Comment fonctionne la protection judiciaire de la jeunesse ?
Avec l’entrée en vigueur du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) en 2021 et les dispositions complémentaires apportées par la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice de 2023, les 54 directions territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) situées sur l’ensemble du territoire français ont constaté certaines évolutions dans leurs modalités d’intervention auprès des jeunes confiés. Le nouveau texte législatif a permis de clarifier le cadre des mesures éducatives judiciaires pouvant être prononcées par les magistrats. Ces réformes avaient aussi pour objectif de limiter l’incarcération des mineurs en détention provisoire et ont contribué au rajeunissement des mineurs incarcérés au sein de l’établissement pénitentiaire de Porcheville. Directrice de la DTPJJ des Yvelines, Bathilde Groh, a tenu à rappeler aux lecteurs d’Actu-Juridique les activités de ses services avant de revenir sur l’impact des réformes concernant la justice pénale des mineurs. Entretien.
Actu-Juridique : Quels sont les missions et les objectifs de la Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) des Yvelines ?
Bathilde Groh : La Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse des Yvelines exerce ses missions sur l’ensemble du département. Au total, 198 agents sont rattachés à la DTPJJ yvelinoise. Plus de 68 % d’entre eux sont des éducateurs. Nos missions au pénal s’inscrivent toujours dans le cadre d’un mandat judiciaire en lien avec un délit ou un crime. Les jeunes nous sont confiés par la justice et nous devons assurer un suivi éducatif. Notre objectif est de les accompagner vers une sortie de la délinquance en leur assurant une réinsertion stable dans la société comme citoyens, avec tous leurs droits et obligations et avec les dispositifs d’insertion qui peuvent les soutenir dans cette démarche.
AJ : Combien de jeunes sont suivis à l’heure actuelle par vos services ?
Bathilde Groh : Au niveau de la DTPJJ, nous suivons 2 529 jeunes pour 4 231 mesures au mois d’octobre 2024. 83 % de ces mineurs sont des garçons et 63 % sont âgés entre 16 et 17 ans.
AJ : Concrètement, comment se déroule le processus ?
Bathilde Groh : Au sein du tribunal judiciaire de Versailles, nous avons un service éducatif qui évalue la situation du jeune et qui dresse un recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE). Ce document permet d’éclairer les magistrats dans leur prise de décision et d’avoir la possibilité de rechercher des alternatives à l’incarcération pour les mineurs. Notre rôle de protection et de sanction se retrouve aussi dans cette graduation des mesures qui peuvent être proposées aux magistrats. Les juges peuvent ainsi prononcer des mesures éducatives ou des peines (travail d’intérêt général, peine de stage, sursis probatoire…).
AJ : Vous avez parlé de cinq établissements du service public de la protection judiciaire de la jeunesse des Yvelines et un service associatif habilité. Quelles sont leurs caractéristiques ?
Bathilde Groh : Le département des Yvelines est couvert par différents d’établissement dédiés au milieu ouvert, au placement et à l’insertion. D’abord à Mantes-la-Jolie, à Poissy, à Versailles et à Voisins-le-Bretonneux, nous avons quatre unités éducatives de milieu ouvert. Chaque mineur est suivi par un éducateur référent, présent du début à la fin du parcours judiciaire auprès du jeune et de sa famille. En milieu ouvert, la composition des équipes de la PJJ est pluridisciplinaire. Auprès des éducateurs, il y a des psychologues et des assistants de services sociaux dans une prise en charge complémentaire auprès des mineurs dans le cadre du Code de la justice pénale des mineurs. À Aubergenville, vous avez une unité d’hébergement collectif qui accueille 11 mineurs. Ensuite, une unité dite d’hébergement diversifié renforcé de 20 places permet d’adapter la prise en charge en placement aux besoins des jeunes, qui peuvent être accueillis jusqu’à 21 ans. Ce type d’établissement s’appuie sur un réseau de familles d’accueil et sur des places au sein de foyers de jeunes travailleurs. Nous avons aussi trois unités éducatives d’activité de jour à Versailles, Poissy et Villepreux. Leur objectif est de travailler sur l’insertion sociale, scolaire et professionnelle des mineurs accueillis âgés entre 16 et 21 ans. Enfin, nous sommes aussi présents à travers un service éducatif au sein de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Porcheville, qui a une vocation nationale puisqu’il accueille des jeunes de toute l’Île-de-France et même parfois d’autres régions.
AJ : Quels sont les partenaires de la DTPJJ des Yvelines qui vous permettent d’exercer vos missions ?
Bathilde Groh : D’abord, nous avons un service associatif habilité exclusif. La protection judiciaire de la jeunesse, dans l’exercice de ses missions, a développé un partenariat avec La Sauvegarde des Yvelines, pour exercer en complémentarité les missions d’investigation éducative au civil et la mise en œuvre de mesures en alternative aux poursuites pour des jeunes primo-délinquants dans le cadre d’un service de réparation pénale, premier niveau de réponse pénale. La Sauvegarde des Yvelines possède une expertise en protection de l’enfance qui permet de favoriser à l’issue et si nécessaire une action de prévention et d’assistance éducative de la famille. Ensuite, nous avons une action éducative de responsabilisation des mineurs et de jeunes majeurs dans le cadre de leur insertion et de leur scolarisation. Par conséquent, nous avons plusieurs partenaires notamment sur le volet de la réinsertion avec le conseil départemental et les missions locales. Nous travaillons aussi avec l’Éducation nationale, directement avec les établissements scolaires ou les acteurs du monde de la santé ou du sport. Nous bâtissons des réseaux nécessaires dans les bassins territoriaux concernés. Notre rôle est aussi d’inscrire le mineur dans les dispositifs de droit commun, de pouvoir l’accompagner vers des partenaires, vers des actions, vers des clubs sportifs, vers une découverte aussi de la richesse de son territoire au niveau culturel.
AJ : Quelles ont été les conséquences de la réforme engagée sur la justice des mineurs en 2021 ?
Bathilde Groh : Nous avons eu une évolution importante par rapport au cadre d’intervention au niveau pénal avec la réforme de 2021 et l’instauration du Code de la justice pénale des mineurs. Elle a notamment modifié en profondeur la temporalité de la procédure pénale grâce à une refonte totale de la procédure pénale applicable aux mineurs en matière délictuelle. Le législateur a notamment instauré une césure pénale en deux temps : l’audience de culpabilité et l’audience de sanction avec une temporalité plus rapprochée par rapport aux délits commis. Au-delà de la procédure, les mesures prononcées par le juge ont aussi été réformées et clarifiées. L’objectif était également de renforcer les alternatives à l’incarcération. Il y a eu l’instauration de la mesure éducative judiciaire unique (MEJ) qui peut être prononcée à l’issue de l’audience de sanction ou la mesure éducative judiciaire provisoire qui peut être prononcée dès l’audience de culpabilité. Sachant que ce ne sont plus les mêmes procédures pénales et la même temporalité, c’est difficile de faire une comparaison par rapport à la situation avant la réforme de 2021.
AJ : Quelle est la situation actuelle du seul établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) en Île-de-France qui est situé à Porcheville ?
Bathilde Groh : L’établissement pénitentiaire pour mineurs de Porcheville a une capacité d’accueil de 59 mineurs garçons âgés de 13 à 18 ans. Au 26 novembre 2024, nous accueillons 49 personnes. Avec notre vocation nationale, nous sommes en mesure d’accueillir des jeunes en provenance de toute la France métropolitaine et d’outre-mer même si c’est rarement arrivé depuis l’ouverture de l’établissement en 2008. Au sein de l’EPM, quatre administrations interviennent conjointement : l’administration pénitentiaire, la PJJ, l’Éducation nationale avec une équipe d’une dizaine d’enseignants et l’unité sanitaire rattachée à l’hôpital de Mantes-la-Jolie. Ces acteurs vont intervenir au quotidien auprès des mineurs à travers un accompagnement individualisé pour favoriser la réinsertion à la sortie de l’incarcération. Actuellement, 75 % des jeunes incarcérés à l’EPM de Porcheville sont en détention provisoire. La création du Code de la justice pénale des mineurs a renforcé les critères relatifs au prononcé d’un mandat de dépôt en procédure correctionnelle, ce qui a conduit à diminuer la part des mineurs incarcérés sous le régime de la détention provisoire et, proportionnellement à augmenter la part des mineurs détenus condamnés. Il n’y a pas eu de changement en revanche s’agissant des procédures criminelles. Cela conduit à un rajeunissement de la population carcérale à l’EPM de Porcheville.
AJ : Quel est le quotidien d’un détenu à l’EPM de Porcheville ?
Bathilde Groh : Chaque week-end, le mineur détenu reçoit un emploi du temps individualisé pour la semaine suivante. Au sein d’un EPM, la scolarité est obligatoire et constitue une part importante du temps de détention. La protection judiciaire de la jeunesse réalise des entretiens individuels. Elle encadre les temps collectifs comme les repas ou des activités pédagogiques qui peuvent porter sur les médias, la culture ou la citoyenneté. Les objectifs pour les mineurs en incarcération sont de se socialiser sur les moments collectifs et d’emmagasiner un maximum de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être en vue de leur sortie de détention et d’éviter la récidive. Enfin, il y a des moments importants dans le cadre pénitentiaire comme la promenade et les visites au parloir. Tous les jeunes sont dans des cellules individuelles et le temps d’incarcération varie. Mais l’objectif est de limiter le temps d’encellulement.
Référence : AJU016n5
