Home(icides), un podcast et un livre de Caroline Nogueras
En 2021, le premier épisode du podcast Home(icides) est diffusé. Écrit par Caroline Nogueras, journaliste d’investigation, ce nouveau format s’intéresse aux affaires criminelles qui ont ébranlé nos sociétés contemporaines. En à peine trois ans, Home(icides) est devenu une référence dans l’analyse du fait divers, réunissant plus de 10 millions d’écoutes à ce jour. Home(icides), c’est également un livre, publié aux éditions Dark Side, puis en version poche en septembre 2024. Rencontre avec son autrice.
Actu-Juridique : Comment est né Home(icides) ?
Caroline Nogueras : Tout démarre d’une rencontre avec Pierre Orlac’h, fondateur du studio Bababam, et son adjointe, Pauline Hayoun. Lorsque je rencontre Pierre, il souhaite faire du fait divers en podcast. De mon côté, j’hésitais. J’avais suivi une formation pour faire de l’audio mais je suis vraiment enquêtrice société. Je n’ai jamais passé ma vie dans les palais de justice. Finalement, on trouve ensemble l’idée de raconter la société au prisme du fait divers. On est fin 2020, on veut se distinguer. On me donne alors carte blanche. On me demande juste de découper chaque affaire en quatre épisodes.
AJ : Vous dites que vous n’étiez pas une journaliste spécialisée dans la justice. Vous avez tout de même fait des études de droit avant le journalisme ?
Caroline Nogueras : J’ai fait du droit et j’avais effectivement envisagé une carrière judiciaire. J’hésitais entre commissaire ou magistrat mais je n’ai fait ni l’un ni l’autre. Je ne pensais pas pouvoir passer le concours de l’ENM et quant à devenir commissaire, il y avait un examen de saut de haie… Je me suis autopersuadée que je n’y arriverais pas. À l’époque, j’avais envie de terrain donc j’ai fait une école de journalisme. J’ai toujours adoré enquêter. Je partage cela avec les gens que je côtoie dans le milieu judiciaire. Je révèle et je raconte la vie des gens. Les deux chemins se sont croisés. Même si j’avais déjà réalisé des reportages pour couvrir des procès, ce n’était pas mon cœur de métier. Quand Pierre me l’a proposé, j’ai d’abord dis non. J’ai une image des « faits-diveristes » négative, je ne voulais pas que ça me colle à la peau et que je ne sois connue que pour ça. J’ai finalement dit oui et je m’éclate. Je suis reconnue dans mon travail. Aujourd’hui, je me dis que ça réunit tout ce que je voulais faire au début.
AJ : Pourquoi ce nom ?
Caroline Nogueras : Les chiffres sont éloquents : la majorité des crimes sont commis au sein d’une famille. « Home » est utilisé pour évoquer la maison, et « icides » pour homicide.
AJ : Comment choisissez-vous les affaires ?
Caroline Nogueras : À chaque fois que nous écrivons home(icides) avec mon pôle d’autrices, je demande ce qu’on va raconter. Si elle n’a pas d’écho dans la société, on n’y va pas. Avec l’affaire Jacqueline Sauvage, par exemple, on raconte le féminicide au XXIe siècle. Avec les néonaticides ou les infanticides, on raconte une incompréhension de la maternité. Il y a toujours une résonance. Avec des affaires qui ont eu lieu à l’étranger, il est intéressant de voir les disparités sur la façon d’enquêter ou de juger. En fouillant dans les archives, je me rends compte à quel point on a évolué dans la manière de traiter les histoires, le rapport aux femmes, aux hommes.
AJ : Quel est votre processus de travail ?
Caroline Nogueras : Lorsqu’on choisit une histoire, on demande auprès de notre réseau afin d’obtenir le dossier judiciaire ou l’ordonnance de mise en accusation. On appelle les avocats, les procureurs, les enquêteurs… Une revue de presse est constituée à partir de toute la presse disponible, en particulier la presse quotidienne régionale. On se plonge dans les archives de l’INA et on déroule nos récits. On décrit des scènes et on les décortique. Nos auditeurs aiment beaucoup. Lorsqu’on appelle les témoins, les victimes aussi ou leurs proches, ils et elles savent qu’on va les respecter, ce qui est très important. Lorsque je peux me déplacer, je le fais, sinon je regarde énormément de photos que je trouve et je m’imprègne. J’utilise aussi Google Map. Parfois on obtient des informations inédites. Ce fut le cas d’une autrice pour l’affaire Xavier Dupont-de-Ligonnès. Quand on reçoit au studio pour réaliser les interviews, c’est très intimiste et on peut obtenir des choses jamais dites ailleurs. Je pense à l’affaire du petit Grégory où un journaliste qui avait fait des livres sur l’affaire me révèle ce qui se passait le soir à l’hôtel avec tous les journalistes.
AJ : Vos études de droit vous aident-elles dans ce travail ?
Caroline Nogueras : Énormément. Grâce à mes études, je connais le bon vocabulaire à utiliser. Ça m’a beaucoup aidé aussi pour comprendre la procédure. Il y a des gens qui ne savent toujours pas le rôle du procureur, qu’il ou elle diligente l’enquête et est présent au procès. Si on veut suivre des enquêtes, financières, administrative ou autre, je recommande de faire du droit. C’est essentiel. Je fais aussi très attention lorsque je révèle des informations. Quand le dossier est clos il y a moins de risques, mais très souvent je ne cite pas les noms, ou je vais mettre un prénom suivi de la première lettre de son nom de famille. Je change les noms des mineurs. À de multiples reprises, je rajoute du conditionnel et je source toujours les propos. Cette partie-là, c’est mon métier de journaliste qui me l’a appris. Nous avons une déontologie à respecter.
AJ : Vous parliez d’un récit romanesque. Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Caroline Nogueras : Quand je raconte à la télévision, je mets de l’émotion mais on reste très factuel, avec une manière formatée de proposer le récit. J’ai pu suivre des ateliers d’écriture chez Gallimard pour développer le côté romanesque de l’histoire. Ça m’a permis de me lâcher. Si je n’étais pas passée par là, il n’y aurait pas cette patte sur Home(icides). Quand j’avais écrit un livre sur les chasseurs d’héritiers, l’éditrice m’avait dit que c’était très chirurgical et froid. Or il faut donner de la chaire aux personnages.
AJ : Home(icides) est un podcast, mais également un livre. Quelle est la différence de traitement entre les deux ?
Caroline Nogueras : Le livre reprend des affaires emblématiques qui avaient bien fonctionné avec des angles différents. Il y a deux affaires qui sont sorties dans le livre avant de sortir en podcast. L’éditeur m’a demandé de pousser au maximum la romance. L’écriture m’a permis d’axer encore plus sur l’aspect romanesque de l’histoire comme j’aime à la raconter. Je n’avais pas d’archives sonores donc c’était juste ma plume. Il faut se lâcher encore plus. Mais que ce soit pour le podcast ou le livre, la seule chose qui compte pour moi, c’est que je ne fais pas du fait divers pour faire du « cracra ». Ce qui fait le cœur de mon ADN, c’est de raconter la société, ce que les gens vivent et pourquoi à un moment on prend un chemin et pas un autre. Il y a toujours quelqu’un pour qui ça fait résonance. C’est une histoire collective qu’on écrit.
AJ : Est-ce que le fait de travailler sur ce podcast, qui relate uniquement des affaires criminelles, peut devenir éprouvant ?
Caroline Nogueras : Ce sont surtout mes amis qui s’inquiètent. Dans la vie de tous les jours, je me marre beaucoup. Je pense que ça m’aide à affronter. C’est presque moins dur de raconter ces histoires en podcast, comparé au terrain, lorsque je suis face aux victimes qui me dévoilent ce qu’elles ont vécu. Pour ma dernière enquête sur la pédocriminalité dans le foot, j’étais contente que ça s’arrête. Mais même si j’ai toujours eu cette appétence à révéler, j’ai des limites sur certaines histoires. L’affaire Maëlys, je ne la ferai jamais ! Parce qu’au moment où elle a disparu, ma fille avait le même âge et j’étais à un mariage. Je ne peux pas… C’est trop pour moi. Le sordide ne m’intéresse pas. C’est la psychologie qui m’intéresse. Qu’est-ce qui fait qu’une personne sombre : qu’est-ce que la société a fait, sa famille pour qu’elle en arrive là ? Le crime abject, chez moi vous ne l’entendrez pas. Il m’est arrivé, après quatre ans, deux ou trois fois, de devoir faire une pause et souffler lors d’un enregistrement. On entendait les mouches voler. Des fois, il m’arrive de dire « j’arrête » home(icides) et puis je suis rattrapée par les auditeurs qui me disent merci, et je reprends. C’est mon métier en fait. Pour l’affaire Mazan, c’est n’est pas envisageable tout de suite, parce qu’il y a déjà des centaines de personnes qui le couvrent. Je le ferai peut-être mais pas sur l’aspect purement sordide. Je trouverai mon angle. Dans tous les cas, il faut s’écouter. Si je me dis : on fait 900 000 écoutes par mois, j’adore mais je suis en train de m’abîmer, je m’arrêterais.
Référence : AJU016r6
