Délinquance 2023 : un très mauvais bilan résultant de choix stratégiques assumés

Publié le 06/02/2024

Comment comprendre les statistiques de la délinquance 2023 qui viennent d’être publiées ? Le commissaire divisionnaire honoraire Julien Sapori les décrypte pour nous à l’aune de son expérience de terrain. Il pointe une « dégradation inquiétante » dans toutes les rubriques. 

Délinquance 2023 : un très mauvais bilan résultant de choix stratégiques assumés
De plus en plus juteux, le narcotrafic nourrit la guerre des gangs (Photo : ©AdobeStock/L. Rafael)

Après la pandémie de la COVID, 2023 a été la deuxième année caractérisée par un retour à la « normale » sur le plan de la sécurité, les années 2020 et 2021 ayant été fortement impactées par l’épidémie, en termes de comportements collectifs et de contrôles et restrictions de toutes sortes.

Or, ce retour à la « normale » s’accompagne, pour la deuxième année consécutive, d’une dégradation inquiétante de pratiquement toutes les rubriques de la délinquance, et plus particulièrement les plus graves : les homicides, les tentatives d’homicides, les viols et les trafics de stupéfiants.

 

STATISTIQUES DE LA DELINQUANCE FRANCE 2023

Source : Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure (SSMSI)

Homicides : + 5 % Tentatives d’homicides : + 13 % Violences sexuelles : + 8 % Vols avec armes à feu : + 2 % Vols avec violences sans armes : -8 % Vols sans violences : -3 % Coups et blessures volontaires : + 7 % Cambriolages : + 3 % Vols de véhicules : + 4 % Vols dans les véhicules : + 4 % Vols d’accessoires de voitures : -9 % Destructions et dégradations volontaires : + 3 % Escroqueries : + 7 % Trafic de stupéfiants : -1 % Usage de stupéfiants : +4 %

Homicides, tentatives d’homicides et viols : la grande criminalité en roue libre

La rubrique « homicides aboutis » comptabilise, pour l’année 2023, 1010 faits enregistrés. Elle est en progression constante depuis plusieurs années : 816 en 2020, 881 en 2021, 959 en 2022 et 1010 en 2023.

La rubrique « tentatives d’homicide » (3584 faits enregistrés en 2023) attire tout particulièrement l’attention des criminologues puisque, non seulement, elle détermine la volonté de tuer comme la rubrique « homicides aboutis » mais, de plus en plus, elle ne se distingue de cette dernière que par la rapidité et la qualité de la prise en charge médicale. Pour cette rubrique aussi, la progression est particulièrement inquiétante depuis sept ans (2358 faits avaient été enregistrés en 2016). Par ailleurs, les tentatives d’homicide sont commises à 14 % dans le cadre intrafamilial, et à 28 % dans celui extra-familial, ce qui confirme que leur augmentation nettement plus importante (en 2023 comme dans les années précédentes), relève du banditisme.

Pour ce qui concerne la répartition géographique des homicides (aboutis ou tentés), la moyenne nationale se situe à 1,5 meurtre pour 100.000 habitants, et à 1,3 pour la France métropolitaine. Les départements les plus criminogènes se situent dans les DOM-TOM. Dans l’ordre, on retrouve : la Guyane (avec un taux absolument « hors norme » de 20,6 !), la Martinique, la Guadeloupe et Mayotte. En métropole, le premier département est les Bouches du Rhône (4,1 % – le triple donc de la moyenne « France métropolitaine »), suivi par la Corse (3,7 %).

Pour la rubrique « violences sexuelles », la hausse (+8 %) concerne davantage les viols et les tentatives de viols (+10 %) que les autres agressions sexuelles (attouchements, harcèlements…).

Les vols avec violences sans armes, les vols sans armes et les vols d’accessoires de voitures sont, eux, en diminution, indiquant que les malfaiteurs s’orientent vers des activités à la fois plus lucratives (cambriolages, vols de véhicules) et plus violentes (narcotrafic).

Stupéfiants : usagers en hausse, trafiquants en baisse

Concernant les deux rubriques « stupéfiants », puisqu’il s’agit d’infractions occultes, il faut rappeler que les faits constatés sont dus dans leur totalité à l’activité policière. L’augmentation du nombre d’usagers (+4 %) et la diminution du nombre de trafiquants (-1 %) indiquent que les consignes du ministère de l’Intérieur ont été suivies d’effet, puisque les forces de l’ordre se concentrent davantage sur le harcèlement des consommateurs que sur le démantèlement des filières de trafiquants.

« L’explosion » à Marseille des règlements de comptes entre trafiquants de drogue (33 morts et 43 blessés en 2022, 47 morts et 118 blessés en 2023), confirme que le narcotrafic est de plus en plus juteux, les sommes colossales qu’il draine justifiant une guerre des gangs sans merci. C’est, dans un résumé parfaitement clair, la stratégie non seulement annoncée avec insistance, mais aussi mise concrètement en œuvre par la suppression des services territoriaux de la Police Judiciaire : priorité à la lutte contre la petite et moyenne délinquance, mise entre parenthèses de la répression de la grande criminalité.

 

 

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