Au tribunal de Pontoise, les deux « malandrins » et le collier arraché

Publié le 13/09/2023

Keredin et Adel ont arraché la chaîne en or qu’un homme portait autour du cou, avant d’être interpellés par des gendarmes dont la faconde désuète fait rire la présidente. En revanche, le tribunal ne plaisante pas avec les vols à l’arrachée.

Au tribunal de Pontoise, les deux « malandrins » et le collier arraché
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« T’es comme Barthez dans les cages, tu sers à rien ! », lit la présidente d’une voix mécanique sans parvenir à réprimer un sourire. C’est l’outrage adressé par Salif aux gendarmes, pour lequel il ne sera pas jugé ce 28 août, car il a demandé un délai pour préparer sa défense. « C’est votre droit », convient la présidente. Salif, SDF, part en détention provisoire.

Surgissent alors deux maigrichons un peu hagards, qui grelottent en t-shirt dans la salle climatisée des comparutions immédiates de Pontoise. Keredin, 21 ans et Adel, 18 ans, auraient arraché la chaîne en or d’un homme à la gare de Sannois. « Nous voulions simplement acheter un paquet de cigarette ! » se justifie Adel avec empressement, mais la présidente lui indique que, pour le moment, c’est elle qui parle. « Qui a un short, là ? » Keredin. « Donc c’est celui-là qui avait un collier sur lui », dit-elle, le nez dans le procès-verbal d’interpellation rédigé par les gendarmes.

Ils écrivent que Monsieur D., la victime, raccompagne sa mère à la gare, lorsqu’il rencontre fortuitement deux individus qui adoptent une attitude suspecte, lui parlent de façon familière et deviennent tactile. Il les exhorte alors à reculer et cesser de les toucher. À ce moment-là, écrivent-ils, les deux individus l’accusent d’être raciste. Il s’éloigne, mais ils le suivent, continuent de s’adresser à lui. L’un des deux le surprend par une accolade par-derrière, lui arrache sa chaîne et met la main dans sa poche. « Ce qui est marrant, c’est la phrase suivante. Je vous lis : ‘Les deux malandrins prennent d’un pas alerte la direction de la mairie’ », est-il rédigé en prose gendarmesque de style classique. La présidente est hilare.

« Nous lui portons deux coups de poing aux côtes »

Monsieur D. appelle les gendarmes, qui débusquent les « malandrins » planqués dans les fourrés. « L’un est allongé au sol et refuse d’être interpellé », c’est Keredin, alors « nous lui portons deux coups de poing aux côtes, les mains fermées, ce qui permet le relâchement de ses membres. » Adel tente de se retenir aux branches. « L’interpellation est un peu compliquée », souligne la juge.

Elle s’adresse à Adel. « Vous en pensez quoi ?

— On lui a dit ‘bonjour bonjour’, il ne nous a pas laissés lui parler à deux, alors je me suis éloigné et lui (Keredin) a pu lui parler tranquillement.

— Et on lui prend sa chaîne, tranquillement ?

— Personnellement, je reconnais ce que j’ai fait, je sais que c’est une grosse erreur et je demande pardon à la victime, à la justice.

— C’est la première fois que vous faites une grosse erreur, comme vous dites ?

— Oui, première fois.

— Je ne suis pas d’accord, quand je vois votre casier …

— C’est vrai que j’ai déjà commis des erreurs, mais ça fait un an que je travaille et que je n’ai rien fait. » Condamné à six reprises pour des vols uniquement, Adel a jusqu’ici écopé de petites peines, en tant que mineur.

« J’ai des problèmes dans ma tête »

Keredin, deux condamnations à de la prison ferme, est sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) et doit rentrer en Algérie. Il se lance dans une complainte contrite :

« J’ai essayé de travailler, d’éviter les problèmes. En plus je devais me refaire les dents, j’ai beaucoup de problèmes dentaires, j’avais rendez-vous aujourd’hui. Je devais être soigné et quitter la France. Je ne suis pas fier, j’ai des problèmes dans ma tête (il est sous Lyrica, un traitement contre les troubles anxieux, ndlr), beaucoup de problèmes avec ma famille, ma mère est hospitalisée en Algérie. Elle n’a personne pour l’aider.

— Eh bien, allez-y ! », le coupe la présidente.

Il pleure : « Il n’y a pas de travail au pays.

— Ce n’est pas en arrachant les colliers que ça va aider votre mère.

— Je vous jure que c’est la première fois.

— Vous avez déjà été condamné deux fois pour des vols aggravés. »

« L’occasion a fait les larrons »

La procureure est exaspérée par les faits, « les plus redoutés dans les gares d’Île-de-France » (elle pointe un doigt accusateur) : les vols à l’arrachée. Elle souligne ce comportement « réitéré » et demande de la prison ferme avec maintien en détention. Neuf mois contre Keredin (l’arracheur), six mois contre Adel.

Leur avocat minimise l’ampleur des faits en évoquant un vol d’opportunité : « l’occasion a fait les larrons ! Ils étaient partis acheter des clopes à la sauvette ! » Il raconte que ses dents abîmées sont la conséquence d’un passage à tabac par des policiers lors d’une précédente garde à vue, lui a dit son client. Il dit cela les mains vers le haut, le plat vers l’avant, faisant une moue dubitative, pour signifier qu’il prend ces propos avec des pincettes, mais enfin, on ne sait jamais. Puis, il demande que le quantum de la peine soit revu à la baisse.

En dernier lieu, Keredin menace : « Je vous jure que si vous m’envoyez en prison, c’est comme si vous signez l’arrêt de mort de ma mère !

— Alors, ça, ce n’est pas très malin », rétorque la présidente.

Les deux prévenus sont condamnés aux réquisitions.

 

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