Devant la CNDA, un bouc émissaire du black-out électrique au Vénézuéla ?

Publié le 19/11/2024
Devant la CNDA, un bouc émissaire du black-out électrique au Vénézuéla ?
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À la fin de l’été, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui se trouve à Montreuil (93), entendait le récit d’un homme ayant quitté le Vénézuéla après le black-out électrique de 2019. Employé d’une entreprise de télécommunications, il expliquait avoir été accusé à tort d’être à l’origine de cet événement, qui avait durablement affecté la vie des Vénézuéliens et l’image du pays à l’international.

En mars 2019, pendant 5 jours, le Vénézuéla a subi un black-out électrique, plongeant le pays dans l’obscurité et le chaos. Le monde entier s’était alors ému de la situation dans ce pays autrefois prospère, et dont le train de vie des habitants s’est effondré en même temps que les cours du pétrole. En guise d’explication face à cet événement, le président Nicolas Maduro avait attribué ces pannes à des actions de sabotage orchestrées par les États-Unis.

L’homme qui se présente devant la CNDA avait alors 33 ans. Monsieur P. dit n’appartenir à aucun parti politique, et n’exprimera d’ailleurs aucune critique contre le pouvoir en place. En mars 2019, il travaillait dans les télécommunications dans une entreprise qui envoyait des données par internet et gérait des installations électriques. Il y était entré comme chauffeur et avait gravi peu à peu les échelons, jusqu’à en devenir un des responsables. Il gérait une équipe d’une quinzaine de personnes. « Quelques jours après le black-out national, notre entreprise a été accusée d’en avoir été à l’origine », explique-t-il en espagnol.

Monsieur P. explique que l’entreprise a été perquisitionnée quelques jours après le black-out. Les employés ont été, dit-il, entendus les uns après les autres. Leur patron avait disparu.

Comme ses collègues, Monsieur P. aurait été interrogé par les agents du renseignement, d’abord dans les locaux de l’entreprise pendant deux heures, puis dans ceux du contre-espionnage le lendemain.  « Ils nous ont tous accusés d’être des terroristes électromagnétiques, et d’être des traîtres à la patrie. Ils m’ont torturé, frappé ». Lors du premier interrogatoire, Monsieur P. aurait commencé par dire qu’il ne savait rien. « Et puis ils m’ont tellement torturé que j’ai accepté de leur dire tout ce qu’ils voulaient. Ils ont menacé de m’emmener dans un centre de torture et d’électrocuter mes parties génitales ». Monsieur P. dit qu’il a eu peur. Il a fini par attester que ses collègues avaient participé aux actions de sabotage.

« Ces personnes avaient-elles vraiment commis des actes de sabotage ? », interroge la présidente d’une manière un peu déconcertante. « Non, ni moi ni eux. Tous les jours précédents, j’étais avec mes collègues. La veille encore, nous installions des panneaux solaires ».

Après être sorti des locaux du contre-espionnage, Monsieur P. aurait été se réfugier chez la mère de ses filles. Pendant ce temps, des agents de l’État auraient été le chercher chez ses parents. « À ma sortie d’interrogatoire, ils m’avaient prévenu que je devrais m’exprimer à nouveau ». Il aurait alors pris la décision de quitter son pays. On n’en saura pas davantage sur les modalités de sa fuite.

La Cour cherche à évaluer le risque qu’il courrait s’il rentrait au Vénézuéla. L’assesseur du Conseil d’État, une petite dame aux cheveux courts, lui demande ce qui est arrivé à ses collègues. Il répond que l’une d’entre elles, dénommée Carina, a obtenu l’asile aux États-Unis. Que quand cette dernière a quitté le pays, trois de leurs camarades étaient en prison. Depuis qu’elle est partie, il n’a plus de nouvelles. Quant au patron de l’entreprise, nul ne sait ce qui lui est arrivé. Il s’est volatilisé.

– « Vous pensez avoir servi de bouc émissaire pour une panne électrique due à un réseau défectueux ? », poursuit l’assesseure, plus inspirée que la présidente.

– Honnêtement, je n’en sais rien. Je sais juste que les accusations lancées contre nous étaient fausses, qu’il se soit agi d’une passe ou d’un sabotage.

– Cinq ans et demie après les faits, pensez-vous être toujours recherché ? C’est une des questions principales », insiste l’assesseur du HCR, en veste et cravate malgré la chaleur.

– « Oui, répond le requérant. Mon ex-femme reçoit régulièrement des menaces pour que je rentre ». Pour autant, cette ex-épouse vit toujours avec ses filles au Vénézuéla.

Monsieur P. se fait aussi discret que possible. À l’audience, il se borne à répondre aux questions, avec une extrême prudence, n’incriminant jamais le gouvernement en place au Vénézuéla. Une attitude qu’il semble adopter dans la vie également. Depuis qu’il a quitté son pays, il se tient loin des associations de ses compatriotes réfugiés, n’a pris part à aucune manifestation.

Valérie Lutran, avocate au barreau de Lille, le défend. Elle met en avant la cohérence de son client, resté constant dans ses déclarations. « Le fait qu’il se soit soustrait aux services de renseignement en plein scandale du black-out fait vraiment de lui un opposant politique », estime-t-elle. Elle verse au dossier une attestation de la dénommée Carina, la collègue réfugiée aux États-Unis, ainsi que celles de quelques amis qui l’ont hébergé.

À la fin de l’été 2024, la presse faisait état de nouveaux épisodes de black-out rappelant ceux de 2019 à Caracas.

Pourtant, la Cour a rejeté le recours de Monsieur P. Elle ne remet pas en question sa profession, mais estime que ses déclarations sont vagues. Elle estime que les déclarations des amis et collègues sont trop peu circonstanciées. « Les recherches dont il prétend faire l’objet n’ont pas été démontrées de façon solide », a estimé la formation de jugement dans sa décision.

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