Damien Réveillon : « L’intelligence artificielle permet d’être plus rapide, efficace et pertinent ! »

Publié le 13/10/2023

L’intelligence artificielle est partout dans notre quotidien, c’est ce que nous révèle Damien Réveillon, secrétaire général et délégué à la protection des données d’Armatis. Ce juriste spécialiste des questions RGPD a très tôt compris l’enjeu qu’allait revêtir l’apparition des intelligences artificielles (IA) génératives aussi bien dans sa pratique juridique, mais également dans le monde de l’entreprise. Comment pourra-t-elle aider le juriste de demain, quelles sont les limites au traitement des données par l’IA, Actu-Juridique avait un grand nombre de questions à poser à ce précurseur du traitement des données ? Alors faut-il avoir peur de l’avenir régit par les IA dans le monde du droit, réponses tout en nuance…

Actu-Juridique : Comment en tant que directeur juridique avez-vous rencontré l’IA ?

Damien Réveillon : À titre personnel, il faut en prendre conscience, l’IA est partout dans notre quotidien : lorsque vous faites vos courses par internet avec des propositions sur la base de vos précédents achats, sur Netflix ou Canal + avec des propositions de contenu personnalisées, lorsque vous effectuez une recherche sur internet, lorsque vous contactez un service client, ou encore lorsque vous inscrivez vos enfants sur la plateforme Parcoursup.

Professionnellement, je crois que c’est probablement la coexistence de plusieurs facteurs qui en est à l’origine. En effet, de manière générale, cela dépend beaucoup du secteur d’activité, des organisations, mais également de la conception que l’on se fait du rôle d’une direction juridique. Dans notre secteur d’activité de centre de contacts, l’IA est une réalité (bot conversationnel, data analysis, speech to text, etc.), depuis plusieurs années. L’IA générative, ChatGPT4 et consœurs, n’a été qu’un catalyseur aux yeux du grand public d’un phénomène de transformation, d’une très large ampleur, déjà amorcé. Notre organisation est aussi une des raisons pour laquelle, j’ai été très tôt confronté au questionnement sur l’IA. Il est probable que d’avoir, au sein même de la direction juridique, un département protection des données avec des profils juristes et non-juristes, facilite grandement la prise en amont des sujets, avec l’accompagnement des expérimentations menées par les opérationnels qui sont de véritables incubateurs.

Actu-Juridique : Comment dans votre pratique êtes-vous amené à travailler avec l’IA ?

Damien Réveillon : Cela peut prendre différentes formes, avec des objectifs différents, tels que l’efficacité opérationnelle, la qualité de l’information, la formation, la conformité… Tous les domaines de nos métiers sont à explorer, les possibilités sont infinies ! Par exemple, les services juridiques sont parfois présentés par les autres directions comme des archivistes, « le contrat est chez toi », « prends ce courrier il peut être important, sait-on jamais ! ». Nos outils de contract management débordent d’informations et deviennent rapidement à contre-emploi pour diffuser aux opérationnels une information synthétique. Les moteurs de recherche associés aux outils de contratct managment, intégrant de l’IA, permettent une pertinence de la recherche et du résultat. En résumé, l’intelligence artificielle permet d’être plus rapide, efficace et pertinent ! Par ailleurs, cette masse de données contractuelles, avec plusieurs milliers de contrats, pour certains de plusieurs centaines de pages, doit être mobilisable rapidement avec une grande fiabilité. La crise récente du Covid-19, ou encore la période d’inflation que nous connaissons, en ont été des cas d’usages concrets de l’intérêt de ces technologies. Dans ce cadre, le travail du juriste peut parfois être long et fastidieux sans véritablement faire appel à ses qualités, si ce n’est la rigueur. L’IA est un formidable outil de productivité : elle permet en une fraction de seconde, de rechercher les clauses d’indexation, des instructions de traitements, des limitations de responsabilité, des clauses attributives de compétence, ou encore de non-concurrence afin de les comparer à un modèle défini ou encore de les importer en masse pour les comparer.

Demain, l’IA permettra d’accompagner le juriste dans l’élaboration des contrats, avec une plus grande pertinence que les modèles que nous connaissons aujourd’hui. Il n’est pas illusoire non plus de considérer que l’analyse du risque des contentieux puisse être en partie challengée par l’IA notamment sur la prédiction d’un résultat, en parallèle de l’analyse du juriste dans un premier temps, mais en amont d’une sollicitation d’un cabinet d’avocat.

L’IA est un outil de synthèse et d’exhaustivité, qui permet d’apprécier et d’anticiper plus justement le risk management.

Actu-Juridique : Dans votre pratique vous évoquez l’apparition d’un conseiller augmenté, mais qu’entendez-vous par là ? Est-ce un Chatbot amélioré, ou plus encore ?

Damien Réveillon : C’est bien plus. Notre secteur d’activité, depuis plus de dix ans, théorise sur la notion de « conseiller augmenté ». Les directions marketing étaient en avance de phase terminologique, mais le fantasme initial est en passe de devenir une réalité. La convergence des technologies (numérique, automatisation, IA), que certains appellent quatrième révolution industrielle, permet d’associer l’homme et la machine dans un seul parcours client, de manière fluide et optimisé. Par exemple, il n’est pas rare que lors d’une interaction avec un service client, le consommateur, le client, l’usager, commence une conversation avec un Chatbot ou sur un autre canal digital, puis à un moment, converse avec un conseiller dans le prolongement de la même interaction. L’objectif unique est l’efficacité du parcours, afin de rendre aux clients des marques un service qui répond à la demande en une fois (« first call resolution »). Cet assemblage de technologie permet au conseiller de gagner en efficacité, grâce notamment à la rapidité d’analyse des données et de la pertinence des recommandations qui lui sont poussées par l’IA, afin de permettre au consommateur, client, usager d’avoir une information fiable et précise ou de prendre une décision éclairée. Ce nouvel environnement technologique a pour vocation de centrer le conseiller sur des actions à valeur ajoutée ou complexes, et de le délester des taches routinières et répétitives.

Sans anticiper beaucoup, l’IA et les technologies associées seront demain comme un assistant personnel de nos conseillers, une sorte de « Jiminy Cricket » personnel, qui poussera à l’oreille de nos conseillers les meilleures solutions pour résoudre une problématique, répondre à un client, l’assister et l’accompagner dans ses démarches.

Actu-Juridique : Vous êtes juriste et spécialiste des questions de RGPD, comment mettre en adéquation la réglementation européenne sur le RGDP et la mise en place dans les fonctions supports de l’IA générative ?

Damien Réveillon : C’est une question compliquée, car nous sommes tiraillés entre l’interdiction de son utilisation et une autorisation sous encadrement. Nous savons que beaucoup d’entreprises interdisent ChatGPT (Samsung, Verizon, Apple etc.), par peur notamment de fuite accidentelle de données confidentielles. Pour notre part, nous avons pour le moment interdit l’utilisation de ChatGPT en production, sous réserve d’expérimentations déployées en partenariat avec nos clients, et autorisé l’utilisation de ChatGPT, sous condition, pour les services supports.

Il est, en effet, difficile de définir les cas d’usages de demain avec une interdiction générale !

À ce titre, et pour responsabiliser les directions et les utilisateurs, le sujet de la formation est primordial. À l’instar du RGPD et de la sécurité, qui ont fait l’objet ces dernières années d’un plan de formation massif, nous concevons un programme de formation à l’IA, pour les opérationnels des fonctions supports, tant dans sa dimension risque et responsabilité (faille de sécurité, respect de la réglementation) que dans sa dimension usage et opportunité (ingénierie du prompt). Pour le moment nous sommes un peu dans l’expectative, comme tous les acteurs nous attendons de la CNIL des lignes directrices un peu plus claires sur les IA dites génératives, notamment au regard de la consultation publique sur le partage et la réutilisation des données, sans parler de la future coexistence du RGPD et du règlement européen (IA Act).

Aujourd’hui, ce qui est certain c’est que l’IA est un traitement comme tous les autres, même si elle pose des questions nouvelles, son utilisation est bornée par le RGPD (finalité, limitation, adéquation). Il est vrai que des questions légitimes se posent, comme les difficultés que posent l’IA en matière de droit des personnes et la transparence du traitement, qui sont des sujets majeurs, sur lesquels nous devrons être vigilants et adapter nos processus de traitement au gré des recommandations.

Actu-Juridique : Quelles sont les limites que vous mettez à l’utilisation de l’IA ?

Damien Réveillon : Même si je n’aime pas trop parler de limite, pour le moment, nous nous évertuons à limiter les cas d’usage de l’IA générative à l’exposition de base publiques non contrôlées.

Actu-Juridique : Pensez-vous que la réglementation sur l’IA sera aussi efficace que celle sur les influenceurs ? Mais aussi lente à être mise en place ?

Damien Réveillon : Effectivement, pour le moment cette réglementation n’est pas tout à fait finalisée, le diable résidant souvent dans les détails. Tant que le texte ne sera pas définitif, il est difficile de se prononcer.

Plutôt que l’efficacité, il me semble que la finalité, le pourquoi est essentiel. Pourquoi l’Europe souhaite-t-elle réglementer l’IA ? À l’origine, le projet de texte avait pour objectif d’imposer une plus grande transparence de la part des développeurs d’IA et de protéger la vie privée des citoyens européens, un peu dans le prolongement du RGPD, en classant les IA au regard d’une dangerosité présumée. Si le principe initial est louable, les discussions sur le texte et les adjonctions successives, comme notamment l’encadrement des modèles d’IA ne relevant pas d’un usage spécifique, crée une certaine confusion. Il me semble que l’IA Act devrait fournir un cadre général et souple, et ne pas s’enfermer dans une technocratie européenne, qui n’a pas de sens et qui sera difficilement applicable.

Actu-Juridique : Quelles sont les données qui ne pourront être traitées via l’IA selon vous ?

Damien Réveillon : Je pense que demain pratiquement toutes les données pourront être traitées par des IA, mais pas de n’importe quelle façon ! Aujourd’hui, dans les faits, les entreprises qui traiteraient à grande échelle de la DCP via des IA publiques (ChatGPT4, Bard, Copilot, Dall-E, etc.), prendraient un risque important. La réflexion des entreprises, porte sur l’utilisation des IA génératives, mais dans un cadre technique sécurisé (Cloud privé, data lake), afin de limiter le phénomène d’hallucination des IA publiques, de fiabiliser les réponses, et de restreindre le risque de fuite de données.

Actu-Juridique : Pouvez-vous donner des exemples d’utilisation de l’IA vertueuse ?

Damien Réveillon : Cette question est intéressante ! L’IA n’est en elle-même ni vertueuse ni vicieuse, elle n’est que le prolongement de ce que nous sommes. Pour répondre à la question, elle rendra des services « vertueux », en matière médicale, aux collectivités pour la gestion de l’eau notamment, à la sécurité routière en améliorant la communication entre les services de secours, en facilitant l’accès à l’information des personnes en situation de handicap, en déployant de nouvelles technologies (par exemple avec des exosquelettes) pour assister, aider les métiers pénibles… la liste en infinie.

Actu-Juridique : Les premiers licenciements liés au remplacement de salariés par des IA viennent d’être annoncés, pensez-vous que cela est inéluctable ?

Damien Réveillon : Pour paraphraser Lavoisier, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Effectivement, c’est probablement inéluctable : des professions vont disparaître, certaines vont se transformer et d’autres vont être créées.

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