Classement sans suite : une proposition de loi pour renforcer les droits des victimes

Publié le 04/06/2025 à 10h11

Préserver les droits des victimes dont la plainte a été classée sans suite, tel est l’objectif d’une proposition de loi adoptée début mai. On fait le point sur les innovations qu’elle introduit avec Me Elyssa Laurent qui a suivi avec une particulière attention l’évolution de ce texte.

Classement sans suite : une proposition de loi pour renforcer les droits des victimes
Atlantis / AdobeStock

L’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, mercredi 7 mai 2025, la proposition de loi portée par le Député Jiovanny William, visant à préserver les droits des victimes dont la plainte a été classée sans suite.

Retenue au titre de la deuxième année consécutive par la Conférence des présidents, dans le cadre de la semaine transpartisane de l’Assemblée, la proposition de loi dite « Avis à victime » avait, dans un premier temps, fait les frais de la dissolution prononcée le 9 juin dernier par le président de la République.

Aux prémices de cette initiative, un triple constat. Premièrement, celui des victimes qui dénoncent les notifications cavalières de ces avis de classement sans suite et l’absence d’uniformité de cette pratique entre les différents parquets. Tantôt par lettres recommandées, tantôt par remise en main propre ou encore de façon orale lors d’un entretien téléphonique. Toutefois, quel que soit le moyen retenu, l’effet est le même sur le point de départ des délais de contestation de cette décision ainsi que sur la prescription de l’action.

Ensuite, le développement sur les réseaux sociaux d’une forme collective de justice citoyenne. Les auteurs de ces opérations se disent déterminés à prendre part à l’enquête afin de soustraire les victimes au risque de classement. Quand l’action citoyenne prend le pas sur l’enquête, il y a bien un dysfonctionnement manifeste.

Enfin, l’absence de transparence et de lisibilité quant aux suites réservées aux victimes à l’issue de cette décision de classement. Elles ignorent, bien souvent, à ce stade, les voies et délais de recours qui leur sont réservés afin d’assurer la défense de leurs intérêts. C’est un coup de massue brutal.

« En 2022, sur les 4 077 879 affaires, plus de sept sur dix ont été considérées comme non « poursuivables » et ont fait l’objet d’un classement sans suite sur décision du procureur de la République ».

Entre ordre ancien et renouveau

Articulée principalement autour d’un article 2 venant modifier les dispositions des articles 15-3, 15-3-1 et 40-2 du Code de procédure pénale, la proposition de loi dite « Avis à victime » procède tant du toilettage d’obligations d’ores et déjà existantes que de l’introduction de nouveautés. Au titre de l’existant, l’obligation de motivation.  Le texte prévoit qu’elle devra être rédigée en des « termes simples et accessibles ». Cette exigence n’est pas nouvelle, elle figure dans certaines dispositions du Code de procédure pénale, par exemple les articles 78-2 et 803-6. Le député écologiste et social Emmanuel Duplessy – lequel avait déjà tenté de modifier ces termes en commission des lois – a réussi à convaincre ses collègues du Nouveau Front Populaire en séance publique. Un amendement a été adopté de justesse afin de remplacer « accessibles et contextualisés » par « simples et accessibles ». Le rapporteur, Jiovanny William, a souligné que l’intelligibilité de la loi passe par un effort d’harmonisation de l’existant afin d’éviter toute démultiplication des terminologies. Par ailleurs, la condition de « contextualisation » appelée par son collègue, semblait surabondante au regard des dispositions de l’article 40-2 du Code de procédure pénale. Pour rappel, la décision de classement sans suite indique les motifs qui la justifient. En d’autres termes, l’acte de motivation est, par définition, un acte de contextualisation de la décision prise. L’opposition du rapporteur à cette substitution tenait également au fait qu’ajouter une telle précision pouvait laisser penser qu’avant l’entrée en vigueur de cette loi, le parquet se contentait d’une motivation stéréotypée, sans prise en compte du cas de l’espèce.

En pratique, il ne sera plus possible de se contenter de mentionner la seule nomenclature logicielle actuellement utilisée et si peu explicite pour la victime profane.  Il faudra donc détailler davantage et de manière compréhensible, les considérations de fait et de droit qui justifient le motif du classement sans suite.

Au chapitre des innovations, afin de renforcer le droit à la pleine information des victimes plaignantes, le texte adopté rend la remise du procès-verbal de dépôt de plainte obligatoire, sans qu’il soit nécessaire pour ces dernières d’en faire expressément la demande.

D’autres ajouts substantiels sont à relever, dont celui du choix du mode de notification de la décision de classement. Il s’agit d’un apport majeur, également à l’origine d’une division avec le Rassemblement national. Persuadé de ce que l’ensemble des plaignants opteraient pour une notification par lettre recommandée, le Rassemblement national a crié à la dépense excessive, souhaitant inverser la mécanique prévue. Le Rassemblement national a ainsi tenté de faire de la notification par voie électronique le principe et des autres modes de communication, l’exception. C’est sans compter la prise en compte des statistiques nationales en matière d’illectronisme. En 2021, 15 % de la population française adulte âgée de 15 ans était frappée d’illectronisme et 28 % étaient dotés de capacités numériques faibles. À titre complémentaire, le baromètre numérique réalisé en 2022 révélait que 54 % des Français éprouvaient au moins une forme de difficulté les empêchant d’effectuer des démarches en ligne. 48 % éprouvaient au moins un frein les empêchant d’utiliser pleinement les outils numériques et interne. Le Rassemblement national n’a convaincu aucun groupe parlementaire, tous reconnaissant que « le tout numérique », pourrait davantage éloigner les victimes du cadre exposé.

Ainsi, désormais, toute victime plaignante sera en mesure de choisir le mode de notification par lequel elle souhaite être touchée : par courrier simple, par courrier recommandé, par courriel. Ce choix sera consigné au sein du procès-verbal de dépôt de plainte.

C’est également un aveu assumé de vouloir retirer une part de cette ´charge mentale ´, celle de l’attente dans le stress et l’angoisse, que ni l’indemnisation du préjudice moral, ni celle du pretium doloris, n’entendront réparer.

En se focalisant sur un seul moyen de communication, d’une part la victime s’allège de ce stress procédural, d’autre part, elle fait le choix de la notification la plus sécurisée au regard de son contexte social et familial.

Autre point essentiel, l’obligation de recourir à un mode alternatif de notification en cas d’échec de la première notification. Il sera nécessaire de retenter une mesure de notification s’il s’avère que celle choisie par la victime n’a pu aboutir. Le procureur de la République pourra donc, s’il l’estime nécessaire, procéder par voie électronique ou par tout autre moyen.

Au nombre des alternatives nouvelles, figure la possibilité pour ce dernier de recourir à une association d’aide aux victimes. Ce qui peut être déterminant, notamment en cas de violences intrafamiliales.

Enfin, les éléments justifiant de l’accomplissement des formalités liées à la communication de l’avis de classement sans suite aux plaignants et aux victimes identifiées seront versés au dossier de la procédure. Cette traçabilité sera susceptible d’avoir des conséquences sur la détermination des délais de recours. La jurisprudence à venir devra préciser la portée de ces omissions.

À noter, sous l’impulsion du Conseil national des barreaux, l’obligation nouvelle de mentionner au sein de la décision de classement, les voies et délais de recours. Une exigence du droit à un recours effectif et à un procès équitable, jusqu’ici défaillante. Les victimes plaignantes seront informées sans délais.

Enrichi après son passage en commission des lois, le texte prévoit également l’obligation de notifier cette décision de classement à tout avocat constitué sur un dossier.

Sur le plan matériel, l’ensemble de ces mesures s’appliqueront indistinctement aux plaintes déposées sur place ainsi que pour celles déposées en ligne.

Sonner le glas de l’archaïsme logiciel

Le texte adopté à l’unanimité, parvient à l’objectif annoncé de replacer la victime au centre de la procédure.

Il n’en demeure pas moins que mieux légiférer n’est qu’un début.

En effet, l’amélioration des droits des victimes passera nécessairement par une modernisation des logiciels internes mis à disposition des Parquets, Commissariats et de la Gendarmerie. À ce jour, aucun  ne permet de centraliser les données collectées. Il est impossible pour un officier de police judiciaire immatriculé à Paris, d’accéder aux autres procès-verbaux de dépôt de plainte saisis au sein d’un autre Commissariat provincial, du moins tant que l’auteur présumé de l’infraction n’est pas poursuivi.

Préserver les droits des victimes passera nécessairement par le traitement des causes profondes qui perturbent le bon déroulé de cette première phase. Pour rappel, le motif de classement sans suite le plus fréquemment retenu est celui qui se fonde sur des recherches infructueuses. Il représente près de quatre cas sur dix (38 %) selon les chiffres publiés par le ministère de la Justice[1]. Il est louable de penser que la mutualisation des informations recueillies sur l’ensemble du territoire national, pourrait réduire de manière significative le taux de ces classements sans suite. À cela s’ajoute le nécessaire renforcement des effectifs relevant des Ministères de l’Intérieur et de la Justice.

Les débats dans cet Hémicycle, ont naturellement porté sur la question des moyens. Le décret n°2025-374 du Premier ministre François Bayrou, portant annulation de crédits budgétaires le 25 avril dernier, impacte également la mission « Justice » et ses programmes.

Si le garde des Sceaux Gérald Darmanin a accueilli favorablement cette initiative parlementaire, reconnaissant un objectif commun d’améliorer l’accompagnement des victimes dans leur quotidien, aucune annonce n’a été faite sur cette question très précise.

Au cours des prochains mois, le texte poursuivra son parcours au Sénat. Il devra autant que nécessaire, maintenir l’équilibre trouvé suite aux auditions des corps constitués. Dans cette attente, « il faut imaginer Sisyphe heureux ».

 

[1]  Références « statistiques Justice 2023 », pages 92 à 93.

 

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