Publicité des décisions de justice : principe et restrictions
Des affaires judiciaires récentes, dans lesquelles ont notamment été impliquées des personnalités politiques, attirant particulièrement l’attention du public et des médias, soulèvent la question de la publicité de l’action de la justice et particulièrement de la publication et, au moins pour la suite, de l’anonymisation des décisions rendues. L’analyse d’Emmanuel Derieux, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas. Auteur notamment de Droit des médias. Droit français, européen et international, Lextenso-LGDJ, 9e éd.

La justice est, dans notre pays, rendue « au nom du peuple français ». Pour cette raison, au stade du procès, les salles d’audience sont, sauf « huis clos », ouvertes au public. Les participants (justiciables, magistrats, avocats, jurés, témoins, experts…) peuvent, de ce fait, alors être -même si ce n’est pas toujours précisément ou nommément- identifiés. Afin ou avec l’effet d’en élargir l’audience, les représentants des médias peuvent, en principe, y assister et, à l’exclusion de l’usage des moyens d’enregistrement audiovisuel, en rendre compte librement. Il peut alors être regretté que, du fait de certains, les débats débordent ou se prolongent, à destination des médias et, à travers eux, de l’opinion publique, en dehors de la salle d’audience.
Toujours pour satisfaire le droit du public à l’information, les décisions de justice sont publiques. Elles sont susceptibles d’être relayées dans leur contenu ou leur portée, et même reproduites intégralement par différents moyens, avec ou sans commentaires (dans les limites de l’infraction d’« atteinte à l’autorité » sinon à l’« indépendance de la justice »), avant de devenir ainsi des éléments de documentation ou d’archives (sous leur forme ou support de publication initiale et/ou de manière numérique), pour la formation et pour l’histoire.
En dépit des exigences d’une juste information du public, il n’est alors pas toujours fait mention, parfois faute de moyens pratiques, que les décisions rendues donnent lieu à appel (annihilant le jugement de première instance – au point d’empêcher de continuer à en faire mention ?- et rétablissant -d’une façon qui ne devrait pas être que théorique ou formelle-, en attente de l’arrêt, la présomption d’innocence) ou ont été ainsi infirmées, qu’elles ont été l’objet d’une cassation ou que, bien plus tard, elles ont été remises en cause par la Cour européenne des droits de l’homme-CEDH.
A la légitimité de l’information d’actualité s’oppose alors, pour diverses raisons – droit à la réinsertion, respect de la vie privée, sécurité des personnes (« des photos de la présidente du tribunal correctionnel ont été publiées et son adresse a été diffusée », Le Monde, 3 avril 2025), revendication d’un « droit à l’oubli »…), l’exigence dite d’« anonymisation » (par effacement du nom et des autres éléments d’identification des différents participants) des décisions de justice. La justification, la portée et les contours de celle-ci sont discutés et s’avèrent incertains et, en pratique, difficilement conciliables.
Au principe de publicité des décisions de justice, sont ainsi apportées, sans le remettre en cause, des restrictions relatives à leur anonymisation.
Principe de publicité des décisions de justice
La publicité des décisions de justice est de principe en toutes matières.
L’article 451 du Code de procédure civile pose que « les décisions contentieuses sont prononcées en audience publique […] sous réserve des dispositions particulières à certaines matières. La mise à disposition au greffe obéit aux mêmes règles de publicité ».
L’article 306 du Code de procédure pénale dispose, en ce qui concerne les cours d’assises, que « l’arrêt sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique ». L’article 400 pose la même règle s’agissant des jugements des tribunaux correctionnels.
Au titre des « principes généraux », le Code de l’organisation judiciaire dispose, en son article L. 111-13, que : « sous réserve des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique ».
Les médias peuvent librement reproduire -sans que puisse être revendiqué un droit de propriété littéraire- les décisions ainsi rendues, ou en rendre compte et leur faire écho. A titre notamment de réparation du dommage subi -à moins que, du fait d’une mauvaise perception ou compréhension, cela ne risque d’en renouveler et aggraver les effets !-, la publication d’un « communiqué judiciaire » peut, par ailleurs, être ordonnée par la décision rendue.
Restrictions relatives à l’anonymisation des décisions de justice
La libre publication des décisions de justice est cependant subordonnée au respect des restrictions relatives à leur anonymisation.
Aux termes de l’article L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire, « les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe ».
Il y est ajouté que : « les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. La violation de cette interdiction est punie des peines prévues aux articles 226-18, 226-24 et 226-31 du Code pénal, sans préjudice des mesures et sanctions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ».
Il y est encore posé que « les articles L. 321-1 à L. 326-1 du Code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions ».
L’article L. 322-2 dudit Code précise que « la réutilisation d’informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ».
Ladite loi de 1978 dispose, en son article 1er, que « l’informatique doit être au service de chaque citoyen […] Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ».
Aux termes de son article 46, « les traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes […] peuvent être effectués […] par […] 5° les réutilisateurs des informations publiques figurant dans les décisions mentionnées à l’article L. 10 du Code de justice administrative et à l’article L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire, sous réserve que les traitements mis en œuvre n’aient ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées ».
En son article 80, il est cependant posé que, « à titre dérogatoire », nombre des dispositions en cause « ne s’appliquent pas, lorsqu’une telle dérogation est nécessaire pour concilier le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté d’expression et d’information, aux traitements mis en œuvre aux fins : 1° d’expression universitaire, artistique ou littéraire ; 2° d’exercice, à titre professionnel, de l’activité de journaliste, dans le respect des règles déontologiques de cette profession ». ll y est néanmoins ajouté que « les dispositions des alinéas précédents ne font pas obstacle à l’application des dispositions du Code civil, des lois relatives à la presse écrite ou audiovisuelle et du Code pénal, qui prévoient les conditions d’exercice du droit de réponse et qui préviennent, limitent, réparent et, le cas échéant, répriment les atteintes à la vie privée et à la réputation des personnes ».
Bien qu’interdisant « la publication du compte rendu des débats des tribunaux pour enfants dans le livre, la presse, la radiophonie, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit », ainsi que « la publication, par les mêmes procédés, de tout texte ou de toute illustration concernant l’identité et la personnalité des mineurs délinquants », l’article 14 de l’Ordonnance n° 45-174, du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante, prévoit cependant que « le jugement sera rendu en audience publique » et qu’ « il pourra être publié, mais sans que le nom du mineur puisse être indiqué, même par une initiale ».
Répondant à une tradition différente, aux termes de l’article 10 du Code de justice administrative, « les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus. Sour réserve des dispositions particulières qui régissent l’accès aux décisions de justice et leur publicité, les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique. Par dérogation au premier alinéa, les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe […] Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du Code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces jugements ».
Aucun droit n’est absolu. À la liberté d’expression des médias et des journalistes et au droit du public à l’information peut s’opposer, s’agissant de la publication des décisions de justice, l’exigence de respect des droits des personnes qui, à divers titres, y sont impliquées. À tout le moins, à l’égard des archives de ces décisions et particulièrement de celles qui ne sont pas définitives, leur anonymisation – en dépit des inconvénients qui peuvent en découler pour une compréhension concrète des cas d’espèce et pour l’histoire, et pour autant que l’identification des personnes concernées ne reste pas ainsi assez évidente – est susceptible de contribuer à assurer, comme il convient, sous le contrôle éventuel de la justice, un juste équilibre entre des préoccupations et des droits concurrents.
Référence : AJU498181
