Stupéfiants : « Il ne faut pas prendre le tribunal pour ce qu’il n’est pas »

Publié le 22/07/2022

Trois Guyanais qui avaient chacun ingéré un kilo de cocaïne se font pincer sur une aire d’autoroute, à leur arrivée en métropole. S’ils se connaissent très bien, ils jurent au tribunal que leur présence sur le même vol n’est qu’un pur hasard.

Stupéfiants :  « Il ne faut pas prendre le tribunal pour ce qu’il n’est pas »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Trois jeunes hommes Guyanais, interpellés à bord d’un VTC le 19 avril sur une aire d’autoroute non loin de Roissy et en direction du nord de la France, sont désormais alignés dans le box des comparutions immédiates de Pontoise. Les mains dans le dos et la tête basse, ils encourent 10 ans d’emprisonnement pour deux d’entre eux, 20 ans pour le troisième, qui est en situation de récidive.

Lorsque les douaniers les contrôlent sur cette aire surveillée en permanence, ils découvrent dans un sac 27 ovules de cocaïne, conditionnés pour être ingérés. Ils conduisent les trois hommes à Cusco, l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu à Paris, où ils attendent de voir ce que les corps des suspects vont expulser. Étienne, 20 ans, rejette 123 ovules soit 1,15 kg de cocaïne ; Henri, 24 ans, 80 ovules (900 grammes) et Sidani, 21 ans, 120 ovules, pour un total de 1,35 kg.

C’est Ce dernier que la présidente a choisi d’interroger en premier. Peut-être parce qu’il est en récidive (condamné à un an de prison en 2019), et donc soupçonné d’être le leader du groupe. Il le réfute sans fléchir, mais il dit aussi que sa rémunération pour ce transport aurait dû s’élever à 9 000 euros, alors que ses compères n’auraient touché que 4 000 euros chacun. La différence s’expliquerait selon lui par la quantité plus importante de drogue embarquée – mais l’écart est trop faible pour que l’argument emporte la conviction des magistrats, convaincus que Sidani a mené le petit groupe dans ce périple.

« Y’a pas de travail en Guyane »

D’autant que les trois se connaissent très bien : Sidani est en couple avec la sœur d’Étienne, et Henri est son cousin. La présidente interroge Sidani : « — C’est un hasard extraordinaire si vous êtes sur le même vol ?

— Vous savez, tout peut arriver.

— Et vous saviez ce qu’ils faisaient là ?

— Je ne leur ai pas demandé.

— Attendez, c’est votre beau-frère et vous ne lui demandez pas ce qu’il fait là ? Vous n’avez pas ce minimum de curiosité ? Et vous prenez le même taxi ensuite, c’est un hasard aussi ?

— Quand je les ai vus, je leur ai proposé de partager les frais.

— Et vous allez à Lens en plus, tous les trois, comme par hasard ? C’est invraisemblable : vous transportez tous les trois de la cocaïne, et vous allez au même endroit, mais sans vous êtes concertés ». Sidani confirme sobrement d’un « oui » faiblard.

Lui devait livrer à Châlons-en-Champagne, mais, dit-il, il a choisi de faire une escale à Lens pour expulser les ovules chez sa sœur, qui habite le Nord. Parce qu’il est préférable de faire ces choses-là dans un environnement rassurant.

Un assesseur s’inquiète : « — Et votre santé, ça ne vous préoccupe pas ?

— Si, mais avec les problèmes d’argent en Guyane, je n’ai pas trop le choix.

— Monsieur, reprend la présidente, quelle est la solution pour que ça cesse ?

— Y’a pas de travail en Guyane.

— Mais tous les Guyanais ne sont pas des mules.

— Tout le monde vient travailler en métropole, mais moi je n’arrive pas à m’adapter au système et à la température.

— C’est sûr que Lens, ça doit être difficile. »

Sidani revient sur sa situation : militaire contractuel (il est agent magasinier), son salaire est trop bas, explique-t-il, pour lui permettre de quitter le domicile maternel. Or, il ne s’entend plus avec sa mère et voudrait fonder un foyer avec sa copine. « Je vais devenir papa, je stresse beaucoup.

— Ce n’est pas la meilleure façon d’agir en tant que futur papa.

— C’est sûr. Mais la situation avec ma mère est trop tendue, je devais essayer d’en sortir. »

Étienne s’y est pris seul et de la façon suivante : il est allé au Suriname en pirogue, a cherché un revendeur et l’a trouvé, a ingéré les ovules et s’en est retourné prendre l’avion à Cayenne. La veille du départ, il échange par messages avec Sidani au sujet de l’attestation d’hébergement qu’ils doivent fournir à leur arrivée à Roissy. Mais il ne se doutait pas qu’il serait sur le même vol que lui, jure-t-il. « Il ne faut pas prendre le tribunal pour ce qu’il n’est pas », répond la présidente.

Étienne est aussi militaire contractuel, formateur de conduite pour les véhicules de travaux publics. Ses 900 euros mensuels ne lui suffisent pas, d’autant plus que sa compagne est enceinte. Voilà pourquoi il a entrepris ce voyage, de sa propre initiative, confirme-t-il.

Henri, qui semblait somnoler, se lève : il a fait 10 heures de pirogue pour aller au Suriname et, comme Étienne, a demandé à des dealers – qui ont pignon sur rue – s’il pouvait transporter pour eux de la cocaïne en Europe. Encore plus laconique que ses prévenus, Henri répond en haussant les épaules quand on lui demande si lui aussi ignorait qu’il allait retrouver ses comparses sur ce vol. C’est le cas. Henri, qui est sans emploi, est dans le besoin et a entrepris cette opération pour l’argent. Il se rassoit.

« Plus la peine encourue est réduite, plus le risque est faible »

Le procureur a l’expérience de ce type de dossiers : « Vue la pureté du produit, ils sont dans une démarche d’approvisionnement à la source, en amont de la production du produit final. » Il fait état de sa version : « Ils ne donnent aucun élément sur le fournisseur, aucun élément sur le circuit de revente. Moins ils en disent, mieux ils se portent. » Puis, il prend de la hauteur : « Pour les trafiquants, plus les mules sont nombreuses, plus le risque qu’ils soient tous interpellés est faible. Pour moi, plus la peine encourue est réduite, plus le risque est faible », dit-il, avant de requérir 4 ans contre Sidani « en récidive et dont j’estime qu’il a un ascendant sur les autres », et deux ans de prison contre Étienne et Henri. Mandat de dépôt pour tout le monde.

L’avocat s’avance, fait trois pas dans le prétoire : « Comment se sont-ils tous retrouvés dans le même avion ? Comme vous tous, je n’ai pas de réponse. On est dans une affaire où ils risquent leur propre vie : mais ce ne sont que des mules ! Il faut les condamner en tant que tel. La peine demandée est trop lourde. »

C’est toujours la tête baissée et les mains dans le dos que les trois prévenus attendent leur peine dans le box : 3 ans pour Sidani, 18 mois pour les deux autres, avec mandat de dépôt. Et une amende douanière de 113 900 euros.

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