Homicide involontaire : les mots ne tuent pas !

Publié le 20/07/2023

Parce que l’opinion ne supporte plus le terme « homicide involontaire » appliqué aux accidents mortels sur la route provoqués sous l’empire d’alcool ou de stupéfiants, le gouvernement veut créer un « homicide routier ». Par ailleurs, le groupe LR a déposé une proposition de loi qui invente la « peine préventive pour éviter les atteintes à la confiance publique dans la justice ». Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, est très en colère.

Homicide involontaire : les mots ne tuent pas !
Photo : ©AdobeStock/Halfpoint

En 2015, Éric Dupond-Moretti, alors grand avocat pénaliste, déclarait dans une interview accodée à La Tribune :

« En réalité, « on » veut désigner un responsable à chaque échec, « on » veut une société sans souffrances et sans aspérités, et même – et surtout – la mort est concernée. (..) Mais l’imprévu et l’incontrôlable, aussi dramatiques soient-ils, ne font-ils pas « partie » de la vie ? (..) Bientôt, chaque mot, chaque virgule, chaque silence nous seront dictés ».

Devenu ministre de la justice, il vient de supprimer un mot du Code pénal pour satisfaire des associations de victimes d’accidents de la route qui ne supportaient plus de l’entendre. Et quel mot… ! La foire nationale à la saucisse politique ne prend jamais de vacances ! Mais nous avons franchi un cap : il faut dorénavant faire le ménage dans la langue française !

L’opinion ne supporte plus le terme involontaire ? Le gouvernement le supprime. 

Dimanche 16 juillet, nous apprenions dans la presse que le gouvernement confirmait son intention de créer un délit « d’homicide routier » pour répondre à « l’incompréhension » des associations de victimes de la route. La motivation ? Les victimes ne comprendraient pas et n’accepteraient plus le terme « involontaire » dans le délit d’homicide involontaire (article 221-6-1 du Code pénal) lorsqu’un chauffard cause la mort de quelqu’un après avoir consommé de l’alcool et des stupéfiants, notamment. Elles seraient choquées par ce mot et ne voudraient donc plus l’entendre tout au long des enquêtes pénales et au cours des audiences. Je vous avoue que je ne m’attendais pas à ce que notre gouvernement creuse aussi profond le gouffre de la « faitdiversification » (terme utilisé par François Molins récemment) du droit pénal.

Il n’existe pourtant pas, en droit français, d’autre solution : l’homicide est soit VOLONTAIRE, soit INVOLONTAIRE. C’est soit l’un, soit l’autre. Et dans les deux cas, il faut qualifier le caractère volontaire ou involontaire de l’homicide. Le droit pénal est pointilleux, ce qui n’est pas le cas de nos politiques actuels, ni des débats télévisés. Or, ce qui n’est pas volontaire n’est pas nécessairement involontaire. Et ce qui n’est pas involontaire n’est pas nécessairement volontaire. C’est d’ailleurs, il me semble, la position classique du Conseil Constitutionnel à ce sujet : « en matière délictuelle, la définition d’une incrimination doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément matériel, intentionnel ou non, de celle-ci » (Conseil constitutionnel, 16 juin 1999, n° 99-411). Et de préciser que « s’agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés » (Conseil constitutionnel, 16 septembre 2011, n° 2011-164 QPC). Ainsi, pour qualifier un homicide involontaire, il faut obligatoirement prouver la dangerosité du comportement ET l’absence de volonté de tuer. Le raisonnement juridique passe nécessairement par ces étapes-là.

Une peine préventive pour ne pas miner la confiance

Mais parce que la foire à la saucisse politique est devenue un sport national, le 15 juin dernier, des députés avaient déjà déposé une proposition n° 1375 aussi absurde que loufoque visant à créer (aussi) un homicide routier « qui n’emporterait pas l’intention de tuer propre à l’homicide volontaire (…) mais qui reconnaîtrait, par la voie sémantique et juridique, qu’il existerait un autre forme d’homicide, quand le conducteur a volontairement consommé de l’alcool ou des drogues ayant entraîné un trouble psychique temporaire sous l’empire duquel il cause un accident ayant involontairement entraîné la mort d’autrui ». Cerise sur le gâteau de la médiocrité dans cette proposition de loi n° 1375 : l’idée « d’autoriser le prononcé d’une peine préventive pour éviter les atteintes à la confiance publique dans la justice : cette mesure autoriserait le placement en détention provisoire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice ». Les téléspectateurs pourraient ainsi sûrement voter en direct depuis leur canapé avec un numéro vert mis en place par le gouvernement pour savoir s’ils ont, ou non, confiance dans la justice. Et j’imagine que le juge des libertés et de la détention devrait ensuite prononcer obligatoirement un mandat de dépôt.

Certaines associations de victimes sont choquées par un mot ? Supprimons ce mot !

Rapide, facile, évident. Éric Dupond-Moretti l’avait pourtant craint en 2015. Et pourtant, dieu sait qu’il se plaisait à dire, quelques semaines avant de s’installer place Vendôme que « la victime prend toute la place dans le procès pénal alors qu’il est d’abord fait pour qu’un accusé soit jugé et puisse se défendre. Le contradictoire qu’apporte la défense d’un accusé est plus important que la défense de la victime. Elle n’a pas à être défendue puisqu’elle n’est accusée de rien ».

 Le procès pénal est donc devenu celui de la souffrance de la victime et il faut avant tout l’en préserver. Y compris donc en supprimant un mot. C’est d’abord sa souffrance qui doit s’exprimer, avant même de se pencher sur la culpabilité du suspect et le contexte des faits. Elle s’exprime d’ailleurs dorénavant partout cette souffrance : dans la presse, sur les plateaux télé, les réseaux sociaux… Elle ne fait pas de droit pénal la souffrance de la victime (et c’est bien normal) : elle s’exprime. Sans aucune contradiction. Sans aucune retenue. Sans aucune limite. Brute. Quand parallèlement, le moindre avocat de la défense qui viendrait mettre un bémol et donner un autre son de cloche se fait injurier, menacer, harceler à chaque intervention publique.

La justice ne doit plus tout dire ? 

L’opinion exige que disparaisse ce qu’elle ne veut plus entendre. Elle ne veut plus essayer de comprendre ce qui lui semble inacceptable et intolérable. Elle ne veut plus s’interroger, réfléchir, essayer de dépasser sa première impression. Elle ne veut plus accepter que l’homme puisse engendrer du bien, mais aussi du mal, de la violence, de la mort. Pourtant cela fait aussi partie de l’humanité.

Alors je ne peux que m’interroger sérieusement sur la suite. Comment diable peut-on supprimer un mot d’un texte pénal au seul motif qu’il heurte une opinion mal informée ? Et après ? Allons-nous éviter de prononcer des mots en audience qui pourraient blesser les parties civiles ? Ne sont-elles pas toujours dans l’incompréhension face à ces accidents soudains, brutaux et violents ? Est-ce le mot « involontaire » qui cause réellement leurs douleurs ?

C’est déjà inquiétant de voir que parfois, nos commentateurs s’offusquent de certaines plaidoiries de la défense. « Comment cet avocat ose-t-il dire cela en 2023 » ? C’est « indécent de défendre son client de cette manière » ! « Vous n’avez aucun respect pour la victime maître » ! Et donc ? La justice doit éviter les douleurs ? Elle ne doit pas tout dire ? Doit-on éviter de plaider comme on veut ? Doit-on éviter de dire certaines choses, certains mots, pour ne pas blesser notre contradicteur ?

Demain, l’avocat de la défense pourra-t-il encore dire que son client a donné la mort involontairement sur la route sans qu’on lui coupe la parole pour préserver les proches de la victime qui souffrent déjà assez ?

L’avenir, que je crains bien sombre, nous le dira.

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