Aline, battue par son fils : « Je ne veux pas qu’il aille en prison ! »

Publié le 18/07/2022

Jonathan aime sa mère mais il l’a déjà frappée à deux reprises, du moins à la connaissance des magistrats. La troisième fois, le 18 juin dernier, il lui a fracturé trois côtes et une omoplate. Aline aime son fils et a refusé de porter plainte : « Je n’ai plus que lui dans ma vie », a-t-elle fait valoir.

Aline, battue par son fils  : « Je ne veux pas qu'il aille en prison ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

En début d’audience au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), ce lundi 11 juillet 2022, le dossier semblait devoir être rapidement clos : d’un côté, des faits partiellement reconnus ; de l’autre, 31 jours d’incapacité temporaire de travail (ITT), ne laissant aucun doute sur la violence de l’agression. Puis au fil des débats, la tristesse de la situation a soudain gagné tout le monde. La présidente Teyssandier et ses assesseurs ont donc pris leur temps pour appréhender la nature du conflit entre une mère et son fils, qui s’adorent. Et le désespoir s’est invité dans le prétoire.

Jonathan, un petit homme chauve de 36 ans, apparaît frêle dans le maillot qu’il porte depuis son arrestation le 6 juillet au domicile de sa maman dans le centre de Paris. La police l’y a trouvé caché sous un lit – une idée d’Aline pour le soustraire aux autorités. Ce n’est pas elle qui les a alertées mais ses voisins, inquiets de son état de santé et de la présence de Jonathan, qui fait l’objet d’une injonction d’éloignement.

« Je ne veux pas qu’il aille en prison ! »

Encadré de policiers dans le box des prévenus, il comparaît pour violence aggravée par deux circonstances (commission par descendant et récidive). Jonathan a l’air accablé en écoutant le rapport des faits : l’altercation du 18 juin dans le mobile home à Courpalay où Aline passe son samedi, le raffut qui éveille la curiosité du gérant, le retour difficile de la dame de 70 ans à Paris, l’appel d’un voisin à SOS Médecins, puis l’hôpital. Le diagnostic est sévère : fractures de deux côtes à gauche, de la 8e à droite, d’une omoplate, des hématomes. On veut faire constater ses blessures aux Unités médico-judiciaires (UMJ) afin d’étayer la procédure contre l’auteur. Aline refuse : « Je ne veux pas qu’il aille en prison ! » Toutefois, elle consent à se laisser photographier et, sur la base de clichés des lésions et des radios, l’UMJ de l’Hôtel-Dieu (IVe arrondissement parisien) prescrit une ITT de 31 jours.

Aline regagne son appartement, ses deux voisins sont atterrés. Plus encore lorsque Jonathan s’installe chez sa mère le 3 juillet. Ils savent que la justice, le 16 avril 2022, lui a interdit de l’approcher. Alors le 6, ils préviennent les policiers. Quand ceux-ci se présentent, Aline les empêche d’entrer, dit que son fils n’est pas là. À force de persuasion, ils la convainquent d’ouvrir. Et Jonathan est extrait de sa cachette.

« L’élément déclencheur, c’est la mort de ma sœur… »

 S’il admet « qu’une partie des événements » est conforme à la réalité, qu’il a « effectivement poussé [sa] mère trois fois jusqu’à la faire tomber, qu’elle a heurté le plan de travail et la poubelle », Jonathan nie l’avoir frappée au sol. Aline a néanmoins expliqué avoir reçu « des coups de pied et de poing à terre », pour finalement refuser de signer la déposition. « Jamais vous ne m’enlèverez mon fils, a-t-elle déclaré au commissariat. Je n’ai plus que lui dans ma vie. » Ce 11 juillet, elle n’assiste pas au procès. Elle a indiqué être incapable de se déplacer à cause des douleurs et ne pas se constituer partie civile.

La présidente fait circuler les photos des contusions, s’adresse à Jonathan :

« – Une simple chute aurait causé quatre fractures, des hématomes au cou, à l’œil, au menton ?

– J’étais énervé, j’avais bu. On s’est disputés, elle s’est jetée sur moi, je l’ai repoussée, elle a chuté.

– Et les griffures sur son bras gauche ?

– On a fini par tomber tous les deux, on s’est agrippés…

– Ce n’est pas la première fois. Pourquoi être si violent envers votre mère ?

– Il y a beaucoup de conflits familiaux en amont… L’élément déclencheur, c’est la mort de ma sœur en 2007, à cause de la drogue… Elle ne s’est pas remise. »

Overdose, suicide ? Silence. À l’évidence, le traumatisme demeure vif. Le prévenu se referme ; la présidente n’insiste pas.

« Je vais profiter de l’incarcération pour travailler sur moi-même »

 Elle explore le casier judiciaire : treize condamnations, cinq pour conduite sous emprise d’alcool, les autres pour violence. En 2020, durant le premier confinement dû à la pandémie, il a écopé de cinq mois de sursis après des coups portés à sa mère, et de onze mois dont quatre ferme en avril 2022, en récidive. Il a déjà été écroué. Quatre jours avant la dispute au mobile home, il était convoqué chez le juge d’application des peines afin d’aménager son solde de détention. Il n’a pas honoré le rendez-vous. Le JAP recommande au tribunal de révoquer les sursis.

« – Je dois être sanctionné, je vais profiter de l’incarcération pour travailler sur moi-même.

– Ah, parce que selon vous, c’est fait, vous allez en prison ?

– Disons que c’est mal parti…

– Cela vous touche ?

– Oui.

– Pourquoi ne pas le montrer ? On a une impression d’indifférence.

– Je garde ça pour moi.

– Comment voyez-vous l’avenir ?

– Je m’imagine ailleurs. Loin de ma mère. Notre relation est toxique.

– Et votre père ?

– Je ne l’ai vu que pendant mes cinq premières années.

– Vous avez des amis ?

– Non. Mon parcours de vie fait que je m’isole… Il n’y a rien de positif, là-dedans, je veux dire dans mon existence… »

« Et sa mère qui a besoin de lui, vous y pensez ? »

 Persuadé d’aider son client, Me Philippe Savoldi entreprend une analyse, si longue et si vaine qu’Emmanuelle Teyssandier, pourtant d’une patience à toute épreuve, y met un terme : « On ne va pas faire de thérapie familiale maintenant, Maître. »

Aux yeux du vice-procureur, David Coullaud, « les faits sont graves. C’est un déferlement de violences et les blessures ne peuvent pas résulter d’une chute, il suffit de lire le certificat médical ! Il est lucide, ses déclarations ne sont pas crédibles ». Il requiert deux ans de prison ferme et la révocation du premier sursis de cinq mois, une obligation de soins et l’interdiction de contact avec Aline.

Le prévenu s’assoit, visage défait, marqué par l’épreuve. Il le devine : c’en est fini du grand air au camping, de son travail de vendeur, et des liens en dents de scie avec sa mère. S’excusant de sa « voix un peu étranglée », son défenseur déplore « que l’on veuille écarter [Jonathan] de la société. Et sa maman qui a besoin de lui, vous y pensez ? Que voulez-vous pour elle qui refusait d’ouvrir aux forces de l’ordre ? », plaide Me Savoldi. Il a raison, l’affaire est compliquée, sensible : enfermer le fils, c’est condamner la mère à l’absolue solitude, au chagrin.

Le tribunal s’y résout : deux ans de prison dont moitié ferme, les sursis de cinq et sept mois sont révoqués, Jonathan est aussitôt incarcéré. Grâce aux remises de peine, il recouvrera la liberté au cours du second semestre 2023, restera surveillé jusqu’en 2024. D’ici là, il travaillera sur lui-même, comme promis aux juges. Et Aline obtiendra peut-être le droit de lui rendre visite au parloir.

*Prénom modifié

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