Explosion rue de Trévise : Me Serre proteste auprès du tribunal de Paris contre le report du procès

Publié le 04/06/2025 à 18h47

Depuis l’audience de fixation le 23 mai, la colère de l’avocate de victimes de l’explosion rue de Trévise à Paris, survenue en janvier 2019, n’est pas retombée. Ce jour-là, alors que le procès devait se tenir pendant 28 jours et s’achever le 31 mars 2026, le parquet et le tribunal ont cédé à la requête de la Mairie de Paris arguant d’« un risque d’atteinte au fonctionnement démocratique des élections » municipales. Me Clarisse Serre s’en agace : « Pour M. Fillon et Mme Le Pen, la justice n’a pas eu les mêmes égards. Il y a rupture d’égalité devant la loi. » Elle proteste auprès de trois hauts magistrats. 

Explosion rue de Trévise : Me Serre proteste auprès du tribunal de Paris contre le report du procès
Clarisse Serre (DR)

 Au chapitre des décisions incompréhensibles, dont le dossier ne manque pas depuis six ans, il y a d’abord eu cette erreur de la juridiction parisienne annonçant par mail aux victimes et sinistrés que le procès des mis en cause dans l’explosion se tiendrait « de février à mars 2026 », a révélé Le Parisien. Le courriel avait suscité la consternation puisque, à cette date, les juges d’instruction n’avaient pas rendu leur ordonnance de renvoi, et pouvaient aussi bien accorder un non-lieu. Du jamais-vu.

Dès réception du message, les défenseurs des mis en examen – la Ville de Paris et la Compagnie immobilière CIPA, syndic de l’immeuble situé au 6 rue de Trévise, épicentre de la catastrophe – avaient aussitôt déploré, à bon droit, « une atteinte à la présomption d’innocence ». Me Sabrina Goldman, conseil de la Mairie, avait également regretté que l’audiencement percute la campagne électorale des élections municipales de 2026.

La personne en charge de « l’agencement » des longs procès avait, semble-t-il, mis la charrue avant les bœufs. Mais les parties civiles avaient applaudi ce calendrier, satisfaites de constater qu’enfin, elles obtenaient la tenue de débats tant attendus. Las, elles devront patienter jusqu’en octobre 2026, la nouvelle date retenue.

« Un coup de théâtre injustifié au regard des morts et blessés »

 Quelle ne fut donc pas la surprise, un euphémisme, quand lors de l’audience de fixation définitive le 23 mai dernier, les magistrats ont obtempéré aux desiderata de la municipalité ! « Je suis tombée de ma chaise », indique à Actu-Juridique Clarisse Serre, « je n’ai pas été la seule ». L’avocate du barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis), représente le veuf et les enfants de Laura, l’Espagnole tuée, plusieurs blessés, l’association VRET* que préside Linda Zaourar (également victime) et la FENVAC**. « Il nous avait été certifié qu’aucune autre date que celle proposée [février-Mars] ne pouvaient être envisagée » en raison de la charge du tribunal. « Et soudain, après trente minutes de délibéré, on nous a avertis que le procès aurait lieu en fin d’année pour ne pas interférer avec le processus électoral ! »

Confrontée à ce « coup de théâtre injustifié au regard des morts et blessés, des gens méprisés », à ce qu’elle a ressenti « comme un choc », Me Clarisse Serre a écrit à Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, à son adjointe Marie-Pierre Chateauvieux, à la première vice-présidente Isabelle Prévost-Desprez, laquelle avait préparé le 18 mars l’organisation avec les parties, sans qu’il ne soit jamais question de retarder l’échéance.

Dans sa lettre, que nous avons consultée, la pénaliste déplore l’attitude du parquet qui, contre toute attente, s’est rangé aux arguments de la Mairie, « suggérant le renvoi en dehors de la période électorale [des municipales] alors que, deux mois plus tôt, le parquet avait lui-même indiqué à toutes les parties qu’aucune autre date n’était envisageable en 2026 ».

Ce représentant du ministère public avait précédemment répondu à tous les avocats : « On ne peut pas ajuster notre agenda en fonction des vôtres. »

Et pourtant, c’est le cas : Me Sabrina Goldman, pour la Ville, et Me Patrick Klugman, apparu en mai dans la procédure auprès de sa consœur, ont convaincu les juges lors de courtes plaidoiries et du dépôt de conclusions écrites.

« La souffrance de mes clients, ils n’en ont rien à faire ! »

Dans celles-ci, que nous avons lues, les avocats assurent que la démarche « ne revêt aucun caractère dilatoire [mais] la Ville ne peut se résoudre à ce que les circonstances prennent le pas sur les motifs impérieux tenant à l’exercice des droits de la défense et au fonctionnement démocratique des élections ». Mes Goldman et Klugman insistent : « La sincérité du scrutin, qui peut se définir comme “le révélateur de la volonté réelle de l’électeur”, implique que “le résultat soit l’exact reflet de la volonté, exprimée par la majorité du corps électoral. » Ils s’appuient sur les articles L.52-1 alinéa 2 (2) et L.48-2 du code électoral.

« Je ne fais pas de politique, réplique Me Serre, mais je note que, dans les affaires Fillon ou Le Pen et consorts, le Parquet national financier s’est saisi dès la parution de l’article sur le candidat à la présidentielle et a prononcé, dans le second cas, l’exécution provisoire sans se soucier des scrutins. Ici, nous avons affaire à des personnes modestes. La souffrance de mes clients, ils n’en ont rien à faire ! [Les partis de] droite et gauche ne sont pas traités pareillement. »

La pénaliste de Bobigny juge « d’autant plus mystérieux que la décision du tribunal a été rendue en une demi-heure alors que, matériellement, il lui était impossible de modifier si vite le planning. J’en déduis que tout a été arrangé à l’avance, que l’audience de fixation n’avait d’autre intérêt que d’officialiser une disposition prise avant de nous entendre. »

Le courrier de Me Serre est jusqu’à présent resté sans réponse. Pas même un accusé de réception. Ni le parquet de Paris ni les défenseurs des mis en examen n’avaient répondu à nos sollicitations en fin de journée.

Le procès de l’explosion rue de Trévise, qui a tué quatre personnes et en a blessé cinquante-trois le 19 janvier 2019, se tiendra par conséquent du 20 octobre au 7 décembre 2026. Le jugement sera mis en délibéré et pourrait tomber en pleine campagne pour la présidentielle.

 

 

* Victimes et rescapés de l’explosion rue de Trévise

** Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs

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