Enterrements sous X, une épine dans les semelles des Cold Cases

Chaque année, des centaines de corps anonymes sont inhumés sous X dans les cimetières de France. Et parfois, sous la dalle de béton repose la résolution d’une affaire criminelle. Combien d’affaires pourraient être résolues si les processus facilitant les rapprochements entre les disparus et les cadavres inconnus étaient respectés ? Maître Corinne Herrmann, avocate et criminologue, travaille sur de nombreuses affaires non classées, elle explique à Actu-Juridique en quoi les enterrements sous X relèvent de l’aléa gigantesque, une pratique qui devrait être beaucoup mieux encadrée, selon elle, et qui faciliterait la tâche à bien des enquêteurs.
Il existe, dans certains cimetières, des tombes anonymes. Des carrés de béton nu, ou bien des inscriptions sibyllines FEMININ ou MASCULIN et une date, une seule, celle de l’inhumation. En région parisienne, c’est au cimetière de Thiais (Val-de-Marne) que sont centralisées les dépouilles des enterrés sous X. De longues rangées de tombes grises s’allongent sur des centaines de mètres. Parfois, des fleurs sur le béton, qui ont été déposées par une âme charitable ou par le vent qui a déplacé les hommages.
Contrairement aux terroristes, à qui l’on refuse l’inscription des noms sur les tombes pour éviter tout hommage fanatique, les enterrés sous X concernent des corps retrouvés sans papiers d’identité, des personnes migrantes, sans domicile fixe, des personnes âgées délirantes ou solitaires, des nourrissons abandonnés dans les poubelles, des suicidés, des assassinés, des disparus. Des personnes impossibles à identifier. Il faudra consulter les registres de la police pour obtenir, si l’agent a fait son travail correctement et le médecin légiste ses relevés, des précisions physiques, des photos, le détail des objets qui l’accompagnaient, des prélèvements ADN. Ce sera la seule trace qui restera quand la tombe sera nettoyée – 5 années plus tard – pour accueillir de nouveau un corps perdu.
Ces dernières années plusieurs affaires non élucidées ont été résolues, soulevant le problème que représente la procédure de l’enterrement sous X dans les procédures de recherche des personnes disparues ou criminelles. Dans la Marne, en 2012, une femme était parvenue presque par miracle à retrouver son mari disparu depuis quatre mois enterré dans un cimetière de Seine-et-Marne sous une stelle anonyme. Les enquêteurs de Meaux, dans le département voisin, n’avaient pas fait le rapprochement entre le corps retrouvé dans le cours d’eau et la personne disparue au bord de l’autre côté de la frontière et ce malgré une alliance portée autour du cou mentionnant le prénom de la personne. Un gâchis qui peut parfois durer bien plus longtemps.
Un capharnaüm procédural
Sur la liste des dossiers non élucidés repris par le pôle dédié aux Cold Cases à Nanterre (Hauts-de-Seine), le nom de Valérie Pichon, disparue à Clichy-sous-Bois en 2003, restait inamovible. Plus de vingt ans, jour pour jour, après la disparition de la jeune mère qui a laissé une famille éplorée, l’affaire a été résolue en quelques mois, après la mise en place du pôle et la détermination de la juge d’instruction, Nathalie Turquey, connue notamment pour avoir démasqué le tueur en série surnommé “le Grêlé”. Depuis deux décennies, Valérie Pichon n’était pas disparue mais décédée, enterrée sous X dans une sépulture sans nom, faute d’avoir pu être identifiée, à quelques centaines de mètres seulement de son domicile. Un véritable camouflet pour les enquêteurs en charge du dossier et une résolution qui montre également le gros écueil que représente la gestion des enterrés sous X et illustre une nouvelle fois – comme c’est le cas pour la gestion des scellés entre autres – la difficile communication entre les services de police, l’instruction à l’intérieur du territoire.
Combien d’affaires pourraient être résolues si les processus facilitant les rapprochements entre disparus et les cadavres inconnus étaient respectés ? Selon les chiffres avancés par la Revue de médecine légale, cités lors des questions au gouvernement adressées sur cette problématique aux parlementaires régulièrement interrogés sur le sujet, 1 000 personnes seraient enterrées sous X en France chaque année, 300 à Paris. Et normalement, des règles doivent être respectées pour éviter des écueils comme l’affaire de Yann Barthe, un étudiant bordelais disparu en août 2000 à l’âge de 20 ans, enterré sous X à Lux, en Saône-et-Loire et que ses parents ont cherché sept ans durant. Avant d’être inhumés, ces corps anonymes sont censés être accompagnés d’informations permettant une identification a posteriori. L’article 87 du Code civil dispose en effet que l’acte de décès doit « comporter son signalement le plus complet ». Depuis la parution du décret n° 2012-125 du 30 janvier 2012 relatif à la procédure extrajudiciaire d’identification des personnes décédées, il est précédé, avant inhumation, « sur réquisition du procureur de la République, par les fonctionnaires de la police ou les militaires de la gendarmerie nationales compétents et, selon le cas, par le médecin requis : aux relevés des empreintes digitales et palmaires du défunt ; et, en tant que de besoin ; aux prélèvements des échantillons biologiques destinés à permettre l’analyse d’identification des empreintes génétiques du défunt », enregistrées au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), ou encore « aux relevés et prélèvements nécessaires à la réalisation de son odontogramme. » Problème, ces réquisitions ne sont pas systématiques et les rapprochements sont rendus difficiles : c’est le procureur qui doit décider de la nécessité d’établir ou non ces réquisitions.
Corinne Herrmann : « Créer un registre centralisé des corps non identifiés ne devrait pas être aussi compliqué »
L’avocate et criminologue Me Corinne Herrmann travaille sur de nombreuses affaires non classées. L’épreuve des familles touchées par l’errance judiciaire touche particulièrement la professionnelle et c’est la raison pour laquelle elle multiplie les chevaux de bataille pour mettre en lumière les problèmes structurels qui nuisent à la résolution rapide des affaires de disparitions ou de crimes, de la gestion chaotique des scellés judiciaires dans certaines juridictions à l’aléa gigantesque que représentent les enterrements sous X.
“Vérifier les enterrements sous X, c’est la première démarche que l’on fait dans une affaire de disparition : regarder le référencement des corps anonymes trouvés dans l’environnement de la disparition. Les réglementations imposent à la commune d’inhumer dans un délai précis, ce sont de vieilles dispositions qui remontent très loin dans l’histoire, quand les corps dans les rues représentaient un problème sanitaire. Il faut savoir que si le corps n’a pas été identifié au bout de cinq ans, il est détruit : il existerait 1 000 enterrés sous X chaque année, et 150 crimes non résolus de plus. Il est impossible d’obtenir auprès du ministère des chiffres exacts. Il ne faut pas que ces données, et les histoires qui s’attachent à chaque histoire, s’enfoncent dans le temps”.
Sur les nombreux dossiers sur lesquels elle a travaillé, l’avocate est persuadée que la résolution des affaires serait résolue si les corps étaient correctement référencés et les données ADN partagées. L’affaire Yann Barthe reste très présente dans son esprit : “après l’affaire des disparues de l’Yonne, nous avions obtenu un texte de loi pour obtenir le référencement des corps non identifiés. J’ai utilisé cela pour Yann Barthe. Cette fois, j’ai demandé un référencement tout le long de la ligne de train où il avait disparu, ce qui nous a menés à une petite commune loin de chez lui, au bout de six ans de recherches”. L’avocate est persuadée que certaines affaires criminelles glissent au fond des carrés anonymes, dans les cimetières. Dans l’affaire Nordahl Lelandais, ce sont selon elle « 900 cas non résolus qui ont été ressortis par la justice sur 20 départements. Certes, il y a parmi eux beaucoup de suicides, par exemple, mais un certain nombre de dossiers n’ont pas été investigués alors qu’ils auraient dû l’être ! »
Depuis 2012, grâce entre autres au combat de Corinne Herrmann et de son confrère Didier Seban, les prélèvements ADN sont obligatoires sur les corps non identifiés afin de faciliter le rapprochement avec les proches des disparus et des victimes. Plus de dix ans après, Corinne Herrmann regrette que les choses ne soient toujours pas automatiques : “j’ai participé à la rédaction de la circulaire d’application qui impliquait que tout devait être systématisé mais sur le terrain, nous en sommes toujours à l’étape d’expliquer aux légistes et aux juges le principe. Il convient par exemple d’entrer dans les registres du FNAEG les traces génétiques des corps non identifiés, mais également ceux des proches des disparus. Il faudrait qu’au sein de chaque cour d’appel, les corps trouvés et non identifiés soient localisés, créer un registre centralisé des corps non identifiés, ce ne devrait pas être aussi compliqué et faciliterait la tâche à bien des enquêteurs. Des tas d’ossements sont laissés au cimetière sans nom, des centaines d’affaires sont laissées dans les tiroirs sans résolution… comme s’il importait peu que tous aient été des humains ”.
En Belgique, une loi récente a permis le partage des données ADN des cadavres anonymes retrouvés sur le territoire avec la base de données I-Familia d’Interpol, ce qui a permis l’identification immédiate d’une jeune femme de 19 ans, Angélique Hendrix, disparue 34 ans plus tôt aux Pays-Bas alors qu’elle rentrait chez ses parents à vélo. Une famille qui a enfin pu obtenir une réponse à défaut d’une résolution et d’une paix… le crâne de la jeune fille ayant été détruit suite à une erreur d’aiguillage dans la destruction des scellés, à Liège.
Référence : AJU016t2
