Article 9-1 du Code civil et article 29 de la loi du 29 juillet 1881 : un droit dual au respect de l’honneur ?

Publié le 23/09/2024
Article 9-1 du Code civil et article 29 de la loi du 29 juillet 1881 : un droit dual au respect de l’honneur ?
Antonio Rodriguez/AdobeStock

Le délit de diffamation est caractérisé lorsqu’il y a atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. Plus spécifiquement, le droit au respect de la présomption d’innocence complète la protection de l’honneur, en offrant la possibilité à une personne, présentée publiquement comme coupable avant l’issue d’une procédure, de solliciter la cessation du trouble et d’obtenir réparation. L’articulation de ces deux moyens d’action, résolument différents par leur nature, soulève une réelle complexité. Tout d’abord, malgré les accointances, leurs règles de procédure sont strictement segmentées. Ensuite, par la primauté accordée à la liberté d’expression, les acteurs médiatiques bénéficient d’une impunité limitant les effets de l’atteinte, ce qui nécessite d’explorer d’autres voies, comme le droit au respect de la vie privée. Une harmonisation des mesures et des méthodes d’interprétation peut être ainsi envisagée en vue de favoriser l’émergence d’un droit au respect de l’honneur.

La diffamation, un champ classique de la protection de l’honneur. Du latin classique honos, honoris, à l’époque archaïque le substantif « honneur » était un hommage rendu aux dieux, un décernement à quelqu’un, ou une marque de considération. À l’époque médiévale, honor désignait la charge octroyée par le roi au comte, au duc, ou aux officiers royaux. Dans son acception moderne, l’honneur ne se réfère plus à une charge ou un devoir quelconque mais, sous le revers de son respect, à l’obligation d’abstention de porter atteinte à la considération ou à la réputation de quelqu’un. À l’ère des médias et des réseaux sociaux, l’appréciation de l’honneur échappe de plus en plus au pouvoir de la justice. De la plume de Corneille, « les affronts à l’honneur ne se réparent point »1. Et l’on ne saurait si bien dire, le contentieux en la matière se plaçant aujourd’hui sur l’autel de la vox populi.

Aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, la protection de l’honneur se retrouve en premier lieu dans l’infraction de diffamation. Du latin diffamatio signifiant « action de divulguer, de répandre », les propos diffamants se dirigent contre une personne ou un groupe de personnes. Ainsi, toute allégation ou fait dénoncé, qu’il soit vrai ou qu’il soit faux, doit être interprété comme portant atteinte à « l’honneur ou à la considération », compte tenu de la volonté de l’auteur de répandre des propos médisants. Au contraire, l’injure relève d’un comportement, ou d’une impulsion2 propre à un état d’esprit. L’injure est une invective d’un certain degré de virulence3.

Le délit de dénonciation calomnieuse4 participe aussi du respect de l’honneur5. Mais son champ se limite à la dénonciation contre une personne déterminée, de faits inexacts susceptibles de sanction, à l’attention des seules autorités capables d’y donner suite. Sans conteste, la portée d’un tel délit est moins résonnante dans les médias et la presse que celle de la diffamation ou de l’injure.

La protection de l’honneur induit ainsi à la préservation du statut d’une personne. In fine, elle implique surtout le droit d’être jugé équitablement et par le seul pouvoir judiciaire. Son champ mérite donc d’être enrichi par un droit souvent confondu avec la diffamation : le droit au respect de la présomption d’innocence. Un tel droit découle du principe de procédure pénale qui le précède.

La présomption d’innocence, un droit fondamental au respect de l’honneur. La présomption d’innocence intervient comme une phase de sauvegarde à la réputation d’un individu, malgré les méfaits qui lui sont reprochés. L’article préliminaire du Code de procédure pénale introduit par la loi du 15 juin 2000 protège la présomption d’innocence en assurant le respect des principes d’équité de la procédure, de l’égalité des armes et du contradictoire. En plus de l’expression d’un principe constitutionnel supérieur6, de valeur conventionnelle7, internationale8, le droit pénal est muni d’un certain nombre de garde-fous garantissant le respect de la présomption d’innocence. L’article 175-2 du Code de procédure pénale prévoit que la durée de l’instruction ne peut excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés au mis en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l’exercice des droits de la défense. Ensuite, le principe de liberté de défense permet à la personne mise en cause d’être indemnisée des mesures coercitives avant jugement, en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement9. Il s’agit dès lors d’assurer un équilibre entre la présomption d’innocence, qui profite à tout individu jusqu’à preuve contraire, et les mesures préventives qui sont mises en place pour prévenir des troubles à l’ordre public, en considération d’un risque ou d’une culpabilité à venir du mis en cause.

Le droit au respect de la présomption d’innocence. Dans son volet civil, le droit au respect de la présomption d’innocence a été consacré par la loi du 4 janvier 1993. L’article 9-1 du Code civil offre à une personne la possibilité d’opposer aux tiers le droit de ne pas être traitée publiquement comme coupable avant l’issue d’une procédure en cours10. Un tel droit se distingue de la présomption d’innocence en procédure pénale qui n’est « d’aucun secours, puisqu’il ne s’agit pas, pour la personne ainsi désignée publiquement, de s’opposer à une déclaration judiciaire de culpabilité en criant à l’absence de preuve, mais de combattre ceux qui, au dehors de la procédure, l’accablent »11. Cette protection s’adresse aux juges, aux justiciables, et spécialement à la presse et aux médias.

En outre, dans le délit de diffamation, l’atteinte à l’honneur dépend du sens que l’on veut donner au fait divulgué12. L’exercice du droit au respect de la présomption d’innocence s’apprécie dans des contours plus étroits. Les juges s’en tiennent à la seule existence de conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité. Le droit au respect de la présomption d’innocence fonctionne donc sur le même schéma que l’article 9 du Code civil, conçu comme un droit défensif de la personnalité. Cette protection civile vise ainsi à assurer la sauvegarde de l’individu contre la puissance publique qui méconnaîtrait la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire.

La protection de l’honneur comme sphère de la personnalité. Sans conteste, l’article 9-1 du Code civil s’exerce comme un droit subjectif13 qui dépasse le champ de la procédure pénale14. Et si une partie de la doctrine reconnaît le droit à l’honneur comme un attribut de la personnalité, d’autres estiment que le champ pénal de la réputation et de l’honneur n’est guère compatible avec un intérêt personnel à protéger15. Pourtant, la tendance à reconnaître un véritable droit de la personnalité semble assez convaincante. Deux exemples nourris d’indices peuvent l’illustrer. D’une part, le dénigrement de produit est le seul terrain diffamatoire qui peut être indemnisé sur le terrain de la responsabilité civile car, dans ce cas précis, l’intérêt protégé est la personne du fournisseur ou celle du producteur du produit dénigré16. L’autre exemple tient au respect de l’honneur des morts. L’article 34 de la loi du 29 juillet 1881 fait référence aux personnes destinataires de l’atteinte diffamatoire ou injurieuse à la mémoire des morts. Le délit n’est incriminable que si l’auteur a eu l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, des époux, ou des légataires universels vivants. De toute évidence, la personnalité même des ayants cause est protégée.

Il y a donc lieu de se demander si le droit au respect de la présomption d’innocence et les délits d’injure et de diffamation sont les deux versants d’un droit qui les surplombe : celui du respect de l’honneur. Que la personne ait été mise en cause par des tiers, comme substituts illégitimes de l’autorité judiciaire, ou que la personne ait été troublée par des allégations dégradantes, l’atteinte peut être sanctionnée, soit à la diligence de la victime elle-même, soit à celle du ministère public17.

Une protection dualiste de l’honneur implique alors de surmonter un certain nombre de difficultés procédurales susceptibles de neutraliser ces deux moyens d’action (I). Si leur distinction semble opportune, selon les cas de figure, les motifs d’imputabilité de l’atteinte peuvent se heurter à l’exercice de la liberté d’expression, notamment journalistique (II). En cela, une complémentarité renforcée de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 avec l’article 9-1 du Code civil mérite d’être étudiée (III).

I – Les difficultés procédurales de la protection de l’honneur

L’autonomie formelle du respect de la présomption d’innocence doit être préservée d’un alignement systémique avec la loi du 29 juillet 1881 (A), dès lors que le non-cumul des actions entre le domaine civil et pénal a été posé, non sans quelques difficultés, par la jurisprudence (B).

A – L’action de l’article 9-1 du Code civil érodée par ses accointances avec la loi du 29 juillet 1881

L’article 9-1 du Code civil, une protection distincte de la diffamation. La loi du 24 août 1993 avait rétréci le champ d’application du droit au respect de la présomption d’innocence au seul bénéfice des personnes « en garde à vue, mise en examen ou faisant l’objet d’une citation à comparaître en justice, d’un réquisitoire du procureur de la République ou d’une plainte avec constitution de partie civile ». La loi du 15 juin 2000 a réintroduit à l’alinéa 2 de l’article la protection pour toute personne mise en cause dans le cadre d’une procédure, rétablissant ainsi la spécificité d’une telle action. En effet, la locution « personne présentée comme » ne suppose pas qu’elle soit partie à une procédure, seulement suffit-il qu’elle soit présentée comme coupable de faits faisant l’objet d’une procédure18. La personne mise en cause bénéficie aussi de cette protection dès lors qu’elle fait l’objet d’une sanction par une autorité administrative19, et ce, avant même que les juges compétents ne se soient prononcés20.

Partant, le rapport Guigou promeut la possibilité d’étendre le champ de protection de l’article 9-1 du Code civil en dehors de toute procédure en cours21, et de permettre au procureur de la République d’engager la procédure. Mais l’extension du droit au respect de la présomption d’innocence en dehors de toute procédure risquerait de générer un conflit de qualification avec la diffamation22. Or, la portée plus restreinte de l’article 9-1 du Code civil en révèle son intérêt. En effet, devant le juge civil, la seule existence de l’atteinte à un principe fondamental de procédure pénale justifie la réparation, tandis que, devant le juge pénal, l’incrimination pour diffamation peut se heurter à un ensemble de faits justificatifs liés à une appréciation plus générale du respect de l’honneur23. Le droit au respect de la présomption d’innocence repose sur la garantie absolue d’une présomption, contrairement au trouble à l’ordre public causé par un délit d’expression. L’idée même d’élargir le champ d’action de l’article 9-1 du Code civil créerait ainsi des confusions tant dans l’imputation de l’atteinte que dans le choix de la procédure adéquate, avec le risque d’instaurer un forumshopping en faveur du juge civil.

La prescription de l’action de l’article 9-1 du Code civil. Une confusion procédurale est pourtant entretenue en matière de prescription de ces deux actions. La loi du 25 août 1993 a directement calqué le régime prescriptif de l’article 9-1 du Code civil sur celui des délits de presse. L’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que « les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d’innocence commise par l’un des moyens visés à l’article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l’acte de publicité ». Sceptique sur une telle immixtion du droit de la presse, la Cour de cassation avait pourtant limité la portée du court délai pour l’action de l’article 9-1 du Code civil. Ainsi s’était-elle exclusivement fondée sur l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 pour considérer que l’interruption trimestrielle de la prescription courait pendant toute la procédure lorsque le demandeur avait fait citer son adversaire dans les trois mois24. De cette manière, la haute cour entendait préserver le régime interruptif d’instance de la demande en justice jusqu’à son extinction, prévu par les articles 2241 et 2242 du Code civil.

Par un revirement intervenu en 2004, en jugeant que les dispositions spéciales de la loi de 1881 sont d’ordre public et dérogent au droit commun pour l’action fondée sur l’article 9-1 du Code civil, la Cour a considéré que « le délai de trois mois court à nouveau à compter de chaque acte interruptif de la prescription abrégée prévue par le texte »25. Ainsi, non seulement la Cour a-t-elle aligné la nécessité de réitérer un acte interruptif d’instance prévu par l’article 6526 à l’article 65-1, en extrapolant les dispositions du premier article en contemplation du second, mais aussi l’article 9-1 du Code civil suit un régime dérogatoire au droit commun avec la prescription d’un court délai, lui-même non interruptif d’instance. Or, il est pour le moins curieux de mêler le droit pénal spécial de la presse, soumis à un court délai, à l’exercice d’un droit de la personnalité transcrit sur le volet civil, dont la finalité est de protéger un intérêt personnel27. Pareillement compris, ce renvoi est incohérent, de sorte que le droit au respect de la présomption d’innocence devrait suivre un délai de prescription qui lui est propre. Un alinéa supplémentaire à l’article 9-1 du Code civil pourrait clarifier la situation. Cette proposition se placerait d’ailleurs dans la ligne directrice de la recommandation 33 du rapport Guigou suggérant d’allonger le délai de prescription de l’action fondée sur l’article 9-1 du Code civil28.

B – La protection de l’honneur limitée par le non-cumul d’actions

L’assignation fondée sur l’article 9-1 distincte des actions relevant de la loi du 29 juillet 1881. La Cour de cassation n’a pas voulu céder sur le contenu de l’assignation : « Les règles de forme prévues par la loi du 29 juillet 1881 ne s’appliquent pas à l’assignation fondée sur les dispositions de l’article 9-1 du Code civil »29. En effet, le choix de l’action propre à l’article 9-1 du Code civil ou celle de l’article 29 de la loi de 1881 reste à la discrétion de l’intéressé et les règles de forme tiennent lieu du tribunal saisi. La Cour de cassation a alors interdit le cumul d’une première action civile pour le délit de diffamation, avec une seconde demande en réparation devant le tribunal judiciaire pour l’atteinte au respect de la présomption d’innocence30. Il y a là un alignement cohérent avec la jurisprudence Cesareo qui proscrit le cumul de deux demandes successives fondées sur une cause identique, c’est-à-dire portant sur les mêmes faits, le même objet, et entre les mêmes parties31. Il est également permis de raisonner par analogie avec la règle ne bis in idem en droit pénal, par laquelle un cumul de qualification n’est possible que pour réprimer les différents aspects de l’acte répréhensible32.

Ainsi, lorsque la Cour de cassation rappelle que « les abus de la liberté d’expression portant atteinte à la présomption d’innocence ne peuvent être réparés que sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil »33, alors que le journal invoquait la requalification en diffamation, la haute cour a préservé la distinction temporelle entre l’atteinte à la présomption d’innocence et la diffamation. Le droit au respect de la présomption d’innocence ne trouve à s’appliquer que pour une personne désignée coupable avant l’issue d’une procédure, ce qui laisse ensuite le champ à la poursuite du délit de diffamation. De plus, si la condamnation irrévocable de culpabilité fait disparaître le droit au respect de la présomption d’innocence34, l’atteinte au droit s’apprécie au jour de la publication litigieuse. Il n’y a donc pas d’extinction rétroactive de l’action en justice.

Un non-cumul discutable. La compartimentation entre le volet civil et le volet pénal s’est aussi renforcée par l’application de la règle specialia generalibus derogant. La Cour de cassation a en effet proscrit d’intenter une action relevant de la loi du 29 juillet 1881 fondée sur le droit commun de la responsabilité35. Mais l’appréciation sévère du Quai de l’Horloge sur les exceptions de procédure aurait plutôt tendance à faire perdre à un justiciable de bonne foi tout moyen d’action pour protéger son honneur. En effet, est nulle l’assignation retenant une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9-1 du Code civil36, ou l’assignation motivée par les articles 9 et 9-1 du Code civil pour des propos qualifiés de « diffamation » par celui qui se dit victime37. Dès lors, la requalification en diffamation peut être une stratégie de défense pour le mis en cause d’une atteinte à la vie privée compte tenu du court délai de prescription propre à la loi du 29 juillet 188138. Dans ce cas précis, il peut être opportun d’opposer la nullité de l’assignation ou la prescription pour écarter les prétentions adverses à la suite d’une requalification en cause d’appel39.

Il est donc évident que, par l’entremise de la primauté accordée à la liberté d’expression, la position des juges vise à empêcher la multiplication des moyens d’action de protection de l’honneur, notamment par voie de subsidiarité. Une telle rigidité formelle permet surtout de se dérober du contrôle de proportionnalité. Les exigences de forme l’emportent sur les discussions sur le fond dans le positionnement des droits contradictoires.

II – Des motifs d’imputabilité inégaux

Le respect de l’honneur est assuré par une restriction de la liberté d’expression étroitement admise, notamment par la Cour européenne dans le domaine journalistique (A). S’ajoutent les faits justificatifs en matière de diffamation qui renforcent la garantie supérieure de la liberté d’expression à toute autre considération (B).

A – L’imputabilité dictée par la liberté d’expression

Le contrôle de proportionnalité dans l’imputation. Les difficultés relatives aux conditions d’imputabilité pour assurer le respect de l’honneur résident dans la superposition des textes : le Code civil, la loi du 29 juillet 1881 et le Code pénal. Fort logiquement, le contrôle de conventionnalité des normes européennes permet d’assurer l’équilibre normatif. S’agissant de la présomption d’innocence en tant que principe, la Cour européenne n’a pas manqué de considérer de façon impérieuse « que la présomption d’innocence consacrée par le deuxième paragraphe de l’article 6 figure parmi les éléments d’un procès pénal équitable »40. Mais ce qui relève de la défense de l’honneur doit être compris au regard des restrictions admises à la liberté d’expression. La défense de l’honneur d’une personne par la sanction de la diffamation assure « la protection de la réputation ou des droits d’autrui, l’un des “buts légitimes” reconnus par le paragraphe 2 de l’article 10 »41. Ainsi, tout abus de la liberté d’expression peut être réprimé sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention lorsque l’information transmise emporte la conviction chez le lecteur que l’infraction dont un tiers est accusé constitue un fait établi42.

Le traitement particulier du secret des sources. S’il faut constater une généralisation heureuse du contrôle de conventionnalité, il semble que le droit au respect de l’honneur se heurte à la « foi journalistique » en matière de secret des sources. Dans l’arrêt Becker contre Norvège du 5 octobre 201743, la Cour européenne a condamné les juridictions norvégiennes pour avoir ordonné à une journaliste de témoigner sur l’une de ses sources. Mais ladite source s’était elle-même dévoilée en tant que contact de la journaliste pendant la procédure. La Cour a estimé que l’injonction de communiquer constituait une ingérence injustifiée dans l’exercice du droit à la liberté d’expression au regard de la protection offerte aux journalistes de préserver la confidentialité de leurs sources. La décision crée la controverse. La révélation des sources journalistes est par principe condamnable, sauf en des situations très particulières où la divulgation de la source permet d’assurer, de manière indispensable, un procès équitable au prévenu44. Or, ici, comme l’avait considéré la Cour suprême norvégienne, le mis en cause avait lui-même révélé la nature des échanges avec la journaliste, de sorte que l’obligation de témoigner adressée à cette dernière ne contrevenait pas à la préservation du secret des sources. Le croisement des deux témoignages aurait permis d’éclairer significativement l’instruction sur les circonstances du contact établi45. Il est donc avéré que, même en des circonstances justifiées, la protection des sources offre une impunité in extenso aux journalistes au détriment de la conduite de la procédure.

À titre de comparaison, outre la réglementation de certaines professions, la divulgation du secret des correspondances est sanctionnée en droit interne aux termes de l’article 226-15 du Code pénal. La Cour européenne a d’ailleurs admis une telle sanction dans une affaire suisse où un journaliste avait fait paraître dans un article les correspondances entre un prévenu et un juge d’instruction. Les juges européens ont considéré que les juridictions suisses n’avaient pas violé l’article 10 de la Convention en condamnant le journaliste à une amende de 4 000 francs suisses46. Dès lors, s’il est pleinement cohérent que la divulgation de certaines correspondances puisse être admise selon un contrôle classique de proportionnalité, la position de la Cour européenne sur la révélation exceptionnelle d’une source journalistique limitée aux droits de la défense du prévenu est critiquable. La position est d’ailleurs plus souple en droit interne : l’article 2, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 autorise la divulgation exceptionnelle d’une source journalistique pour un intérêt public et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

Certains estiment alors que toute méthodologie serait vaine en ce que la mise en balance du respect de la personnalité avec la liberté d’expression ne dépendrait que du bon vouloir des juges, au point de n’être qu’une illusion d’optique47. Pour d’autres, l’équilibre normatif est apprécié48 de telle sorte que les habiletés journalistiques sont sanctionnées lorsqu’elles portent atteinte à l’intérêt général. Dans l’affaire Radio France contre France du 30 mars 2004, sur le terrain de la diffamation, la Cour européenne a ainsi jugé que les journalistes devaient « agir de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique »49. Cette appréciation déontologique de la profession devrait s’articuler avec l’atteinte au secret des sources. Ainsi, dans la pesée des intérêts, le comportement de mauvaise foi d’un journaliste pourrait justifier l’injonction de révéler sa source pour un intérêt supérieur.

La dissonance de traitement à la faveur des journalistes sert à protéger l’activité de la presse et des médias. L’autre explication tient à la variété des faits justificatifs des propos diffamatoires, qui renforce tout autant la parole publique au détriment du respect de l’honneur.

B – La liberté d’expression valorisée par les faits justificatifs

La bonne foi comme offre de preuve contraire en matière de diffamation. En matière de diffamation, l’élément moral se révèle par déduction. Sous cet aspect, il est question de présomption de mauvaise foi en ce sens que la nature des propos détermine l’intention de l’auteur d’être diffamant50. Au regard de la Convention européenne, de telles présomptions ne sont pas prohibées, à condition que les États les enserrent « dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense »51. Seules la bonne foi52, l’exception de vérité, l’absence d’imputation d’un fait précis53 et l’excuse de provocation comme fait justifiant la riposte à une injure54 permettent d’écarter la caractérisation du délit.

Pour que la bonne foi soit un fait justificatif recevable, le mis en cause doit démonter les raisons objectives de son propos selon quatre critères dégagés par la jurisprudence : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’expression et le sérieux de l’enquête55. Cependant, par le contrôle de conventionnalité, la Cour de cassation a simplifié la méthode. Elle estime désormais que les juges doivent rechercher, en application de l’article 10 « tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’Homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante56, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression »57. Cette nouvelle lecture permet surtout de mettre fin à une analyse trop disparate aux fins d’éviter les contradictions de motifs58, à tel point que l’on peut se demander si les critères européens sont véritablement cumulatifs59. Partant, lorsque des éléments factuels permettent de s’assurer que les propos ont été soutenus conformément aux diligences requises tant par l’auteur des propos que le directeur de la publication, la bonne foi permet d’exclure leur responsabilité60.

La bonne foi, comme principe régulateur. D’autres outils sont à l’attention particulière des journalistes agissant de bonne foi. L’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit l’interdiction de publier des actes d’accusation avant la lecture de ces actes en audience publique. L’article 41 pose une présomption d’immunité pour les journalistes de bonne foi, à savoir ceux qui rendent fidèlement compte des éléments débattus en audience judiciaire. Plus globalement, l’article 27 relatif au délit de publication de nouvelles fausses implique que soient rapportés, par le ministère public, la fausseté des propos publiés, leur trouble à la paix publique, mais aussi et surtout la mauvaise foi de l’auteur de la publication61. Ainsi, l’imputation d’un tel délit recule considérablement au profit de l’action en diffamation, dont la matérialité des propos suffit à faire présumer l’intention de mauvaise foi. Dans un tout autre volet, l’accord de la personne placée en détention pour utiliser son image incombe à l’auteur de la publication62. On conviendra donc que la variété des faits justificatifs de bonne foi ne fait que renforcer un contrôle des intérêts en présence, en la faveur quasi indiscutable de la liberté d’expression.

Le « doublon » avec l’exceptio veritatis en matière de diffamation. En plus de la bonne foi, dont le régime a été construit par la jurisprudence, l’exception de vérité est le fait justificatif légal de la diffamation. Conformément aux articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, exception faite de l’injure car ne pouvant être justifiée par nature63. L’exactitude ou la précision des propos tenus n’est pas une condition pour écarter l’incrimination, encore faut-il que les éléments rapportés reposent sur une base factuelle suffisante pour que la diffamation vraie soit impunie64. La Cour de cassation a ainsi pu juger « erroné » le motif d’une cour d’appel « selon lequel le caractère diffamatoire des propos résulterait des erreurs qu’ils contiennent »65. Il faut donc comprendre que l’exception de vérité ne signifie pas que la vérité écarte la diffamation, mais que l’intérêt social d’informer le public l’emporte sur l’honneur d’une personne pour un fait la concernant.

Mais alors que la bonne foi peut être prouvée lorsqu’elle repose sur une base factuelle suffisante, l’autonomie de lexceptio veritatis interroge66. Est-il bien pertinent de distinguer la vérité d’une information des propos de bonne foi fondés sur la vraisemblance d’une information, sauf à ce que la première puisse être divulguée sans prudence dans l’expression, au risque d’entrer dans le giron de l’injure ? Les critères de la bonne foi, notamment la base factuelle suffisante, suffiraient à englober tous les cas de figure. En réalité, le distinguo provient d’une volonté des juges et du législateur de faire prévaloir la vérité à la diffamation, en toutes circonstances. Avec un tel cumul, il est manifeste que la protection de l’honneur perd en lisibilité dans une multitude de critères d’exception. Pour résumer, dans le positionnement hiérarchique des faits justificatifs, l’exceptio veritatis se positionnerait au-dessus de la bonne foi car l’information vraie ne nécessiterait aucune délicatesse particulière de son auteur. La frontière reste cependant ténue. Sur un plan pratique, une information vraie divulguée avec animosité peut relever d’une atteinte à la vie privée. En outre, au sommet des valeurs protégées règnent les droits de la personnalité préservés des faits justificatifs, ce qui confirme que le respect de l’honneur, dans son aspect pénal, persiste à être une valeur relative.

Le respect de l’honneur préservé des faits justificatifs. L’impossibilité de soulever l’exceptio veritatis lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne67 répond à cette logique protectrice. En effet, même si, dans la balance des intérêts, le seul droit au respect de la vie privée peut céder sur le droit à la liberté d’expression, la solution est en sens contraire lorsque la diffamation fait doublon avec l’atteinte à la vie privée. Dans ce cas précis, le secret de la vie privée l’emporte sur la vérité diffamatoire car la sphère de la personnalité occupe le rang de valeur supérieure. Il en est de même pour ce qui relèverait d’une vérité injustifiable ou immorale, tenant lieu du domaine des discriminations68.

À titre résiduel, avant leur abrogation par le Conseil constitutionnel69, deux exceptions à la preuve de la vérité des faits diffamatoires posées par l’ancien article 35 de la loi du 29 juillet 1881 venaient assurer le respect de l’honneur : la violation du secret des faits pardonnés et la divulgation de faits anciens de plus de dix ans. Pour les faits amnistiés, la chambre criminelle a tout de même posé une limite au rappel d’une décision amnistiée dans la preuve de la vérité diffamatoire, par une sorte de clin d’œil à l’article 133-11 du Code pénal70 : si la vérité des faits diffamatoires peut être prouvée lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée, cette preuve ne peut être rapportée lorsque l’imputation consiste dans le rappel de la condamnation amnistiée elle-même71. Malgré tout, en dépit du rappel possible d’une procédure en cours, des faits anciens ou sujets au droit à l’oubli ne peuvent être débusqués pour troubler la paix des intéressés. Sinon, l’atteinte à l’honneur peut être débattue dans l’exercice du droit au respect de la vie privée.

La Cour de cassation a ainsi fait preuve d’une pédagogie remarquable sur ce que représente un abus de publication portant atteinte au respect de la vie privée. Dans un arrêt du 17 février 2021, elle a considéré que, si le droit au respect de la vie privée « ne peut être invoqué pour se plaindre d’une atteinte à la réputation qui résulterait de manière prévisible des propres actions de la personne, telle une infraction pénale, la mention dans une publication des condamnations pénales dont une personne a fait l’objet, y compris à l’occasion de son activité professionnelle, porte atteinte à son droit au respect dû à sa vie privée ». Ainsi, le droit à l’oubli d’une condamnation pénale non amnistiée au moment de sa publication impose que des informations qui sont déjà dans le domaine public ne soient pas soustraites de la protection de l’article 8 de la Convention, « l’intérêt à publier ces informations devant être mis en balance avec des considérations liées à la vie privée »72. Il ne suffit donc pas qu’une information soit rendue publique pour qu’elle puisse être diffusée dans n’importe quel contexte, encore faut-il que l’information, même d’intérêt général, vienne nourrir le débat. Un tel resserrement des clapets de la liberté d’expression au profit de la vie privée renforce l’obligation de diligence dans la diffusion de l’information, au bénéfice de la personnalité des justiciables. La vie privée vient ainsi au renfort de l’honneur et comble le hiatus qui sévissait par l’exigence de l’allégation dégradante propre à l’injure ou à la diffamation.

Pour autant, l’opportunité d’invoquer d’autres droits de la personnalité (droit au respect de la vie privée, droit à l’image, droit à l’oubli, etc.) complexifie la recherche de moyens à soulever dans les différents champs d’imputabilité. En définitive, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et l’article 9-1 du Code civil mériteraient d’être relayés dans une complémentarité de nature à justifier des restrictions à la liberté d’expression.

III – Une complémentarité à renforcer

Le droit au respect de la présomption d’innocence et le délit d’injure ou de diffamation nécessitent d’être harmonisés dans les mesures de cessation du trouble à l’honneur (A). Au bout du compte, les disparités interprétatives dans les moyens d’action et de sanction laissent place au constat d’une méthodologie perfectible (B).

A – Un manque d’harmonisation dans les mesures de protection

Les mesures réparatrices. Qu’il s’agisse de l’article 9-1 du Code civil ou de l’injure et de la diffamation, le droit de réponse souscrit aux exigences de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881. Aux termes de son dernier alinéa, « toute personne nommée ou désignée dans un journal ou écrit périodique à l’occasion de l’exercice de poursuites pénales peut également exercer l’action en insertion forcée, dans le délai de trois mois à compter du jour où la décision de non-lieu dont elle fait l’objet est intervenue ou celle de relaxe ou d’acquittement la mettant expressément ou non hors de cause est devenue définitive »73. Ce même droit est plus largement assuré avec l’article 6 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, à condition cette fois que l’atteinte soit préalablement caractérisée.

Par son caractère imminent, le référé est l’action de prédilection pour faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, même si le jugement au fond, assorti d’une injonction de diffuser un communiqué ou un rectificatif, peut lui être préféré, notamment en matière de diffamation. Que ce soit en matière civile ou pénale, le juge peut prendre toute mesure pour faire cesser l’atteinte, telles que l’insertion d’un communiqué ou d’un rectificatif, sous réserve du caractère proportionné du dispositif74 et des modalités employées75. Dans l’arrêt rendu par la chambre criminelle du 8 janvier 2019, les conseillers ont sanctionné les juges du fond sur le manque de motivation de la mesure de publication pour la durée d’un mois consécutif sur la page d’accueil du site internet d’un journal quotidien, considérée comme exceptionnelle, et sur l’absence de justification de la mesure en lien avec le préjudice invoqué par la partie civile. Ici, le rapport de proportionnalité est pleinement respecté car la portée de la mesure envisagée est analysée au regard du préjudice allégué par la partie civile, conformément au principe de réparation intégrale sans perte ni profit.

Les mesures conservatoires. L’analyse se complexifie lorsque la mesure demandée est concomitante d’un trouble futur à l’honneur. Il se peut en effet que l’interdiction de la publication d’un livre ou la diffusion d’un film soit de nature à garantir le respect de l’honneur. Dans l’arrêt rendu par la première chambre civile du 6 janvier 2021, la demande d’interdiction de la sortie du film sollicitée par la personne ayant inspiré son contenu a été jugée disproportionnée. La haute cour a considéré, d’une part, que les juges du fond avaient statué sur une absence de culpabilité tenue pour acquise de l’intéressé, et, d’autre part, que la durée d’interdiction aurait été excessive en l’attente d’une décision définitive de culpabilité. De toute évidence, le contrôle des juges sur le caractère proportionné de la mesure préventive échappe à la rigueur habituelle que l’on retrouve en matière de faits justificatifs d’atteinte à l’honneur. Or, ne faudrait-il pas mettre en balance la pertinence d’un propos litigieux et les conséquences réelles vécues par la personne visée ? Ce travail didactique des juges imposerait non seulement d’apprécier la proportionnalité de la mesure par la contextualisation de l’œuvre, mais aussi d’observer le rapport entre l’interdiction de diffusion de l’œuvre et les conséquences néfastes vécues par l’intéressé en raison d’une culpabilité présupposée dans l’esprit du public. Dans cette affaire Grâce à Dieu, les juges ont écarté l’existence de conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité d’une personne en se fondant sur quatre éléments : une fiction inspirée de faits réels, une actualité, des précautions de diffusion rappelant qu’il s’agit d’une œuvre de l’esprit, et des faits déjà connus du public. Or, malgré un rappel de l’arrêt de la Cour européenne Bédat contre Suisse, cet ensemble a été apprécié sans qu’un réel rapport de proportionnalité ait été exposé sur les conséquences de la diffusion du film dans la conduite de la procédure pénale de l’intéressé.

D’ailleurs, en sens contraire, les conseillers du Quai de l’Horloge exercent un contrôle soutenu sur l’évaluation des faits caractérisant l’atteinte à la présomption d’innocence. Dans l’arrêt du 18 janvier 2023, la première chambre civile a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, laquelle s’était abstenue de mentionner les passages précis des différents éléments de la publication litigieuse fondant son appréciation, pour condamner l’association en cause76.

Ces disparités appréciatives dans les moyens d’action mettent en lumière une méthodologie carencée du respect de l’honneur.

B – Une méthodologie perfectible de la protection de l’honneur

Un corpus de règles désordonnées. Assurer le droit au respect de l’honneur implique une compréhension avertie par les juristes de la loi du 29 juillet 1881. Les dispositions de cette dernière sont désordonnées et manquent souvent de clarté. Son régime hybride est sujet à des acrobaties textuelles sans cesse nourries par la loi. À titre d’exemple, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a modifié l’article 397-6 du Code de procédure pénale en y ajoutant un alinéa prévoyant le recours aux voies rapides de jugement (convocation par procès-verbal, procédures de comparution immédiate et comparution à délai différé) pour certains délits de presse77. Dans la même veine, le Conseil constitutionnel est intervenu pour censurer les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, ajoutées par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, qui excluaient l’application des III à VIII de l’article 175 du Code de procédure pénale. Ainsi, à l’issue de l’avis de l’instruction, la personne mise en examen pour injure ou diffamation ne pouvait présenter une demande d’acte, des observations écrites ou des requêtes en nullité de pièces ou d’actes de la procédure78. Deux années et demie plus tard, par une autre question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a une fois encore censuré des dispositions de l’article 51-1 qui ne prévoyaient pas pour la personne dont la mise en examen était envisagée d’être avisée de son droit de se taire79.

De toute évidence, l’enchevêtrement des textes et les multiples dérogations de la loi de 1881 entretiennent une confusion pour les justiciables contraire à l’esprit de la manière pénale, d’interprétation stricte. Comme l’ont d’ailleurs écrit messieurs Bernard Beignier et Baptiste Daligaux, la loi du 29 juillet 1881 « ressemble de plus en plus à un navire risquant le naufrage par une gîte douteuse »80. Il est d’autant moins explicable que l’article 9-1 du Code civil, en tant que droit de la personnalité, puise ses fondements dans une loi spéciale de nature pénale. Un possible aménagement serait de réordonner la loi en y créant un chapitre spécifique « du respect de l’honneur » pour y regrouper toutes les règles à la fois distinctives et communes entre l’article 9-1 du Code civil et l’article 29 de ladite loi.

Des liens de rattachement à établir. Les auteurs du Traité du droit de la presse et des médias ont émis une grille d’analyse intéressante en matière de droit au respect de la vie privée, qu’il pourrait être envisageable de transposer en matière de droit au respect de la présomption d’innocence. Ces auteurs ont proposé d’adopter une méthode objective d’appréciation, en déterminant les éléments propices à l’atteinte au respect de la vie privée81.

En fonction du degré de gravité de l’atteinte reprochée à la personne, plusieurs liens de rattachement avec la culpabilité devraient être établis afin de considérer qu’ils emporteraient la conviction du public. La méthode serait propice à ne pas empiéter sur le terrain de la diffamation et satisferait la voie privilégiée par le rapport Guigou. Premièrement, une conception large de l’atteinte à la présomption d’innocence pourrait être d’imputer l’atteinte à chaque fois qu’une déclaration publique serait dépourvue de conditionnel. Il pourrait aussi s’agir d’évaluer ab initio le préjudice que subirait le destinataire du méfait reproché, de sorte que, dans une vision arbitrale des normes, un préjudice minime serait sauvé par la primauté accordée à la liberté d’expression. Deuxièmement, une conception plus étroite consisterait à s’en tenir à une appréciation de la culpabilité guidée par le contrôle de proportionnalité. En tout état de cause, la mise en balance des intérêts en présence reste essentielle.

Un contrôle de proportionnalité à simplifier. Le contrôle de proportionnalité pourrait gagner en lisibilité en mettant fin aux quatre critères traditionnels permettant de renverser la présomption de mauvaise foi en matière de diffamation (légitimité du but poursuivi, absence d’animosité personnelle, prudence dans l’expression, et sérieux de l’enquête). La mise en balance de la liberté d’expression prévue par l’article 10 de la Convention européenne, et la caractérisation d’une médisance portant atteinte à l’honneur serait suffisante, qu’il s’agisse d’atteinte à la présomption d’innocence, d’injure ou de diffamation. Ainsi conviendrait-il de s’en tenir à la tolérance de propos dans le cadre d’un débat d’intérêt général et reposant sur une base factuelle suffisante, laquelle inclut la légitimité du but de l’information et l’enquête sérieuse. Et le ton est d’ailleurs donné par la Cour de cassation : « Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime »82.

Conclusion. S’il semble délicat de se fonder sur un droit des droits au respect de l’honneur, le régime de l’article 9-1 du Code civil et celui de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 peuvent davantage s’harmoniser. De plus, l’incrimination d’autres délits et le droit au respect de la vie privée offrent un champ jurisprudentiel limitant l’exercice de la liberté d’expression. En définitive, en retenant une interprétation élargie de l’honneur, un meilleur contrôle des données publiques diffusées sur les personnes permet de renforcer l’ordre public informationnel.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Corneille, Le Cid, acte II, scène 3.
  • 2.
    E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, 2e éd., 2008, Litec, p. 93.
  • 3.
    Cass. crim., 28 févr. 1995, n° 93-80572, D. La distinction n’est pas toujours simple, une invective injurieuse peut faire référence, dans l’esprit de celui qui l’utilise, à un événement particulier, auquel cas c’est la diffamation qui devrait être retenue.
  • 4.
    C. pén., art. 226-10.
  • 5.
    M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, 2018, Dalloz, p. 594, n° 519.
  • 6.
    DDHC, art. 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ».
  • 7.
    Conv. EDH, art. 6, § 2 : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » – PIDCP, art. 14, § 2 : « Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » – Charte UE, art. 48, § 1 : « Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
  • 8.
    DDHC, art. 11, § 1 : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».
  • 9.
    CPP, art. 149 – CPP, art. 149-1. Le rapport Guigou a déploré le manque de rigueur sémantique de certaines dispositions du Code de procédure pénale, comme l’article 144, 6°, du Code de procédure pénale qui pose comme critère de placement ou de prolongement de la détention provisoire celui de « mettre fin à l’infraction ou son renouvellement », ce qui revient à considérer que la personne détenue est la personne auteur des faits reprochés, v. Ministère de la Justice, rapp., oct. 2021, La présomption d’innocence : un défi pour l’État de droit, E. Guigou (dir.), p. 55. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs rappelé que « ces mesures soient prononcées selon une procédure respectueuse des droits de la défense et apparaissent nécessaires à la manifestation de la vérité, au maintien de ladite personne à la disposition de la justice, à sa protection, à la protection des tiers ou à la sauvegarde de l’ordre public » (Cons. const., QPC, 17 déc. 2010, n° 2010-8017).
  • 10.
    Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n° 11-28406 : Bull. civ. I, n° 77, un médecin avait affiché une décision de condamnation de son associé pour abus de confiance sur la porte de son cabinet médical. Le communiqué ne précisait pas si le mis en cause avait interjeté appel de la décision, et ses moyens de défense n’étaient pas exposés.
  • 11.
    JCl. Communication, fasc. 42, n° 2, Protection de la présomption d’innocence. – Conditions du droit au respect de la présomption d’innocence, 25 mars 2020, S. Detraz.
  • 12.
    Cass. crim., 15 déc. 2020, n° 19-87324, D : « Il appartient de contrôler l’appréciation des juges sur le sens et la portée des propos litigieux, ceux-ci ne contenaient pas l’imputation à M. S… d’un fait contraire à son honneur ou à sa considération, un tel caractère ne pouvant résulter de la seule expression, par le prévenu, d’une opinion péjorative sur le mouvement social auquel il reprochait à la partie civile d’avoir participé ».
  • 13.
    S. Detraz, « La prétendue présomption d’innocence », Dr. pén. 2004, n° 3, chron. 3, n° 20 ; C. Bigot, Pratique du droit de la presse, 3e éd., 2020, Dalloz, n° 432.13.
  • 14.
    E. Ravanas, « La liberté d’information par la presse sur les affaires judiciaires en cours », JCP G 2002, n° 41, II 10152 ; E. Dreyer, « Droits de la presse et droits de la personnalité », D. 2011, p. 780 ; P. Auvret, « Le droit au respect de la présomption d’innocence », JCP G 1994, n° 47, doctr. 3802 ; H. Bureau, « La présomption d’innocence devant le juge civil. Cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil », JCP G 1998, n° 40, doctr. 166, n° 13 ; E. Garaud, « Vie privée – L’article 9-1 du Code civil comme rempart aux dérives de la presse : le droit au respect de la présomption d’innocence est-il trop faiblement protégé ? », JCP G 2003, n° 25, II 10101 ; A. Bergeaud-Wetterwald, « Le droit au respect de la présomption d’innocence », in J. Saint-Pau (dir.), Les droits de la personnalité, 2013, LexisNexis, n° 1792 ; JCl. Communication, fasc. 42, nos 30 et 34, Protection de la présomption d’innocence. – Conditions du droit au respect de la présomption d’innocence, mars 2020, S. Detraz : c’est un droit contingent conditionné à des procédures pénales.
  • 15.
    F. Rousseau, « La protection pénale de l’honneur », in J.-C. Saint-Pau (dir.), Les droits de la personnalité, 2013, LexisNexis, n° 1647, p. 946.
  • 16.
    V. note 35.
  • 17.
    L’article 48, 6°, de la loi du 29 juillet 1881 rappelle : « Dans le cas de diffamation envers les particuliers et dans le cas d’injure, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée. Toutefois, la poursuite pourra être exercée d’office par le ministère public lorsque la diffamation ou l’injure aura été commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La poursuite pourra également être exercée d’office par le ministère public lorsque la diffamation ou l’injure aura été commise envers un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ; il en sera de même lorsque ces diffamations ou injures auront été commises envers des personnes considérées individuellement, à la condition que celles-ci aient donné leur accord ».
  • 18.
    Cass. 1re civ., 30 oct. 2013, n° 12-28018, D : « Il résulte de ce texte que l’atteinte à la présomption d’innocence suppose que la personne soit publiquement présentée comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, ou d’une condamnation pénale non encore irrévocable ».
  • 19.
    Telles que l’Autorité de la concurrence, l’Autorité des marchés financiers ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel (v., par ex., Cass. com., 1er déc. 1998, n° 96-20189 : Bull. civ. IV, n° 283, p. 237).
  • 20.
    S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 11e éd., 2018, LexisNexis, p. 315.
  • 21.
    Ministère de la Justice, rapp., oct. 2021, La présomption d’innocence : un défi pour l’État de droit, E. Guigou (dir.), p. 70.
  • 22.
    La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé que « le droit au respect de la présomption d’innocence est celui de ne pas être présenté publiquement comme coupable d’une infraction, tant qu’une procédure pénale est en cours », de sorte qu’« en l’absence d’une telle procédure, les propos imputant à autrui une infraction sont susceptibles de caractériser une diffamation » (Cass. 1re civ., 16 févr. 2022, n° 21-10211, B : Comm. com. électr. 2022, comm. 35, note A. Lepage ; JCP G 2022, doctr. 925, n° 13, note B. Beignier).
  • 23.
    V. II, B.
  • 24.
    Cass. 2e civ., 4 déc. 1996, n° 94-18896 : Bull. civ. II, n° 279, p. 169.
  • 25.
    Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 01-10426 : Bull. civ. II, n° 387, p. 323. Cette dernière solution a été entérinée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation (v. Cass. ass. plén., 21 déc. 2006, n° 00-20493 : Bull. civ. ass. plén, n° 15, p. 52).
  • 26.
    Lequel dispose : « L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait ».
  • 27.
    Comme le déplore Emmanuel Dreyer, « la Cour de cassation tisse une étroite parenté entre les délits de presse et l’article 9-1 du Code civil, qui permet à ce dernier de gagner une autonomie substantielle mais de perdre toute efficacité procédurale en étant bousculé, de ce point de vue, dans les règles rigoureuses et complexes du droit de la presse » (in B. Beignier, E. Dreyer et B. de Lamy (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, 2009, Litec, p. 988).
  • 28.
    Ministère de la Justice, rapp., oct. 2021, La présomption d’innocence : un défi pour l’État de droit, E. Guigou (dir.), p. 71.
  • 29.
    Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, n° 04-11731 : Bull. civ. I, n° 89, p. 84 – Cass. 1re civ., 8 nov. 2017, n° 16-23779.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 28 juin 2007, n° 06-14185 : Bull. civ. I, n° 247, « l’auteur de l’action civile qui est fondée sur le délit de diffamation et est exercée devant le juge pénal ne peut plus agir en réparation devant le juge civil en raison des mêmes faits sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil ».
  • 31.
    Cass. ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10672, Cesareo : Bull. civ. ass. plén., n° 8 ; D. 2006, p. 2135, note L. Weiller.
  • 32.
    Cass. crim., 15 déc. 2021, n° 21-81864 : D. 2022, p. 154, note G. Beaussonie – CEDH, 8 oct. 2020, n° 67334/13, Bajcic c/ Croatie.
  • 33.
    Cass. 1re civ., 20 mars 2007, n° 05-21541 : Bull. civ. I, n° 124 ; JCP G 2007, II 10141, note E. Derieux.
  • 34.
    Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n° 96-17147 : Bull. civ. I, n° 313.
  • 35.
    Cass. ass. plén., 12 juill. 2000, n° 98-10160 – Cass. ass. plén., 12 juill. 2000, n° 98-11155 : Bull. ass. plén., n° 8 : JCP G 2000, II 10352, note E. Derieux, aux termes de ces deux arrêts, il fallait seulement comprendre qu’en dehors des abus de la liberté d’expression réprimés par la loi du 29 juillet 1881, l’article 1240 du Code civil (1382 anc.) trouvait à s’appliquer, notamment en cas de dénigrement du justiciable (v. Cass. 1re civ., 5 déc. 2006, n° 05-17710 : Bull. civ. I, n° 532, p. 472). La solution semble s’être consolidée depuis les années 2013-2014, puisque la Cour de cassation a jugé que « la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi » (Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n° 12-10177 : Bull. civ. I, n° 67 – Cass. 1re civ., 22 janv. 2014, n° 12-35264 : Bull. civ. I, n° 10). Le droit commun de la responsabilité civile n’a donc plus vocation à être invoqué sur le terrain de l’abus à la liberté d’expression, sous l’importante réserve du dénigrement des produits et services, Cass. 1re civ., 25 mars 2020, n° 19-11554, FS-PB.
  • 36.
    Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 13-19455 : Bull. civ. I, n° 26 – Cass. 1re civ., 8 nov. 2017, n° 16-23779 : Comm. com. électr. 2018, chron. 4, n° 3, note C. Bigot.
  • 37.
    Cass. 1re civ., 13 sept. 2023, n° 22-20947, D.
  • 38.
    Cass. 1re civ., 12 sept. 2019, n° 18-23108.
  • 39.
    Au visa de l’article 564 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a d’ailleurs estimé que la prescription opposée en cause d’appel se rattachait à la demande initiale pour faire échec aux prétentions adverses (Cass. 2e civ., 27 févr. 2020, n° 18-19367, FS-PBI). Une telle position est d’ailleurs confortée par l’article 2248 du Code de procédure civile selon lequel « la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel » ou par l’article 122 du Code de procédure civile qui dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
  • 40.
    CEDH, 18 févr. 2016, nos 6091/06, 4047/07 et 4070/07, Rywin c/ Pologne.
  • 41.
    CEDH, 12 juill. 2016, n° 50147/11, Reichman c/ France, § 56.
  • 42.
    V., par ex., CEDH, 10 juin 2003, n° 33348/96, Cumpănă et Mazăre c/ Roumanie.
  • 43.
    CEDH, 5 oct. 2017, n° 21272/12, Becker c/ Norvège.
  • 44.
    CEDH, 22 nov. 2007, n° 64752/01, Voskuil c/ Pays-Bas, § 67.
  • 45.
    CEDH, 5 oct. 2017, n° 21272/12, Becker c/ Norvège, § 81.
  • 46.
    CEDH, 29 mars 2016, n° 56925/08, Bédat c/ Suisse.
  • 47.
    B. Beignier, E. Dreyer et B. de Lamy (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, 2009, Litec, n° 1686-1687 : « Il n’empêche qu’en pratique, il est difficile, dans un certain nombre de cas, de prévoir les solutions que les juges adopteront et de rendre compte, à partir de critères suffisamment nets, des nuances de la jurisprudence au sujet des conclusions définitives » ; E. Garaud, « L’article 9-1 du Code civil comme rempart aux dérives de la presse : le droit au respect de la présomption d’innocence est-il trop faiblement protégé ? », JCP G 2003, n° 25, II 10101. CA Paris, 31 mars 2021, n° 19/19081, saisis de la mise en cause personnelle d’un individu, dans le cadre d’une campagne de dénonciation générale de faits d’agressions sexuelles, les premiers juges y ont vu une diffamation justifiant condamnation. En sens contraire, la cour d’appel, a accordé le bénéfice de la bonne foi en faisant prévaloir la liberté d’expression, à l’occasion d’un débat d’intérêt général.
  • 48.
    A. Bergeaud-Wetterwald, « Le droit au respect de la présomption d’innocence », in J. Saint-Pau (dir.), Les droits de la personnalité, 2013, LexisNexis, p. 1091 ; B. Beignier, E. Dreyer et B. de Lamy (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, 2009, Litec, nos 135 et s., spéc. n° 171. Le contrôle de proportionnalité devrait s’exercer systématiquement par un contrôle de conventionnalité de l’article 10 de la Convention européenne au regard de l’intérêt général ou non de l’allégation publiée, v. Cass. 1re civ., 6 janv. 2021, n° 19-21718 : RJPF 2021, n° 2, note S. Cacioppo et E. Putman ; D. 2021, p. 780, note S. Detraz.
  • 49.
    CEDH, 30 mars 2004, n° 53984/00, Radio France c/ France, § 37.
  • 50.
    Cass. crim., 29 nov. 1994, n° 92-85281 – Cass. crim., 29 nov. 1994, n° 92-82815 : Bull. crim., n° 382.
  • 51.
    CEDH, 7 oct. 1988, n° 10519/83, Salabiaku c/ France, § 31 – CEDH, 30 mars 2004, n° 53984/00, RadioFrance c/ France, § 24.
  • 52.
    L., 29 juill. 1881, art. 35, al. 4. V., par ex., Cass. 1re civ., 11 mai 2022, n° 21-16156 – Cass. 1re civ., 11 mai 2022, n° 21-16497 : JCP G 2022, n° 20-21, comm. 636, note E. Dreyer.
  • 53.
    L., 29 juill. 1881, art. 35 et 55. V. Cass. crim., 26 mai 2021, n° 20-80884, D. : « Il doit donc désormais être jugé que le prévenu qui a offert de prouver la vérité des faits diffamatoires conformément aux articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse reste recevable à soutenir, lors des débats au fond, que les propos poursuivis ne renferment pas l’imputation ou l’allégation d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité ».
  • 54.
    Cass. crim., 24 nov. 2009, n° 09-83256 : Bull. crim., n° 193 : « Attendu qu’en l’état de ces énonciations, desquelles il résulte que les injures incriminées n’étaient pas absorbées par des propos contenant l’imputation de faits précis portant atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile, et qu’elles ne constituaient pas une riposte immédiate et irréfléchie à une provocation ». À cet égard, « la provocation doit résulter de propos, d’écrits injurieux, et de tous autres actes de nature à atteindre l’auteur de l’infraction, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux », v. Cass. crim., 10 mai 2006, n° 05-82971 : D. 2006, p. 2220, note E. Dreyer.
  • 55.
    P. Wachsmann, « Les éléments constitutifs de la bonne foi en matière de diffamation et les exigences européennes », D. 2021, p. 1727. Il appartient donc au prévenu de rapporter la preuve au soutien de l’exception de bonne foi (v. Cass. crim., 5 sept. 2023, n° 22-84234 : Légipresse 2023, p. 450).
  • 56.
    Avec les précisions dernièrement apportées par la chambre criminelle, « notions qui recouvrent celles de légitimité du but de l’information et d’enquête sérieuse » (v. Cass. crim., 5 sept. 2023, n° 22-84234 – Cass. crim., 5 sept. 2023, n° 22-84763, F-B).
  • 57.
    Cass. crim., 21 avr. 2020, n° 19-81172, D – Cass. 1re civ., 11 mai 2022, n° 21-16156 – Cass. 1re civ., 11 mai 2022, n° 21-16497 : JCP G 2022, n° 20-21, comm. 636, E. Dreyer.
  • 58.
    Cass. crim., 21 avr. 2020, n° 19-81172, D : « S’agissant de M. B…, en premier lieu, les juges se sont contredits en reconnaissant qu’il pouvait dénoncer des dysfonctionnements de l’ONF imputables à des collègues de M. W…, tout en lui déniant la légitimité du but qu’il poursuivait en informant les maires concernés de ces dysfonctionnements, qui constituaient pourtant pour eux un sujet d’intérêt général. Ils ne pouvaient, en second lieu, se prononcer sur la bonne foi de ce prévenu, en qualifiant ses propos d’attaques personnelles dénuées de prudence, sans examiner si ceux-ci reposaient sur une base factuelle suffisante ».
  • 59.
    Cass. crim., 13 sept. 2022, n° 21-81655 : RJPF 2022, n° 10, note S. Cacioppo.
  • 60.
    Cass. crim., 7 mai 2018, n° 17-82663.
  • 61.
    Certes, la jurisprudence a déduit de ce comportement de mauvaise foi l’adhésion du directeur de la publication aux propos mensongers (v. Cass. crim., 7 nov. 1963, n° 62-92445 : Bull. crim., n° 314).
  • 62.
    Aux termes d’un arrêt récent, un directeur de la publication d’un quotidien avait publié la photographie d’un individu mis en cause dans une affaire d’assassinat, alors que ce dernier était encadré par des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et n’avait pas fait l’objet d’un jugement de condamnation (Cass. crim., 12 janv. 2021, n° 20-83031 : Dr. pén. 2021, comm. 48, note P. Conte). La Cour a d’abord considéré qu’il ne saurait être fait grief aux juges du fond « de ne pas avoir recherché l’éventuel accord de l’intéressé à la diffusion de sa photographie, alors que la charge de la preuve d’un tel consentement pèse sur le prévenu ». Ils ont ensuite déclaré que « la seule diffusion, en connaissance de cause, quel qu’en soit le motif, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable, sans autorisation de celle-ci, faisant apparaître qu’elle est placée en détention provisoire, suffit à caractériser l’infraction prévue à l’article 35 ter de la loi précitée ». Ainsi n’est-il pas exigé que la diffusion incriminée soit effectuée en vue de porter atteinte à la présomption d’innocence de la personne concernée.
  • 63.
    E. Dreyer, Responsabilité civile et pénale des médias, 2e éd., 2008, Litec, p. 245.
  • 64.
    M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, 2018, Dalloz, n° 551, p. 637.
  • 65.
    Cass. crim., 20 juin 2017, n° 16-83855, D. Mutatis mutandis avec la bonne foi, v. Cass. crim., 7 mai 2018, n° 17-82663 : « Qu’il suffit que les co-signataires de l’article aient disposé d’éléments de nature à étayer les deux séries d’imputations jugées diffamatoires, sans que puissent leur être reprochées des omissions ou approximations portant sur le détail des faits ».
  • 66.
    Cass. crim., 24 mai 2005, n° 03-86460 : Bull. crim., n° 155, p. 554 : « Le prévenu qui n’entend pas offrir la preuve de la vérité du fait diffamatoire ne saurait être déchu du droit d’exciper de sa bonne foi ». Dans la même logique, « le rejet de l’exception de vérité des faits diffamatoires ne met pas l’obstacle à ce que le prévenu invoque, pour démontrer sa bonne foi, les éléments de preuve qui avaient été produits au soutien de cette exception ». Dans la même logique, « le rejet de l’exception de vérité des faits diffamatoires ne met pas l’obstacle à ce que le prévenu invoque, pour démontrer sa bonne foi, les éléments de preuve qui avaient été produits au soutien de cette exception » (Cass. crim., 24 avr. 2001, n° 00-85175, D).
  • 67.
    L., 29 juill. 1881, art. 35, al. 3.
  • 68.
    L., 29 juill. 1881, art. 32.
  • 69.
    Cons. const., QPC, 20 mai 2011, n° 2011-131 : JO, 20 mai 2011 – Cons. const., QPC, 7 juin 2013, n° 2013-319 : JO, 9 juin 2013.
  • 70.
    « Il est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction. En outre, l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation ».
  • 71.
    Cass. crim., 3 nov. 2015, n° 14-83415, D.
  • 72.
    Cass. 1re civ., 17 févr. 2021, n° 19-24780 : D. 2021, p. 424, chron. X. Serrier ; D. 2021, p. 1784, chron. X. Serrier ; Légipresse 2021, p. 129 et 212, note C. Bigot ; RTD civ. 2021, p. 383, note A.-M. Leroyer ; JCP G 2021, 487, avis D. Legoherel ; JCP G 2021, 488, note G. Loiseau.
  • 73.
    Le droit de réponse est assorti de la décision d’acquittement de relaxe ou de non-lieu (v. Cass. crim., 21 janv. 1997, n° 96-80726 : Bull. crim., n° 19, p. 43).
  • 74.
    Cass. 1re civ., 6 janv. 2021, n° 19-21718 : « Il [l’arrêt d’appel] [énonce, enfin, que la suspension de la sortie du film jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale mettant en cause M. G… pourrait à l’évidence ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions telles qu’il en résulterait une atteinte grave et disproportionnée à la liberté d’expression ».
  • 75.
    Cass. crim., 8 janv. 2019, n° 17-85110, D : « Attendu que, pour confirmer la décision des premiers juges d’ordonner, à titre de réparation civile complémentaire, une mesure de publication d’un communiqué judiciaire, pour la durée d’un mois consécutif, tant sur la page d’accueil du site internet www.le.monde.fr, que sur la première page du journal Le Monde, en prescrivant que la taille des caractères du texte soit portée de 0,5 cm à 1,5 cm, l’arrêt prononce par les seuls motifs repris aux moyens ».
  • 76.
    Cass. 1re civ., 18 janv. 2023, n° 21-23789, D.
  • 77.
    « Par dérogation au premier alinéa du présent article, les articles 393 à 397-5 sont applicables aux délits prévus aux articles 24 et 24 bis ainsi qu’aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sauf si ces délits résultent du contenu d’un message placé sous le contrôle d’un directeur de la publication en application de l’article 6 de la même loi ou de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ».
  • 78.
    Cons. const., QPC, 14 sept. 2021, n° 2021-929/941 : JO n° 0216, 16 sept. 2021.
  • 79.
    Cons. const., QPC, 17 mai 2024, n° 2024-1088 : JO n° 0117, 22 mai 2024.
  • 80.
    B. Beignier et B. Daligaux, « Inconstitutionnalité de l’interdiction de soulever une nullité de procédure à l’issue d’une instruction pour injure ou diffamation publique », JCP G 2021, n° 43-44, 1126.
  • 81.
    B. Beignier, E. Dreyer et B. de Lamy (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, 2009, Litec, p. 896.
  • 82.
    Cass. 1re civ., 6 janv. 2021, n° 19-21718.
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