Affaire Lelandais : Amoureuse d’un criminel, un phénomène très répandu

Publié le 16/01/2024

La révélation de la paternité du tueur Nordahl Lelandais, dont l’enfant conçu avec sa compagne au sein d’une unité de vie familiale à la centrale d’Ensisheim est né en décembre, remet au jour les singulières liaisons que nouent des « groupies » avec des prisonniers. Elles se comptent par dizaines de milliers dans le monde et heurtent les familles de victimes*. 

Affaire Lelandais : Amoureuse d’un criminel, un phénomène très répandu
(Photo : ©AdobeStock/Anthony Calvo)

Marcel Proust considérait que « l’amour est un exemple frappant du peu qu’est la réalité pour nous » (1). L’amour surprend indistinctement jusqu’à occulter la réalité ; ainsi pourrait-on réduire l’attirance de femmes pour les criminels en série, un phénomène extrêmement répandu. Depuis que l’on a appris que Nordahl Lelandais, meurtrier de Maëlys, 8 ans, et du caporal Arthur Noyer, tous deux tués en 2017, était devenu père d’un bébé conçu en prison, la mère de l’enfant fait l’objet de multiples questionnements. La principale interrogation se concentre sur la (dé)raison qui l’a conduite à le choisir, lui, ce personnage adepte de la pédopornographie, condamné à la réclusion à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans, libérable en 2039 si les gendarmes de la « cellule Ariane » ne lui imputent pas d’ici là d’autres disparitions. Il vient du reste d’écoper d’une année de détention pour agression sexuelle sur sa petite-cousine, alors âgée de 14 ans.

La naissance de son fils en décembre dernier a provoqué « l’écœurement » des familles de Maëlys et d’Arthur Noyer, et embrasé la Toile, certains se déchaînant contre « la justice laxiste ». Faux procès, elle n’est pas en cause. Le couple a bénéficié du dispositif légal permettant des rencontres d’un à trois jours au sein d’unités de vie familiale destinées à entretenir des liens avec un conjoint, des enfants.

Le syndrome dit « de l’infirmière » qui veut sauver l’âme égarée  

De sa compagne, on sait simplement qu’elle a initié une relation épistolaire et obtenu un permis de visite à la centrale d’Ensisheim (Haut-Rhin), où il a été transféré après un acte sexuel illégal avec l’une de ses prétendantes. Car Lelandais est très courtisé. Selon Jacques Dallest, ex-procureur général près la cour d’appel de Grenoble (Isère), exerçant dans la région où furent commis les homicides, « le détenu recevait un abondant courrier ». Il n’est pas le seul : Guy George, Patrice Alègre, Francis Heaulme, trois criminels en série notoires, sont destinataires de lettres énamourées ou de demandes en mariage.

Aux Etats-Unis, au Canada, dans les pays scandinaves, ces « groupies » de serial killers ou de tueurs de masse – hier Ted Bundy ou Charles Manson ; aujourd’hui Anders Breivik (Oslo et Utoya), Djokhar Tsarnaev (marathon de Boston), James Holmes (cinéma d’Aurora, Colorado), etc. – obtiennent plus facilement un parloir qu’en France où l’Administration pénitentiaire et les magistrats y regardent plutôt dix fois qu’une avant de l’autoriser. La plupart de ces fans sont atteintes du syndrome dit « de l’infirmière ou de la religieuse ». Guidées par l’empathie, une indulgence dénuée d’arrière-pensées, elles considèrent que chacun a droit à la rédemption, au pardon. Elles espèrent sauver l’âme égarée. D’autres ne croient pas en la culpabilité du « criminel vu à la télé » : l’ex-femme de Dany Leprince, qui a massacré son frère, sa belle-sœur, ses petites-nièces, s’est battue pour qu’il bénéficie d’une sortie anticipée ; le dossier fait actuellement l’objet d’une requête en révision.

Des groupies attirées par la violence ou en mal de notoriété

 Des échanges épistolaires suivis de visites, naissent des histoires d’amour bien réelles même s’il est assez incompréhensible de s’éprendre d’un tueur en série, voire d’un violeur multirécidiviste (cela arrive). Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la majorité de ces femmes ne sont pas des « paumées ». Mon enquête m’a confrontée à des médecins, avocates, à une professeur agrégée exilée à Chicago pour se rapprocher de son aimé, à des psychologues, assistantes sociales, surveillantes en milieu carcéral.

Mais il existe d’autres catégories de groupies. Celles attirées par la violence notamment. C’est par une correspondance que le parcours diabolique de Michel Fourniret et Monique Olivier a commencé : il lui a révélé ses bas instincts, jusqu’alors enfouis. En Amérique du Nord, il arrive de voir des amoureuses se muer en tueuses pour exonérer le fiancé incarcéré (l’affaire des étrangleurs des collines de Los Angeles). Ces femmes, souvent jeunes, sont en quête de grand frisson, de poussées d’adrénaline, quand l’individu lambda se contente de regarder un film d’horreur. Le Belge Marc Dutroux a été sollicité par plusieurs adolescentes qui avaient l’âge de celles qu’il a assassinées…

Enfin, certaines recherchent la publicité : courir de plateaux télé en studios de radio parce qu’on est « la fiancée de » permet d’acquérir une espèce de « statut » ; c’est aux USA qu’elles ont le plus de succès. La plus connue au monde est Afton Burton, dite « Star », gentille adolescente de l’Illinois qui a tout quitté pour vivre près de Charles Manson, le « père » de la sinistre Manson’s family dont les membres ont notamment poignardé Sharon Tate, première épouse de Roman Polanski. Il devait se marier au pénitencier de Corcoran (Californie) lorsqu’il est mort en 2017. Heureusement, la France est moins encline à glorifier ces starlettes en mal de reconnaissance sociale.

« Une forme de romantisme désuet »

 Sheila Isenberg (2), auteure du premier livre sur ce phénomène, dit détenir une clé du mystère : « En prison, on peut vivre un amour courtois, comme au temps des chevaliers. Le détenu a le temps de courtiser de manière dont peu d’hommes sont capables. Il la place sur un piédestal. Les condamnés à vie sont les plus engagés. N’ayant rien à faire, ils vous sont dévoués. » À l’unisson, les psychiatres relèvent que l’homme enfermé est disponible, à la merci de celle qui l’aime. La somme des bénéfices qu’il en retire est telle qu’il a intérêt à l’entretenir. D’aucuns y voient « une forme de romantisme désuet ».

Philip Jaffé, psychologue et criminologue à l’Institut Kurt Bösch, en Suisse, fut chef de clinique au Bridgewater State Hospital, situé près de Boston, dans le Massachusetts. Il a observé ces « singularités » à la loupe et admet « que le serial killer est en demande d’affection. Si on lui témoigne de l’intérêt, il sort le grand jeu de la séduction. Il se montre sous son meilleur jour pour faire oublier ses crimes. Il est le champion du monde de la manipulation, n’a pas de capacité empathique : égocentrique, il se sert des gens sans égard ». Dans notre pays, nombreuses sont celles condamnées pour avoir « passé », par amour, des téléphones ou de la drogue…

Une constante est cependant apparue au cours de cette enquête : plusieurs de ces femmes ont connu un passé traumatisant (des violences conjugales, un divorce douloureux, des blessures dans l’enfance) et voient désormais le prisonnier comme un être « sécurisant » – stupéfiant paradoxe ! Toutes parlent de « sécurité » parce qu’il est enfermé. La plupart ne sont apparues ni heureuses ni comblées, mais pas forcément moins que l’épouse mariée à un homme libre qui les délaisse.

Après avoir débuté avec Proust, concluons par l’aphorisme philosophique de Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »

 

(1) Albertine disparue (À la recherche du temps perdu)

(2) Women Who Love Men Who Kill, Simon & Schuster (non traduit)

 

* Isabelle Horlans, journaliste, chroniqueuse judiciaire notamment pour Actu-Juridique, est l’auteur de « L’amour fou pour un criminel » – Le Cherche Midi (2015) et Points Crime (mai 2016).

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