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Interprétation stricte de l’article R. 645-1 du Code pénal ou l’assimilation impossible entre l’exposition de l’objet incriminé et la diffusion de son image

Publié le 03/11/2023
Guerre, Allemagne, nazi, Werhmacht, casque
jahet7/AdobeStock

Il résulte de l’article R. 645-1 du Code pénal que l’exhibition d’uniforme, d’insigne ou d’emblème rappelant ceux d’une organisation criminelle ou d’une personne reconnue coupable de crimes contre l’humanité, n’est punissable que si elle a eu lieu en public, c’est-à-dire de façon ostentatoire à la vue d’autrui. Dès lors, le fait de fixer l’image de ces seuls objets, par quelque moyen de communication que ce soit, ne caractérise pas la contravention précitée. En revanche, leur diffusion sur un site accessible en ligne est susceptible de constituer, dans certains cas, l’infraction d’apologie de crimes contre l’humanité incriminée à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

Tout au long de son histoire, l’humanité a été victime et témoin d’atteintes odieuses portées à des valeurs fondamentales de civilisation universellement reconnues, la privant d’une part de son essence même. Mais ce n’est que lorsqu’il a fallu juger les atrocités perpétrées durant la seconde guerre mondiale que « la considération nouvelle de la personne humaine »1 a conduit à une condamnation internationale des crimes contre l’humanité. Au-delà de la place hautement symbolique qu’occupe désormais l’incrimination des crimes contre l’humanité dans le Code pénal actuel, la protection pénale de l’humanité s’est accompagnée d’un devoir de mémoire qui prohibe tout éloge de la période nazie et des exactions commises par le serviteur de cette idéologie totalitaire. Aux discours apologétiques qui heurtent la mémoire collective, « une peine s’impose pour éviter que ce qui est blâmable soit présenté à tous comme étant digne d’éloges »2. Emboîtant le pas sur le terrain des symboles, l’article R. 645-1 du Code pénal punit d’une « amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait, sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant [ceux] d’une organisation (…) criminelle [ou d’] une personne reconnue coupable (…) de crimes contre l’humanité ». Ces symboles infâmes font l’objet d’une condamnation pénale tant leur port et exhibition constituent un affront à la mémoire des victimes de crimes contre l’humanité. Toutefois, le seul fait de revêtir les signes incriminés ne suffit pas à emporter la condamnation de son porteur, encore faut-il qu’ils soient exposés à la vue d’autrui, ce qui suppose d’analyser strictement les éléments constitutifs de l’infraction, comme en atteste l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 5 septembre 2023.

En l’espèce, un collectionneur a commercialisé, sur un site internet accessible à tous, des objets militaires arborant un insigne nazi, en vue de leur vente. Pour faciliter la transaction, les objets présentés furent mis en valeur au moyen de photographies et notices descriptives. Il fut alors poursuivi et condamné du chef d’exhibition d’insignes rappelant ceux d’une organisation criminelle, aux motifs qu’en tant que collectionneur aguerri il ne pouvait ignorer que la vente entre particuliers en ligne, dont la finalité consiste à fluidifier la transaction en multipliant les connexions d’internet, constituait une exposition à la vue de tous. Une telle diffusion s’analyse alors comme la publicité préalable de ces insignes nazis, fût-elle dématérialisée par le biais d’internet. Le prévenu forma alors un pourvoi en engageant le débat sur la méconnaissance du principe de l’interprétation stricte. Et l’argument a porté, puisque la chambre criminelle a censuré les juges d’appel qui avaient opéré une interprétation extensive des éléments constitutifs de la contravention de l’article R. 645-1 du Code pénal. En effet, si l’incrimination suppose une publicité préalable, cette condition s’applique aux objets incriminés et non à leur représentation, quand bien même celle-ci s’opère par un procédé de communication en ligne.

Pour fonder son raisonnement, la Cour de cassation rappelle que, selon une première interprétation, les termes employés par l’article R. 645-1 du Code pénal désignent exclusivement le fait de produire physiquement, de façon ostentatoire, un des objets précités. Cette première lecture de l’incrimination s’oppose à une seconde interprétation, qui inclut dans le champ de la répression non seulement l’exposition aux yeux d’autrui mais aussi la représentation, la description et la diffusion desdits objets, sans distinction du procédé technique utilisé. Cette seconde interprétation fut celle adoptée par les juges du fond, arguant que la proposition de vente en ligne, accessible à tout internaute, constitue, de la même façon que leur exposition dans la vitrine d’un magasin ou lors d’une vente aux enchères, une exhibition au sens des dispositions légales, peu important que l’internaute n’ait pas été démarché par le propriétaire du site. Pourtant, une telle interprétation doit être écartée tant elle paraît peu compatible avec la lettre même du texte qui ne fait que mentionner le fait de porter ou exhiber les objets litigieux, sans faire référence à leur représentation. Assimiler l’exhibition de l’objet et celle de son image reviendrait à appliquer, par une analogie douteuse, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pourtant pas. C’est ce que rappelle fort opportunément la Cour de cassation, qui souligne que le législateur a pris le soin d’incriminer spécifiquement, au sein de certaines dispositions du Code pénal, la fixation ou l’enregistrement de certaines images ainsi que leur diffusion. En l’absence d’une précision législative en ce sens, il convient d’envisager les objets mentionnés dans leur stricte matérialité, à l’exclusion de toute représentation.

Par une interprétation rigoureuse de l’article R. 645-1 du Code pénal, la contravention n’est constituée que si les objets visés par le texte d’incrimination ont fait l’objet d’une publicité directe et matérielle. À l’inverse, une description, même exhaustive, des objets incriminés ou leur illustration au moyen d’images ou de photographies ne suffit pas à constituer une exhibition, même si cette description présente un caractère public acquis par le biais d’un moyen de communication électronique, fût-ce en vue de leur commercialisation qui, en soi, n’est pas répréhensible. Sur ce dernier point, il convient néanmoins de relever que certaines juridictions du fond ont été saisies, par le passé, de poursuites – mais sur le fondement de l’article 24, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 18813 – à propos d’une vente aux enchères d’objets nazis organisée sur internet. Cette position semble aujourd’hui être confirmée par la Cour de cassation, qui rappelle que la diffusion publique des objets incriminés est susceptible de caractériser, dans certaines circonstances, l’infraction d’apologie de crimes contre l’humanité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    E. Verny, Le membre d’un groupe en droit pénal, 2002, LGDJ, Bibliothèque des sciences criminelles, p. 35, n° 63, EAN : 9782275022659.
  • 2.
    E. Dreyer, Droit de la communication, 2e éd., 2002, LexisNexis, Manuel, p. 657, n° 1154.
  • 3.
    T. corr. Paris, 26 févr. 2002 : Juris-Data n° 2002-169041 ; Gaz. Pal. Rec. 2002, 2, som., p. 1639.
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