« C’est une façon pour le tribunal de contribuer à la qualité de la justice »
Aux comparutions immédiates de Bobigny, mercredi 30 juin, une femme de 37 ans a comparu pour avoir transporté et détenu plus de 7 kilos d’héroïne, dissimulés dans le double fond de ses valises, entre Abidjan et l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.
Quand Mariama entre dans le box, elle peut voir à sa droite six jeunes nonchalants, casquette sur la tête et masque sur le menton, se faire houspiller par la policière, et trois juges à sa gauche se préparant à examiner son affaire, mais Mariama, cheveux bleus et polo rouge, regarde ses pieds.
Trois cent mille euros d’héroïne
L’assesseur procède au traditionnel rappel des faits reprochés : à l’aéroport de Roissy, au retour d’Abidjan, Mariama est contrôlée par les douanes. Elle présente son passeport belge, les douaniers décident de fouiller ses deux valises, dans lesquelles ils n’ont aucun mal à découvrir quatre sachets d’héroïne dans un double fond un peu branlant : 7,3 kilos soit près de 300 000 euros de marchandise, ont évalué les douaniers.
Lors de son arrestation, Mariama nie. A l’audience, Mariama nie encore. Elle admet la présence – irréfutable – du produit stupéfiant dans sa valise, mais elle conteste avoir su qu’il s’y trouvait. Sa version est la suivante : en vacances à Abidjan pour y visiter une amie, elle se lie d’amitié et un peu plus avec un homme « qui m’a draguée dans la rue ». Comme sa camarade travaille en journée, elle passe son temps avec cet homme fort agréable, qui la balade et la cajole. Peu avant son vol retour, alors qu’elle a dû céder ses propres valises à des amis (la raison de ce geste n’a pas été développée), son chevalier servant lui prête deux valises. Elles ne lui ont pas paru suspectes, car « les grosses valises à roulette sont toujours un peu lourdes ».
Touriste ou mule aguerrie ?
Le président l’interroge : « Qu’est-ce qui était prévu, par rapport aux valises, il vous a demandé de lui rendre ?
– Oui, je devais remettre les valises à son frère lors de mon arrivée en Belgique. »
De cet homme, elle dit ne rien savoir.
« — Vous en pensez quoi ? demande l’assesseuse.
— Je me suis vraiment trompée.
— Cela vous est déjà arrivée d’être aussi naïve ?
– Non, jamais !
– Mais alors, pourquoi cette fois-ci ? »
Le tribunal doute de la version de la prévenue. Ce voyage en soi paraît suspect aux magistrats, car s’ils entendent qu’elle se rende en Guinée, dont elle est originaire, ils ne sont pas convaincus par les intentions touristiques alléguées par Mariama au Niger (2016), au Maroc (2017), et donc en Côte d’Ivoire ; ils la soupçonnent d’être en réalité une mule aguerrie. « Ce Monsieur vous a utilisé pour faire passer de la drogue en Europe, dit le président, mais c’est risqué de faire transporter à quelqu’un qui ne le sait pas, une telle quantité », fait-il observer.
Mariama ne semble pas prendre la mesure de la gravité des faits qui lui sont reprochés. À la demande du tribunal, elle raconte son parcours avec légèreté. Âgée de 37 ans, arrivée en Belgique en 2004, naturalisée belge en 2013, mère de deux enfants, elle a travaillé comme auxiliaire de vie et souhaite obtenir davantage de qualifications dans cette branche, pour y trouver un emploi stable. Son regard se fait plus inquiet quand la procureure prononce son réquisitoire : « Madame sait faire preuve d’une grande naïveté, mais ses explications ne sont absolument pas convaincantes. » Elle informe le tribunal que l’héroïne a été analysée, qu’elle est « fortement titrée » et « anormalement dangereuse ». Pour elle, Mariama est une mule payée pour transporter la drogue, car « vous ne pourrez croire qu’elle transporte 300 000 euros de produits stupéfiant uniquement par naïveté ». Elle demande 4 ans d’emprisonnement, avec mandat de dépôt, ainsi que 30 000 euros d’amende.
On peut désormais lire la panique sur le visage de Mariama.
« Je suis désolée, je ne savais pas, j’ai des enfants »
Son avocate se lance alors dans une plaidoirie offensive. Elle se révolte contre la procédure : les policiers n’ont pas contacté les avocats assez rapidement, alors qu’ils ont écrit qu’ils l’ont fait, « ce qui constitue un faux en écriture publique », plaide-t-elle. N’ayant pris connaissance de la procédure qu’à 11 heures ce jour, il lui a été impossible effectuer les démarches permettant de prouver la véracité du séjour touristique de Mariama, d’étayer son discours par des éléments matériels probants. C’est toute la difficulté des comparutions immédiates, les avocats n’ont que très peu de temps pour préparer la défense de prévenus qui comparaissent le plus souvent dans les 48 heures suivant leur arrestation.
Dans son box, Mariama n’a pas tenu le choc : elle s’est effondrée, et a dû être évacuée par les deux policiers pendant la plaidoirie de son avocate. Ranimée au moment de prononcer les traditionnels derniers mots accordés au prévenu, elle s’accroche au rebord de la vitre du box, et supplie : « Je suis désolée, je ne savais pas, j’ai des enfants » ; elle semble près de s’effondrer à nouveau. C’est le moment que choisit le tribunal pour partir délibérer.
Figée de stupeur
A son retour, Mariama a les yeux dans le vague, résignée. Le président déclare : « le tribunal vous relaxe. » Tout le monde est ébahi. Mariama n’a pas écouté, la policière à sa gauche lui tape sur l’épaule : « madame, madame, vous êtes relaxée, il n y a pas de peine d’emprisonnement ! » Il faut lui répéter plusieurs fois avant que ses yeux ne s’écarquillent. Ébaubie, elle reste figée de stupeur. Dans le public, les jeunes, qui s’ennuient en attendant de voir comparaître leurs copains, sont amusés et tout aussi stupéfaits.
Le président s’explique : « Vous n’êtes pas relaxée par ce que vous avez failli tomber dans les pommes. Vous avez fourni une version que les enquêteurs n’ont pas cherché à contredire, ils ont fait une enquête à l’économie. C’est une façon pour le tribunal de contribuer à la qualité de la justice ». Il ajoute : « Cela n’empêche pas de penser que vous avez fait preuve d’une grande légèreté. » Mariama est avertie : elle n’aura pas toujours cette chance. Elle remercie les juges sans pouvoir s’arrêter de pleurer. En quittant le box, elle lance un œil à travers le plafond vitré, vers le ciel et les nuages menaçants.
Référence : AJU229117