Procès de l’attentat de Magnanville : « Je suis contre la laïcité car c’est un athéisme d’État déguisé »
Les procès de terrorisme intéressent peu le public et c’est dommage. On y apprend beaucoup sur les défis lancés à notre société. Dans celui de Magnanville, l’accusé a livré au deuxième jour du procès ses difficultés à vivre sa religion en France comme il le souhaiterait.
Âgé de 30 ans, Mohamed Lamine Aberouz comparaît pour complicité dans l’affaire de l’attentat de Magnanville qui a coûté la vie à un couple de policiers en 2016, assassinés devant leur enfant de trois ans. L’auteur, qui a revendiqué son appartenance à l’EI est mort neutralisé par la police le soir même. Seul dans le box pour répondre de ce crime atroce, son ami d’enfance, soupçonné d’avoir été le deuxième homme sur les lieux, s’est expliqué mardi matin devant les assises de Paris sur son engagement religieux.
Dans les procès de terrorisme, il y a ceux qui nient toute radicalité, voire toute forme de pratique religieuse, pour éloigner les soupçons et ceux qui assument un engagement, parfois même jusqu’à la radicalité, terme que d’ailleurs ils contestent, expliquant que leur pratique est seulement orthodoxe. Mohamed Lamine Aberouz appartient à la catégorie de ceux qui revendiquent une pratique qualifiée par la justice de radicale. Sa ligne de défense consiste à soutenir qu’on peut être orthodoxe, rêver d’un État islamique, mais en même temps condamner la violence, en particulier les attentats. Lors de sa première audition mardi matin, il s’en explique.
Sa famille, d’origine marocaine est pratiquante, mais lui mettra du temps à accorder un véritable sens spirituel à la pratique qu’on lui enseigne. Exclu de son lycée – il a eu de nombreux incidents durant son parcours scolaire – il part en décembre 2010 rejoindre une partie de sa famille en Mauritanie, apprendre l’arabe et la religion, jusqu’en juin 2011. Il a alors 17 ans. Il entame un CAP, qu’il obtient, ainsi que le bac. « Y avait-il des passerelles entre les écoles coraniques et le terrorisme ? » interroge le président. « Non, c’était calme, répond l’intéressé. Dans la capitale, les zones que je fréquentais, il n’y avait pas de problème. J’étais sous protection de l’ambassade française. » Mohamed Lamine Aberouz parle sans difficulté, dans un français très sophistiqué d’intellectuel, parsemé de formules comme « j’ai vivement réprouvé », ou encore « eu égard ». L’exercice consistant à expliquer sa religion lui plaît. Il se fait volontiers pédagogue.
« Dans ma religion, un homme ne serre pas la main à une femme étrangère »
Le retour en France ne se passe pas très bien, raconte-t-il. « C’est quand j’ai commencé à me confronter au monde du travail, que j’ai vu que c’était compliqué. J’expliquais aux employeurs potentiels que le salaire m’importait peu, que je n’avais pas besoin de pause-café ou cigarette, mais qu’en revanche je demandais la possibilité de prier. On me répondait « impossible », et pour moi c’est inconcevable de ne pas prier. Donc, j’essayais de trouver des emplois compatibles. Chez Renault, il y a des salles de prière et un office le vendredi soir, c’est un héritage des années Mitterrand, car l’écrasante majorité des ouvriers est de confession musulmane. Je ne peux pas non plus travailler dans l’alcool, ni en transporter. » Les temps de prière ne sont pas la seule difficulté. Il poursuit : « Dans ma religion, un homme ne serre pas la main à une femme étrangère, il n’y a aucun souci en revanche à la saluer. »
« La France n’est pas compatible avec les valeurs de la religion, c’est une évidence »
« Ce que vous nous décrivez à propos de l’impossibilité de saluer les femmes n’entre-t-il pas en conflit avec les principes en France, par exemple l’égalité des hommes et des femmes ? Pensez-vous qu’il faut imposer des obligations aux femmes ? » questionne le président. « À l’évidence les principes de l’Islam ne sont pas compatibles avec la France, répond l’accusé. En Mauritanie, les femmes sont voilées, il n’y a pas de magasins vendant de l’alcool. Le fait que la France ne soit pas compatible avec les valeurs de la religion, ce n’est pas une surprise, c’est une évidence, il n’est pas besoin de polémiquer. Maintenant celui qui accepte de vivre dans ce pays et de renoncer aux principes de sa religion, libre à lui, il devra s’en expliquer par la suite. » Aller vivre dans un pays où il puisse vivre sa religion est son obsession.
Pour la justice, toute la question est de savoir si l’accusé est réellement un radical non violent ou pas. Or le dossier contient des indices contradictoires avec son discours. Il y a son comportement bagarreur à l’école qui lui a valu une exclusion, cette tendance chez lui à se poser en bouc émissaire dénonçant les persécutions dont seraient victimes les musulmans, les documents et vidéos retrouvés dans ses ordinateur et téléphone, les témoignages d’imams soupçonnant chez lui un rapport douteux avec le terrorisme, et puis les rapports de la pénitentiaire.
La détention est une épreuve de Dieu
Le président en lit des extraits. En 2019, il est noté qu’il est « agréable et participatif » avec les binômes de soutien en vue de la réinsertion, mais se situe dans un « rejet très clair de la démocratie et de ses valeurs ». Il aurait indiqué préférer encore vivre dans un État d’une autre religion plutôt que dans un pays laïc et dénoncé le fait que les musulmans sont persécutés en France. Il précise toutefois que jamais il ne passera à l’acte, qu’un musulman doit être non violent et que la détention est une épreuve de Dieu. Un deuxième rapport rédigé en 2021 indique que selon lui, la France n’a pas de valeurs stables dans le temps, qu’elle n’est pas une véritable démocratie, et que les Français veulent imposer leurs valeurs, il est donc normal que des personnes passent à l’acte. Des appréciations qui lui valent d’être maintenu durant les six années de sa détention provisoire à l’isolement. L’administration estime qu’il fait du prosélytisme et entend donc protéger ses codétenus de son influence. Il s’en explique à l’audience : « Quand deux musulmans se rencontrent en prison, il arrive qu’ils parlent de leur religion, ce n’est pas ce que j’appelle du prosélytisme. » Et de poursuivre : « J’assume tout à fait, j’ai un idéal, c’est ma religion, je ne cherche pas à imposer quoi que ce soit, c’est plutôt l’inverse, on s’immisce dans ma liberté de conscience. Je suis contre la laïcité car c’est un athéisme d’État déguisé. Être religieux n’est pas un mal, je préfère largement les modèles anglo-saxons, ils ne cherchent pas à vous dissoudre, à vous retirer votre identité ».
« Toute orthodoxie en France devient un mal »
Cette incompréhension totale de la laïcité, il l’exprime à propos de la récente circulaire du ministre de l’Éducation nationale. « Je ne vois pas en quoi l’abaya empêcherait une femme d’avoir des bonnes notes en maths, toute orthodoxie en France devient un mal, comme si être conforme à sa religion finissait toujours dans le terrorisme. »*
À l’entendre, il ne chercherait que l’apaisement, le bien-être, ce qui exclurait toute participation à des actes violents de sa part. C’est ce qui explique qu’il ne soit pas parti en Syrie contrairement à beaucoup d’autres. « Ce qui a déclenché les départs, c’est une guerre civile, je savais qu’ils m’auraient forcément mobilisé, or, j’ai toujours voulu vivre dans un État avec un minimum de paix et de stabilité. Un temps j’avais envisagé l’Égypte pour la qualité des études, l’Arabie saoudite, mais c’est très difficile d’aller là-bas. En revanche, je ne serais jamais parti ni en Afghanistan, ni en Syrie. »
« — Vous ne voulez pas participer vous-mêmes ou vous êtes opposé à la violence pour imposer la religion ?
— Défendre sa vie, sa patrie, je le comprends, si le Maroc était en guerre et que je sois sur place, je le défendrai.
— On peut tuer pour imposer sa religion ?
— Le meurtre est un des pires crimes dans ma religion.
— Hier**, votre femme a déclaré à la barre “je suis une femme je n’ai pas à combattre”, c’est glaçant…
— Elle a des raisonnements assez binaires, ce qui l’a poussée à se fourvoyer à l’époque c’est qu’elle pensait ça légitime, ça ne veut pas dire que les autres peuvent le faire, elle ne parle que d’elle.
— On entend en creux que le rôle d’un homme est de combattre…
— Est-ce que le jihad existe, oui. Historiquement ça a existé pour imposer l’islam. Si vous visez les attentats commis sur des territoires qui ne sont pas en guerre, j’exclus cette notion du jihad et elle aussi. »
Un non-violent cerné de terroristes
Plus tôt dans la matinée, le président a souligné le paradoxe qu’il y avait à être non-violent pour n’évoluer qu’au milieu de gens en lien étroit avec le terrorisme. Il y a en effet son frère, condamné pour ce motif, son ami d’enfance, qui a perpétré le massacre de Magnanville et auquel il est soupçonné d’avoir participé, sa première fiancée, Sarah Hervouet, condamnée dans l’affaire des bonbonnes de gaz, la deuxième, condamnée pour terrorisme. « Beaucoup de gens dans votre entourage tournent autour des actions violentes, mais vous, vous n’avez rien à voir avec ça ? » interroge un avocat des parties civiles. L’accusé rappelle que son frère a purgé sa peine. Sarah Hervouet n’avait encore rien fait quand il l’a connue, quant à son épouse, elle a payé sa dette. « Si vous pensez que les gens condamnés n’ont plus le droit que de manger, dormir et fermer leur bouche, c’est votre conception, ce n’est pas la mienne », tacle l’accusé qui révèle, au fil de cette audition, une agilité intellectuelle dont il finit par s’enivrer et qui le pousse à donner des leçons à tous ceux qui l’interrogent. On se souvient alors des témoignages d’imams décrivant un homme se croyant plus savant que les autres et critiquant les prêches…
« Ma religion me permet de rester en vie »
L’une des deux avocates générales connaît bien le cas de Mohamed Lamine Aberouz car elle a requis en 2019 dans le procès des bonbonnes de gaz lors duquel il a été condamné à trois ans de prison (cinq en appel) pour n’avoir pas dénoncé Sarah Hervouet alors qu’elle se rendait à Paris pour participer à un attentat.
« — Qu’est ce qui a changé en quatre ans ? À l’époque, le jugement vous reproche votre volonté de dissimulation et aucune capacité d’introspection. Est-ce qu’il est possible qu’un jour vous invalidiez une règle religieuse inscrite dans le Coran ?
— L’islam n’impose pas d’être abruti. Ma religion me permet de rester en vie, donc je continue à me perfectionner parce qu’elle m’apporte un minimum de bonheur au quotidien », répond l’accusé qui se lance ensuite dans de longues explications sur les interprétations du Coran, dont on comprend qu’il pourrait changer de courant, mais certainement pas remettre en cause l’un ou l’autre des commandements.
« La réponse est non », synthétise l’avocate générale.
— Vous êtes franco-marocain, né en France, qu’est-ce que vous aimez dans la France ? » le relance-t-elle.
Silence.
Il est midi, l’accusé qui s’exprime depuis neuf heures du matin sans marquer la moindre hésitation, semble pour la première fois en panne d’inspiration. Il finit par répondre : « Le climat, bien qu’Arabe je ne supporte pas la forte chaleur. C’est un pays évolué, cela permet de s’instruire, c’est grâce à cette instruction que je suis entré sur la voie de la religion. Et puis la nourriture.…
— Aucune valeur française ne vous parle ?
— La liberté de conviction et d’expression ça me parle, mais il y a la théorie et la pratique, depuis six ans on n’a eu de cesse de me reprocher ma liberté de conviction et d’expression, j’ai l’impression que ces valeurs fonctionnent quand vous entrez dans le cadre, sinon on vous les dénie. »
Le procès se tient jusqu’au 10 octobre.
*Notre dossier complet sur les recours contre l’interdiction de l’abaya et du qamis à l’école est ici.
**Lire notre récit d’audience : Attentat de Magnanville : L’étrange face à face entre l’accusé et son épouse qu’il n’avait jamais vue – Actu-Juridique
Référence : AJU391564