Bobigny : « Un coup de béquille et des coups de pied, c’est un western votre truc ! »

Publié le 06/07/2021

Le tribunal correctionnel de Bobigny, mercredi 30 juin, a jugé Aymen, auteur de violences pour avoir frappé à coups de béquille un SDF alcoolisé, et s’est aussi penché sur le sort de Mohamed, 38 ans, un schizophrène accusé d’avoir incendié un véhicule.

Bobigny : « Un coup de béquille et des coups de pied, c'est un western votre truc ! »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

Aymen fulmine, il en bégaierait presque, mais on devine qu’il n’en mène pas large. « Je suis vraiment désolé pour la manière dont je me suis défendu », reconnaît-il. Car l’affaire d’Aymen est une question de proportion de la riposte, qui lui a fait défaut au soir du 8 février 2021, à Noisy-le-Sec.

Aymen sortait d’un repas arrosé chez des amis, quelques verres de vin et de whisky, et s’apprêtait à rejoindre son véhicule. C’est alors que Monsieur S., un énergumène bien connu du quartier pour s’y livrer à la boisson et importuner les passants, l’insulte et lui donne un léger coup avec sa bouteille. Aymen sort de ses gonds. Il commence par cogner du poing, puis s’empare de la béquille, la casse en deux, et frappe l’ivrogne avec l’un des morceaux. Enfin, ne se maîtrisant plus, il porte plusieurs coups de pied au malheureux à terre. La scène est brutale. Un témoin a même affirmé qu’Aymen avait alors assuré qu’il allait l’écraser avec sa voiture.

« C’est un enquiquineur qui aime bien embêter les passants »

C’est dans celle-ci qu’il se réfugie, non pour s’enfuir mais pour attendre les secours et la police. Et le voici aujourd’hui qui tente de s’expliquer, mains croisées derrière le dos, raide comme un piquet à la barre du tribunal correctionnel de Bobigny. Son affaire a été renvoyée plusieurs fois, et il comparaît libre pour le délit de violences volontaires avec arme sur personne vulnérable ayant entraîné 10 jours d’ITT. Il encourt théoriquement 7 ans de prison, mais comme il est en récidive cela porte le maximum à 14 ans.

Le président tente d’appréhender la situation. « Apparemment c’est un enquiquineur, qui aime bien embêter les passants. Pour autant, est-ce qu’il mérite cela ? » Les faits ne sont pas contestés, mais Aymen aimerait qu’on le comprenne : « Il m’a agressé, m’a lancé des insultes vraiment blessantes », tente-t-il de justifier. « Il a fait quelque chose qui n’est pas humanitaire envers moi », répète-t-il plusieurs fois. Certes, mais « d’abord un coup de poing, puis un coup de béquille et des coups de pied, c’est un western votre truc ! », commente le président, qui peine à comprendre la disproportion de la réaction d’Aymen. Celui-ci se tortille un peu, hésite, se tourne vers son avocat. « Allez-y, dites-le », lui souffle ce dernier. Aymen se lance : « Quand j’étais enfant, j’étais un enfant violé par mon prof, et il a utilisé la béquille comme il ne fallait pas », dit-il d’une traite. Réaction épidermique, violence incontrôlée. La procureure intervient :

« — S’il n’y avait pas eu d’intervention des policiers, est-ce que vous vous seriez calmé de vous-même ?

– J’étais calme juste après , objecte Aymen.

— Il était dans un état psychologique … il était anéanti après cet accident, intervient son avocat.

— Accident, accident, c’est pas des blessures involontaires », rectifie le président.

« On ne demande pas une récompense »

Né en 1988, Aymen mène une vie tranquille, bien inséré, marié et père d’un enfant, mais il est suivi depuis 2019 sur le plan psychiatrique pour anxiété et dépression. « A un moment donné, on ne peut pas tout mettre sur le dos de l’alcool et d’un passé de souffrance ! » sermonne la procureure dans son réquisitoire. Elle demande 10 mois de prison dont 4 mois de sursis probatoire d’une durée de deux ans, obligations de soins et de travail.

L’avocat d’Aymen insiste sur la souffrance de son client, liée aux abus sexuels subis dans son enfance, et sur le comportement agressif de la victime. Mais « on ne cherche pas à justifier, uniquement à expliquer, on ne demande pas une récompense », conclut-il. Au retour d’une courte suspension, Aymen est condamné aux réquisitions.

Détention provisoire et irresponsabilité pénale

Après quelques affaires rapidement jugées ou renvoyées, voici Mohamed, ou plutôt Sidi Mohamed, né dans le 12e arrondissement de Paris, ou à Bamako, tout cela est très flou. Mohamed lui-même est très flou. Il répond par monosyllabes d’une voix pâteuse : derrière son masque chirurgical, il paraît complètement hébété, avec ses yeux ronds comme des billes. « Je crois qu’il y a une demande de renvoi pour expertise psychiatrique, et que cette demande émane du Mme le procureur comme de la défense », dit le président. Qui veut prendre la parole en premier ? »

Ce sera la procureure, mais le président fait d’abord un bref rappel des faits, qui se déroulent à Saint-Denis. La police interpelle Mohamed après qu’il eut mis le feu à un véhicule. « Très vite, va se poser la question de la compatibilité de votre état avec une mesure de garde à vue. Vous teniez des propos délirants, et je ne dis pas cela parce que vous aviez demandé Eric Dupond-Moretti comme avocat, mais vous sembliez ne pas comprendre ce que les policiers vous demandaient », résume-t-il. Mohamed a fait de nombreuses gardes à vue dans sa vie, et souvent, son état fut jugé incompatible avec une telle mesure. Malgré cela, il affiche, à 38 ans, 21 condamnations. L’enquête sociale rapide fait état d’un lourd passé : il ne connaît pas ses parents biologiques, ses parents adoptifs auraient été assassinés, il est à la rue depuis des années, dit-il sans que cela puisse être vérifié. Il aurait des triplés qu’il ne connaîtrait pas, fume des joints tous les jours et touche à toutes les drogues. Son souhait le plus cher : retourner au Mali pour y retrouver la paix. Mohamed souffre de psychose schizophrénique pour laquelle il est traité, mais sa consommation de drogues provoque chez lui de violentes décompensations.

Les psychiatres en garde à vue estiment que son discernement est aboli, et qu’il faut l’hospitaliser sous contrainte. La procureure demande une expertise psychiatrique, car l’examen de garde à vue n’est pas un support suffisant pour décider d’une telle mesure. Elle demande aussi de placer Mohamed, en détention provisoire, en attendant un éventuel procès, dont l’audience est fixée au 9 août. La défense tente mollement d’obtenir un contrôle judiciaire, mais « pour prévenir la récidive », Mohamed, ou Sidi Mohamed, est placé en détention provisoire, avant de savoir s’il est responsable pénalement.

 

 

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