Chez les Surligneurs : JL Mélenchon se trompe sur l’apologie du terrorisme
Non, le gouvernement français n’est pas coupable d’apologie du terrorisme, contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur les fichés S, l’expulsion des étrangers en situation irrégulière et l’encadrement de l’IA.
Jean-Luc Mélenchon : « L’apologie du terrorisme c’est le soutien inconditionnel du gouvernement aux crimes de guerre à Gaza »
Depuis les attaques du Hamas en Israël, chacun accuse ses adversaires politiques d’apologie du terrorisme, une infraction pénale, avec sa propre définition plus ou moins erronée et surtout orientée. Jean-Luc Mélenchon convient que le gouvernement français serait coupable d’apologie du terrorisme par un « soutien inconditionnel (…) aux crimes de guerre à Gaza ».
Or, d’abord, l’État français n’est pas soumis au Code pénal pour des raisons évidentes : l’État a le monopole de la répression et il ne peut s’auto-réprimer. Jean-Luc Mélenchon vise alors peut-être des personnalités du gouvernement, mais il doit alors les nommer.
Ensuite, cette définition de l’apologie du terrorisme est totalement erronée.
L’article 421-2-5 du code pénal dispose : « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende », et jusqu’à « sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ».
La Cour de cassation a ensuite précisé les contours de ce délit. Pour qu’il y ait apologie du terrorisme, il faut que l’auteur encourage ou tente d’encourager publiquement d’autres personnes à porter un jugement favorable sur cet acte ou son auteur (Cass, crim., 11 déc. 2018). Le délit d’apologie ne vise pas une opinion et l’approbation simple ne suffit pas. Enfin, peu importe que l’apologie ait été ou non commise « en relation avec » un acte de terrorisme, c’est-à-dire en faisant référence à un acte précis, ou de manière générale en soutenant ce mode d’action.
Une fois cette définition fournie par la Cour de cassation, il faut l’appliquer. Pour chaque affaire, le juge pénal doit caractériser le délit d’apologie du terrorisme. Il peut s’agir par exemple d’une « assimilation, par glorification et héroïsation, aux auteurs des actes terroristes, et par extension un soutien à ces actes terroristes », ou du fait de présenter les terroristes comme des hommes “courageux” (Cass. crim. 27 novembre 2018, n° 17-83.602 et CEDH, 23 juin 2002, Rouillan c/ France).
Au regard des contours dégagés par la jurisprudence, le propos de Jean-Luc Mélenchon est donc erroné : un soutien politique – à supposer qu’il soit établi – n’est pas une apologie, et utiliser de façon erronée des qualifications pénales à des fins politiques ne contribue pas à éclairer le débat sur un sujet pourtant essentiel, à savoir la lutte contre le terrorisme.
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Être « fiché S », une raison suffisante pour être expulsé ou emprisonné ?
Dominique Bernard, professeur de français, a été tué vendredi 13 octobre par un homme dont on a appris qu’il était fiché S. Ségolène Royal a réagi sur son compte Twitter, estimant qu’”au vu des faits qui ont justifié ce classement “S”, ce dernier aurait dû être expulsé, emprisonné ou au minimum placé sous bracelet électronique. Être fiché S est-il une raison suffisante pour être expulsé ou emprisonné ?
La “fiche S” pour ”sûreté de l’État” est une des catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), fichier policier géré par le ministère de l’Intérieur. Une personne fichée S fait “l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard” (décret du 28 mai 2010). La fiche S ne “constitue pas un indicateur de la dangerosité des personnes, ni un outil destiné au suivi de la radicalisation”. Il s’agit d’un outil de renseignement qui permet de surveiller les individus et d’adapter la réponse des forces de l’ordre.
Les inscriptions dans ce fichier S peuvent concerner un grand nombre de personnes et n’exigent pas de rapporter des informations circonstanciées quant à la menace qu’elles représentent. Dès lors, en raison de la seule visée préventive de la fiche S, il n’est pas juridiquement possible d’expulser une personne du territoire national sur ce seul fondement. L’article L. 521-1 du CESEDA pose des conditions strictes pour mettre en œuvre cette sanction administrative.
De plus, pour priver ou restreindre de liberté une personne (comme avec un bracelet électronique), celle-ci doit être soupçonnée d’avoir commis une infraction ou être condamnée. Or, l’inscription S constitue une sorte d’alerte relative à une menace, et en aucun cas une mise en cause ou une condamnation.
Enfin, modifier la loi pour expulser les étrangers fichés S serait difficilement envisageable en raison du respect de certains droits fondamentaux protégés notamment par la Constitution : des droits de la défense, le droit à une vie familiale normale, le droit au respect de la dignité, etc.
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L’expulsion des étrangers délinquants : que dit la loi ?
Lors d’une conférence de presse à la suite de l’attentat terroriste survenu le 13 octobre à Arras, Gérald Darmanin a déclaré : “il y a 4000 étrangers délinquants que je ne peux pas expulser du territoire national parce que la loi empêche de les expulser”. Le terroriste d’Arras était déjà inscrit au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Pour autant, il n’a jamais été condamné et n’est donc pas concerné par les propos du ministre.
Ce dernier a évoqué ici les étrangers fichés S mais qui ont été condamnés pour une infraction, donc qualifiables de délinquants, et qui ne seraient malgré cela pas expulsables : la loi l’empêcherait de les expulser. Le ministre est depuis revenu sur ses propos en précisant qu’un étranger, d’abord inexpulsable car arrivé en France avant ses treize ans, peut l’être s’il constitue une menace à la sûreté de l’État. Mais revenons sur ce qu’en dit le droit.
Les étrangers en situation irrégulière peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), sauf dans certains cas mentionnés à l’article L.611-3 du CESEDA : ils sont arrivés en France avant l’âge de treize ans, ils résident régulièrement en France depuis plus de vingt ans etc.…
Si un étranger en situation irrégulière se trouve dans un de ces cas, il est en principe inexpulsable, sauf “en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste” (Article L.631-3 du CESEDA). La difficulté réside dans le fait que la loi ne précise pas ce que sont ces “comportements”, qui dépendent en réalité des éléments recueillis par les services de renseignements.
Gérald Darmanin a également annoncé vouloir durcir le droit en matière d’expulsion dans le projet de loi “immigration”, débattu à partir du 6 novembre au Sénat. L’article 611-3 du CESEDA serait modifié pour permettre de lever certaines protections contre les OQTF afin, entre autres, qu’une personne présente sur le territoire français avant ses treize ans soit malgré cela expulsable “si son comportement constitue une menace grave pour l’ordre public”. Cela concernerait tous les étrangers condamnés, même s’ils ne sont pas fichés S.
Toutefois, l’expulsion vers la Russie – comme dans ce cas-ci – pourra être regardée comme contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui interdit l’expulsion vers un pays où la personne risque la torture (article 3 et CEDH 30 août 2022, R c/ France).
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L’encadrement de l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, et au-delà…
Le Pape François vêtu d’une doudoune, ou encore le Président Emmanuel Macron en uniforme d’éboueur, ces photos vous évoquent sûrement quelque chose tant elles ont circulé sur les réseaux sociaux. Elles sont le fruit de l’intelligence artificielle (IA), « un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies » selon la CNIL.
Plus précisément, ces créations sont le produit de systèmes d’intelligence artificielle (SIA) à savoir tout « système automatisé conçu pour fonctionner à différents niveaux d’autonomie et qui peut, pour des objectifs explicites ou implicites, générer des résultats tels que des prédictions, des recommandations ou des décisions qui influencent les environnements physiques ou virtuels » (Proposition de règlement sur l’IA).
Depuis que ces systèmes sont entrés dans le domaine de la création littéraire et artistique, une grande incertitude règne du côté des artistes auteurs, qui s’interrogent.
En guise de réponse, le 12 septembre 2023, a été introduite à l’Assemblée Nationale une proposition de loi visant à « encadrer l’Intelligence Artificielle par le droit d’auteur » afin d’offrir aux auteurs une protection renforcée face à ces systèmes qui réutilisent leurs œuvres.
Cette proposition entend équilibrer le respect des droits des auteurs d’œuvres préexistantes, c’est-à-dire celles dont vont se servir les IA pour créer d’autres œuvres et en tirer un revenu. Le but n’est pas de brider l’utilisation des IA, mais seulement d’en rendre l’utilisation plus conforme aux règles du droit d’auteur.
Or, actuellement, aucune disposition ne permet de dégager une qualification juridique des SIA. Il est difficile de parler d’auteur lorsqu’une œuvre est générée totalement ou partiellement par IA, puisque l’IA ne crée pas à proprement parler.
Sans résoudre vraiment la question de la titularité des droits, le législateur propose que les droits afférents aux créations générées par des SIA restent la propriété des auteurs des œuvres préexistantes qui ont servi de données d’entraînement, ce qui constituerait une contrepartie de l’utilisation de leur œuvre. Reste qu’il n’est pas toujours évident d’identifier, à partir d’une œuvre générée par IA, les œuvres préexistantes.
Au-delà du droit d’auteur, la proposition prévoit de mieux identifier les créations générées par une intelligence artificielle, dans un environnement numérique où il est devenu difficile de vérifier les sources et la crédibilité des informations. Une mention « généré avec IA » pourrait contribuer à cette identification. Reste à savoir comment une telle obligation pourrait être mise en œuvre, face aux diffuseurs de faux contenus générés par IA, notamment en termes de sanctions en cas de non-respect.
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Référence : AJU398411