Insolite : Quand un possible tueur en série tente de créer son propre Cluedo

Publié le 23/02/2023

Le droit n’est pas qu’une matière aride réservée aux spécialistes. Il peut aussi parfois receler des anecdotes insolites, drôles ou tragiques. Raphaël Costa est un chercheur de pépites juridiques. Nous inaugurons avec lui une nouvelle rubrique consacrée au droit insolite. 

Insolite : Quand un possible tueur en série tente de créer son propre Cluedo
Photo : ©AdobeStock/Ezume Images

 

« J’ai pris tous les trains de nuit

Squatté ses yeux à Orly

Et sous toutes les latitudes

J’ai traqué sa solitude

Combat qui condamne

À la peine capitale

L’amour à mort

Sur les rires de son corps »

Si ces lignes ne vous disent rien, rassurez-vous, c’est normal ! Il s’agit du texte de la – très nulle – chanson au titre prémonitoire L’amour à mort, enregistrée dans les années 1990 par un certain Alexandre Despallières qui n’eut l’occasion de l’interpréter qu’une seule fois chez Pascal Sevran dans La chance aux chansons. En revanche, vous avez certainement entendu parler de lui à la rubrique des faits divers… Car si Despallières a totalement raté sa carrière artistique, il est devenu en revanche un criminel célèbre, et a même laissé son nom dans l’histoire de la propriété intellectuelle.

Le fils caché d’Élisabeth Taylor

Né en 1968, son physique d’éphèbe lui permet d’intégrer les soirées huppées du Paris des années 80. Escort-boy, fournisseur de jeunes hommes dans des fêtes privées, usurpateur d’identité (tantôt fils caché d’Elisabeth Taylor, tantôt leader incognito du groupe a-ha), consommateur et fournisseur de stupéfiants, escroc… . Il semble s’être fixé pour ambition de tester tous les délits et crimes du Code pénal. Mais son préféré est celui de l’article 221-5 : « Le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. L’empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle. »

Overdose de paracétamol 

S’il n’était pas décédé juste avant son procès, il aurait dû être jugé en 2022, pour le meurtre de son mari Peter Ikin, le richissime producteur d’Elton John et de Madonna. Quand les deux hommes se rencontrent en 2008, Alexandre confie à Peter qu’il est malade du SIDA et n’en a plus pour très longtemps. « Marions-nous, tu seras mon héritier », lui propose-t-il. Le destin est capricieux. C’est finalement Peter Ikin qui meurt 31 jours après le mariage, à l’âge de 62 ans. Quelle chance ! La loi anglaise ne permet d’hériter qu’après un délai minimum de 30 jours après l’union… Hélas pour le veuf éploré à présent multimillionnaire, l’analyse toxicologique du corps du vieux producteur révèle la présence d’une quantité de paracétamol représentant 40 fois la dose mortelle…

Et l’empoisonneur nuptial n’en était pas à son coup d’essai ! C’est en tout cas la thèse que défend le livre passionnant de Sophie Bonnet, Le maître et l’assassin. Pourquoi « le maître » ? Car l’avocat qui défendait Despallières n’était autre qu’Olivier Metzner… Suite au suicide de ce-dernier, Éric Dupond-Moretti et Thierry Herzog s’y colleront.

L’enquête de Sophie Bonnet démontre qu’A. Despallières a sans doute aussi tué ses deux grands-mères, puis ses parents, sans compter les nombreuses personnes qui ont eu le malheur de l’héberger et se sont souvent retrouvées victimes de malaises ou de la perte subite et mystérieuse de leurs animaux de compagnie.

Durant son impressionnante carrière, l’ex playboy eut l’idée d’une marque qu’il voulut protéger juridiquement en la déposant à l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) en 2002. Son nom : « Murder Party » ! (N° 3151522, toujours consultable sur le site de l’INPI), Les catégories de produits visés : les vêtements, les télécommunications et surtout celle des jeux en tout genre : de table, de cartes, de société…

Jouons à tuer les gens 

Sophie Bonnet raconte : « Il ambitionnait de créer un jeu de société pour des soirées entre amis. Il s’étonnait toujours que les gens ne sachent rien sur le crime. Dans les dîners, il questionnait « Comment t’y prendrais-tu pour tuer quelqu’un ? » Ses interlocuteurs restaient muets, riaient d’un air gêné, faisaient preuve d’une curiosité molle (…) Alexandre imagina donc de créer et de commercialiser une sorte de Trivial Poursuit du meurtre. Le gagnant serait celui qui découvrirait qu’une technique d’assassinat s’avérait nettement supérieure aux autres : l’empoisonnement ! (…) Personne ne souhaita investir pour fabriquer un prototype. Il ne renonça pas, peaufina les questions et les règles du jeu. La première fois que l’on me parla du jeu Murder Party, je refusai d’y croire tellement cela me parut extravagant ».

Et je n’y crus pas, moi non plus, jusqu’à ce que je vérifie sur le site de l’INPI. Tout est vrai. Il a bien déposé sa demande de protection, mais elle est restée sans suite, faute d’exploitation.

N’ayant pas réussi à faire protéger ni à développer son idée de jeu de société, Alexandre Despallières est passé au jeu grandeur-nature. Sophie Bonnet considère que sa 6ème victime est le célèbre Maître Metzner, qu’il aurait poussé au suicide à force de chantages. Le 26 janvier 2022,  Alexandre Despallières est mort du COVID,  son procès aux assises était programmé pour le mois de juin.

En somme, il a gagné la partie, le voilà innocent pour l’éternité…

Il y a quelques semaines seulement, une nouvelle demande de dépôt pour un jeu de société Murder Party a été publiée à l’INPI. Un potentiel tueur en série à surveiller… ?

Bonsoir !

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