte, le garde des Sceaux a récemment annoncé, en février 2024, la création d’une procédure similaire à celle de l’arbitrage qui prévoit l’intervention d’un « juge d’appui » qui pourrait être sollicité en cas de difficulté dans l’expertise au cours d’un MARD par l’une des parties, le médiateur ou le conciliateur, les avocats ou l’expert lui-même.
Cette création renforcera, par là même, l’efficacité de l’expertise amiable.
Au regard de ce qui précède, nous comprenons donc le rôle essentiel qu’a l’avocat à s’emparer rapidement de l’expertise amiable pour la préconiser auprès de son client dans l’intérêt général des justiciables.
Référence : AJU447993
