Dons de scellés : une bonne pratique à généraliser
En juillet dernier, le tribunal judiciaire de Bobigny a signé deux conventions avec des associations afin de remettre en circulation des scellés confiscatoires. Une initiative salutaire qui séduit de plus en plus de juridictions.
C’était un vrai gâchis. Pendant des années, des milliers d’objets issus des saisies confiscatoires, des objets sans grande valeur pécuniaire, étaient tout bonnement détruits. Il y a un an, le tribunal judiciaire de Bobigny a décidé de tourner une première page de gabegies à la suite d’une prise de conscience de sa directrice des greffes judiciaires et cheffe des pièces à conviction, Laure Lepretre, qui s’était trouvée à envoyer des chaussures de marque neuves à l’incinérateur, le tribunal a pu remettre plus de 400 objets (vêtements, jouets, chaussures, objets divers) aux bénéficiaires du Secours Populaire et de la Croix Rouge en Seine-Saint-Denis. En juillet, la juridiction a décidé de transformer l’essai en signant deux nouvelles conventions avec les associations « Emmaus Connect » et « Ateliers Sans Frontières » pour revaloriser, reconditionner et distribuer à un prix défiant toute concurrence du petit matériel informatique.
Au sein de l’un des tribunaux les plus actifs de la métropole, cette solution vient résoudre un important problème : la gestion d’un stock impressionnant d’objets saisis. « Nous estimons environ à plus de 300 000 scellés stockés. Chaque année, nous en avons 30 000 supplémentaires », avait détaillé Françoise Lagarde, directrice de greffe au TJ de Bobigny, lors de la conférence de presse organisée à Bobigny. « Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons récupéré une dizaine de smartphones dans un seul dossier », avait révélé, quant à lui, Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal.
Bobigny n’est pas la seule juridiction à avoir mis en place cette démarche. L’année dernière, le tribunal judiciare de Créteil avait également choisi de valoriser de cette façon ses scellés de petit informatique. À Paris, une convention a été signée le 12 juin dernier avec l’Armée du salut, les Restos du Cœur, la Croix Rouge et le Secours Populaire. Et sur tout le territoire, à Nantes, Aix-en-Provence, Châlon-en-Champagne, des milliers d’objets sont remis en circulation via des associations au service des plus démunis. Au départ sporadiques et individuelles, ces démarches vont tendre à se généraliser grâce à l’outil de valorisation des bonnes pratiques mis en place par le garde des Sceaux, en mars 2021.
De la bonne idée à la bonne pratique
« Cette démarche de dons de scellés a un triple attrait, détaille Benoît Delepoulle, conseiller du garde des Sceaux sur les bonnes pratiques. En premier lieu, on rationalise les scellés ce qui est un vrai sujet dans les juridictions où les locaux ne sont pas extensibles. Les locaux de scellés débordent et le tri régulier que cela impose suppose une gestion très lourde. Les directeurs de greffe règlent aussi les ressources humaines et avoir un dispositif clé-en-main pour régler la question des scellés en trop est très précieux. Ensuite, en les confiant à des associations nous soutenons indirectement ces dernières et nous créons un cercle vertueux pour que les bien mal acquis profitent aux plus démunis ». Et de fait, ces derniers mois, la caverne d’Ali Baba a fait des heureux : « Nous avons eu une véritable pêche miraculeuse, ainsi à Narbonne, un pêcheur espagnol qui pêchait avec des filets, et donc ne respectait pas la norme, a fait l’objet d’une saisie de 35 kg de poissons qui a été redistribué à une association. À Boulogne-sur-Mer, on a trouvé des mallettes de bricolage, à Saint-Brieuc, des consoles de jeux, à Valencienne du matériel pour les animaux, des trottinettes électriques…» Un véritable inventaire à la Prévert !
« La gestion des scellés est bien représentée sur la plateforme, et au départ c’est la juridiction de Reims qui a mis en ligne son protocole, ainsi que les conventions signées », explique le conseiller. La Chancellerie compte une quarantaine de téléchargements et recense officiellement plus d’une vingtaine de juridictions où le protocole a été mis en place. Mais elle assure que c’est l’arbre qui cache la forêt et qu’un très grand nombre de tribunaux avaient localement déjà signé des conventions similaires. Le conseiller est intarissable sur la démarche du garde des Sceaux. « Avant de devenir ministre, il a traîné ses guêtres pendant 36 ans dans les tribunaux et avait déjà remarqué de bonnes idées d’un juge, d’un greffier, d’un président. Un tribunal qui organise de la médiation familiale, par exemple. Il regrettait que dans la juridiction voisine on n’ait pas connaissance de ces projets. Quelques mois après sa nomination, il a décidé de lancer la plateforme qui vient compléter les relations interindividuelles, très fortes dans le petit monde de la justice. Depuis, plus de 500 bonnes pratiques sont mises à disposition des acteurs de la justice de façon fluide et efficace. Chaque année, au printemps, six d’entre elles sont mises en avant lors des Journées Bonnes Pratiques ». Selon Benoît Delepoulle, cette façon de valoriser les initiatives locales est particulièrement vertueuse :« la plateforme Bonnes Pratiques, c’est l’anti-circulaire : ce n’est pas l’autorité qui impose une pratique mais des solutions qui sont trouvées de façons horizontales. »
Le statut spécial des scellés
Les scellés mis à disposition des associations ne sont bien évidemment pas probatoires, utiles à la manifestation de la vérité. Il s’agit de scellés confiscatoires, issus de l’infraction ou achetés avec de l’argent obtenu irrégulièrement. Les objets sont saisis par autorisation d’un magistrat. Les objets concernés, de faible valeur, ne font pas l’objet d’une attention particulière par l’administration des Domaines et peuvent être ainsi donnés par l’État aux associations, au lieu d’être tout bonnement incinérés. Pour ce qui est des scellés confiscatoires de valeur pécuniaire (immobiliers, voitures de luxe, vin, bijoux…), les ventes aux enchères organisées par les juridictions ont généré plus de 175,5 millions d’euros en 2023, selon les données de l’Agrasc qui détaille dans son rapport d’activité : « les sommes perçues grâce au travail de ceux en charge de la lutte contre la délinquance ont été affectées ou redistribuées comme suit :
– Au budget général de l’État : 109,90 M€ ;
– À la MILDECA concernant les produits issus des décisions de confiscation prononcées dans des dossiers de trafic de stupéfiants : 50 M€ ;
– Au fonds de lutte contre le proxénétisme : 3,80 M€ ;
– Aux parties civiles : 96,90 M€, l’importance de ce montant démontrant toute l’attention portée aux victimes ;
– Aux autorités étrangères dans le cadre de conventions de partage : 0,60 M€ ;
– À la direction générale de la Police nationale (DGPN) pour financer la protection des repentis et des collaborateurs de justice, 780 000 euros avec un abondement exceptionnel supplémentaire de 200 000 euros en 2023 ».
Les scellés sont donc bien une façon pour l’État de répandre les bonnes pratiques d’un certain Robin des Bois…
Référence : AJU014s3