Francesca Pasquini : « Tout le monde essaie de se protéger, côté façade, mais aucune évaluation n’est mise en place »

Publié le 03/10/2024

Ex-députée des Hauts-de-Seine (Verts), Francesca Pasquini était rapporteure de la commission d’enquête relative aux violences commises dans le cinéma, avant que toute affaire ne cesse avec la dissolution de l’Assemblée nationale. Le travail n’aura certes pas été vain, puisqu’il apermis de mettre en lumière les défaillances d’un système mais qu’en sera-t-il à l’avenir ? Entretien avec cette femme de convictions.

Le 2 mai 2024, une émotion particulière régnait dans l’hémicycle du Palais Bourbon. Perrine Goulet, alors présidente de la délégation aux droits des enfants, prend la parole face à la comédienne Judith Godrèche, en larmes. « Chère Judith, si les autres ne vous ont pas entendue, nous – députées – nous vous avons entendue et aujourd’hui nous allons faire mieux que vous écoutez, nous allons agir parce qu’il y a urgence ». L’Assemblée nationale approuvait à l’unanimité la création d’une commission d’enquête chargée d’étudier les « abus et violences » dont sont victimes les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. L’objectif ambitieux de cette commission d’enquête, dirigée par Erwan Balanant (députée du Finistère, Mouvement démocrate) avec comme rapporteure Francesca Pasquini (députée des Hauts-de-Seine, EELV-Nupes), était d’évaluer la situation des mineurs évoluant dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, de faire un état des lieux des violences commises sur des majeurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces éventuels abus et violences et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière et d’émettre des recommandations sur les réponses à apporter. Suite à la dissolution par le président de la République de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, tous les travaux de l’Assemblée ont été clos. Dont ceux de la toute nouvelle commission. Un immense gâchis selon Francesca Pasquini, ex-députée des Hauts-de-Seine, qui revient pour Actu-Juridique sur les travaux et les ambitions de cette commission.

Actu-Juridique : Vous vous êtes battus pour arriver à monter cette commission… Pouvez-vous remonter le temps pour nous en expliquer les détails ?

Francesca Pasquini : À l’époque où j’ai commencé la proposition de résolution qui a mené à cette commission d’enquête, j’étais membre de la délégation droit des enfants. J’ai écouté l’audition de Judith Godrèche au Sénat, puis nous l’avons auditionnée à notre tour à l’Assemblée nationale. Le matin même, nous étions prêts à envoyer une proposition de résolution. Au départ, nous pensions nous concentrer sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, de la mode et du spectacle. Très rapidement nous avons été touchées par le nombre de co-signatures transpartisanes et tout est allé très vite, en mai l’unanimité des députés votaient pour la création de la commission d’enquête. C’était le moment propice, quelques mois après les révélations de Judith Godrèche, quelques années après les témoignages d’autres victimes (comme Adèle Haenel, NDLR). C’était un alignement des planètes.

AJ : Vous n’avez pas rencontré d’obstacles ?

Francesca Pasquini : Aucun obstacle ! Tout le monde était d’accord quel que soit son parti ou son bord politique. Il n’y a pas eu de débat. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle cette fermeture est si triste : nous étions dans une configuration parfaite pour aller au fond des choses, avec un accord de la majorité comme des oppositions, nous aurions pu aboutir à quelque chose de révolutionnaire.

AJ : Avant la pause estivale, les travaux avaient avancé…

Francesca Pasquini : Nous avions en effet mené deux semaines d’audition, ce qui correspond à une quarantaine d’heures. Forts de cela, nous avions commencé à faire des propositions notamment en ce qui concerne les castings. Selon nous, il devrait y avoir une interdiction de la nudité lors des castings, il devrait y avoir des figures formées au respect du consentement au moment des castings pour les adultes comme pour les enfants, la présence d’un coordinateur d’intimité (un professionnel qui s’assure du respect de l’intrigue, dans les limites du consentement des acteurs sur les scènes impliquant des contacts rapprochés et des scènes de nudité, NDLR) en amont et pendant les tournages. En effet, l’intimité est une notion assez large et il nous semblait très important que les acteurs aient la possibilité, s’ils le souhaitent, d’étudier le scénario avec un spécialiste pour se projeter dans les scènes.

AJ : Vous avez particulièrement travaillé sur le cas de l’emploi des enfants par ces industriels du divertissement…

Francesca Pasquini : En effet, il y a énormément de travail à faire sur les questions de l’encadrement des tournages pour les mineurs car même si la commission des enfants du spectacle donne son accord pour lancer les tournages, nous nous sommes aperçus qu’ils ne se basent souvent que sur des versions de scénarios qui ne sont pas aboutis. Ils donnent leur accord sur une ébauche, sans avoir de vue d’ensemble sur la présence des enfants sur telle ou telle scène, sur leur entourage pendant le tournage. Entre les techniciens et les autres professionnels, il n’y a aucun profilage pour s’assurer que les enfants sont en sécurité pendant le tournage. Dans le monde de la mode, la situation est encore plus précaire : un agrément d’un an est accordé à la société pour le recrutement d’un enfant, qui peut se trouver à travailler dans tous contextes, tout endroit sans qu’aucune autorisation ne soit redemandée aux institutions. Le consentement de l’enfant est donc tacite et l’enfant ne voit pas de médecin du travail pendant cette période. Ce qui est hautement problématique. Il y a énormément de travail à faire aussi sur les figures de coach d’enfants qui sont formés aux États-Unis, comme les coordinateurs d’intimité, d’ailleurs. Nous souhaiterions qu’une formation au niveau national soit mise en place pour ces professionnels sur les épaules desquels repose la sécurité des enfants et des adultes. Concernant les écoles et les conservatoires, nous nous sommes aperçus aussi que chacun signait des chartes anti-violences sexistes et sexuelles, et que ce n’est souvent pas suivi dans les faits. Cela nous a sautés aux yeux : tout le monde essaie de se protéger, côté façade, mais aucune évaluation n’est mise en place. Nous avons même recueilli des témoignages de personnes qui avaient fait des signalements à des établissements engagés sur le papier, et qui avaient la sensation que la poussière était poussée sous le tapis. Nous étions en contact avec des techniciennes, des actrices, qui avaient beaucoup d’espoir que les choses changent grâce à cette commission. La résistance de ce secteur est un phénomène exclusivement français, cela méritait d’autant plus notre attention collective, pour laisser les 50 dernières années de violences sectorielles derrière nous.

AJ : Que va devenir ce travail si bien avancé ?

Francesca Pasquini : Ce qui a été dit, réfléchi est là et reste là. À date, il est difficile de dire si ces travaux reprendront dans les mois à venir. Si l’on formait un nouveau gouvernement, le risque de nouvelle dissolution dans un an est grand : une commission c’est six mois de travail (vacances parlementaires comprises), il y a donc peu de chances que les collègues reprennent. S’ils le font, il faudra que cela soit très rapide.

AJ : Vous étiez députée des Hauts-de-Seine, la région Île-de-France rassemble l’immense majorité des acteurs du secteur du cinéma, de la mode, de l’audiovisuel… Aviez-vous l’impression de travailler aussi pour votre territoire en vous engageant dans cette commission d’enquête ?

Francesca Pasquini : Je n’avais pas cette impression non… Il est vrai que la majorité des sociétés de production, les studios, les tournages se font dans la région, mais nous commencions à nous intéresser au spectacle itinérant (tournées), au fait que signer avec une société parisienne qui avait des protocoles contre les violences, pouvait ne pas vous protéger quand vous sillonnez le territoire. J’avais la sensation de faire un travail qui certes se cantonnait à des industries particulières, mais en vérité c’était un travail plus large : je portais aussi un combat pour l’imprescriptibilité des violences sexistes et sexuelles sur les mineurs, comme sur les majeurs. J’espérais que le rapport de la commission d’enquête ferait avancer la proposition de loi sur des violences sexuelles visant à lutter contre l’impunité des violences sexuelles sur mineurs et à permettre une meilleure réparation aux victimes déjà cosignée de manière transpartisane en mars dernier. C’est un combat que je portais en tant que députée de l’opposition et que je continuerai de porter. Si vous mettez un pied dedans, vous ne pouvez pas abandonner, surtout quand on sait que les violences sexuelles concernent 160 000 enfants par an. Je pousse d’ailleurs pour un Secrétariat d’État à l’Enfance, une Délégation des droits des enfants au Sénat… Deux institutions qui ont existé de façon récente dans notre République et qui ont été abandonnés très récemment.

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