La série 66-5 met à l’honneur la juridiction de Bobigny

Publié le 16/10/2023

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C’est la série judiciaire dont tout le monde parle : 66-5, diffusée sur Canal + met en scène une jeune avocate d’affaires originaire de Seine-Saint-Denis, qui, lorsque son mari est accusé de viol, se voit contrainte de retourner à Bobigny. La vie de ce territoire a largement inspiré la scénariste, Anne Landois et l’avocate pénaliste, Clarisse Serre, inscrite au barreau de Seine-Saint-Denis et consultante sur le scénario. Ces deux femmes nous racontent les coulisses de la série, tournée entre la cité de l’abreuvoir et le tribunal judiciaire de Bobigny. Rencontre.

Actu-Juridique : Vous travaillez ensemble depuis une dizaine d’années pour montrer la justice à l’écran. Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Anne Landois : Je travaillais sur la série Engrenages, dont l’un des personnages principaux, l’avocate Joséphine Karlsson, était confronté à des problèmes avec les clients, la police, les magistrats. Je trouvais intéressant d’avoir le point de vue d’une femme pénaliste sur ces sujets. Une amie journaliste m’a mise en contact avec Clarisse Serre, qui a accepté de jouer le rôle de consultante. Elle m’a emportée dans un déferlement d’opinions, d’idées, d’anecdotes. Elle venait alors de rejoindre le barreau de Seine-Saint-Denis et m’avait entraînée à l’une de ses audiences, à Bobigny. C’était une affaire de vol de frêt. Nous avons travaillé sur Engrenages jusqu’en 2017, date à laquelle j’ai lancé un nouveau projet qui raconterait les débuts d’une jeune avocate. J’ai demandé à Clarisse de m’aider et elle m’a dit oui immédiatement.

Clarisse Serre : J’adore le cinéma, je regarde énormément de séries. Quand Anne Landois m’a proposé de travailler sur une série, j’étais comme une gosse à qui on propose d’entrer dans un univers inconnu et fascinant. Sur 66-5, Anna Landois m’a contactée tout au début, quand le projet n’était encore qu’une idée. C’est très intéressant, en tant que consultant, d’arriver avant que l’histoire soit écrite : nous avons pu beaucoup travailler ensemble. Anne venait souvent au cabinet, me soumettait ses idées, me partageait ses difficultés ou ses pannes d’inspiration. Je lui parlais de mes dossiers en toute confiance, car je savais que nos échanges resteraient strictement confidentiels.

AJ : 66-5 retrace le début de carrière de l’avocate Roxane Bauer. Comment avez-vous construit ce personnage ?

Anne Landois : Quand j’écris une série, tout part du personnage, que j’élabore en premier. C’est très intime. J’ai d’ailleurs écrit le début de la série à la première personne en disant : « Je m’appelle Roxane Bauer ». J’ai fait connaissance avec elle en déroulant sa vie à partir de la famille dont elle était issue. Je savais qu’elle avait vécu un drame fondateur à l’adolescence. Je voulais raconter un transfuge de classe inversé. J’aimais bien l’idée qu’elle se soit épanouie dans le VIIIe arrondissement, qu’elle ait fait un beau mariage, qu’elle se croie arrivée socialement. Et qu’elle retourne finalement vers l’environnement qu’elle avait fui… Pendant longtemps, il me manquait la raison du retour aux sources. Je l’ai trouvée avec « ♯Me too ». J’ai voulu m’intéresser aux compagnes des hommes accusés de viol. Comment vivent-elles cela ? C’est un dégât collatéral dont on ne parle jamais. Lorsque le mari de Roxane est accusé de viol, elle se retrouve chassée du paradis. L’appartement qu’elle habite n’est pas à elle, elle porte le nom de son mari et doit, pour cette raison, s’éloigner des clients du cabinet. Elle comprend que sa vie est un leurre, un artifice. Elle s’est menti à elle-même, elle n’est pas à sa place. Elle retourne à Bobigny contre son gré mais c’est là que ça va se passer pour elle.

Clarisse Serre : Je me reconnais dans sa détermination et sa pugnacité. L’histoire au cœur de 66-5 est d’ailleurs en partie inspirée d’un des dossiers que j’ai réellement plaidés devant la JIRS. Comme Roxane, j’ai commencé ma carrière au barreau de Paris et fait, pour des raisons différentes, le chemin vers Bobigny. Cela intriguait tout le monde, y compris Anne, que je connaissais déjà et qui me disait qu’elle observait normalement un parcours inverse, de la banlieue vers Paris ou de la province vers Paris. Pour le reste, la série est une fiction. Cela permet de fantasmer un peu le métier d’avocat. C’est très amusant pour moi, car Roxane fait des choses que je ne ferais jamais. Et il lui arrive des choses qui j’espère ne m’arriveront jamais !

AJ : Pourquoi avez-vous eu envie de situer l’action à Bobigny ?

Anne Landois : Le XIXe arrondissement de Paris est mon territoire. J’arpente régulièrement le canal de l’Ourcq à vélo jusqu’à Roissy-en-France. Je connais bien l’arrière des banlieues du 93. Quand on remonte vers le nord, à gauche, ce sont des paysages d’eau, paisibles et contemplatifs. À droite, on voit des maisons ouvrières, des friches, des jardins. Cette diversité m’a beaucoup inspirée, notamment le parc de la Bergère, dans lequel j’ai situé une scène forte. J’adore aussi l’architecture très seventies du tribunal judiciaire de Bobigny, avec du verre, de la brique, du métal.

Clarisse Serre : Le palais de justice de Bobigny n’est certes pas impressionnant, comme peuvent l’être certains tribunaux en France, par exemple le tribunal judiciaire de Lyon, avec ses colonnes, ou celui de Douai avec son imposante façade du XVIIIe siècle. Mais il ne ressemble à aucun autre dans le paysage judiciaire français. Il est atypique, à la manière de Beaubourg. Surtout, sa petite dimension fait que l’on côtoie les gens, ce qui n’est plus possible à Paris, où il faut une carte pour avoir accès aux magistrats.

AJ : Vous avez même tourné à l’intérieur du tribunal. Qu’est-ce qui vous inspirait dans la juridiction ?

Anne Landois : Il y a une ambiance très familiale dans ce tribunal, une ambiance que je n’ai jamais vue à Paris. Clarisse m’avait présenté une procureur qui a été également consultante sur la série. Une fois, après qu’elle a eu requis dans une audience, je l’ai vue engueuler des gamins en train de fumer dans la salle des pas de perdus. Elle leur parlait de manière autoritaire, mais comme si c’était ses neveux. De même, j’ai assisté à plusieurs audiences de comparutions immédiates présidées par une magistrate qui parlait aux prévenus avec un mélange de dureté, puisque c’est son rôle, et de bienveillance. J’ai compris qu’elle les connaissait, qu’elle revoyait souvent les mêmes. Cela se retrouve dans la série : la présidente de l’audience retrouve un des personnages, Foued, qui n’est pas un inconnu. Une autre particularité de Bobigny : c’est une juridiction très jeune et très féminisée. J’ai suivi Clarisse sur plusieurs audiences, je l’ai vue plaider, prendre sa place à l’audience, tenir tête à la procureure, qui est souvent une très jeune magistrate. C’est une tout autre image de la justice que celle donnée par l’ancien palais de justice de l’île de la Cité. L’actrice Alice Isaaz, qui a 32 ans et interprète Roxane Bauer, avait peur de ne pas être légitime comme avocate. Elle est allée aux audiences de comparutions immédiates de Bobigny et s’est rendu compte qu’il y avait plein de jeunes avocates, dont on parle peu car on ne parle des pénalistes qu’une fois qu’ils sont bien installés… Dans les tribunaux, les accusés sont souvent des hommes. À Bobigny, ils sont jugés et défendus par des femmes. Cela m’intéressait de mettre ça en scène.

Clarisse Serre : Le palais de justice de Paris a accueilli de nombreux tournages mais c’est la première fois, à ma connaissance, qu’une série est tournée au tribunal de Bobigny. Le barreau pénal de Bobigny, c’est une équipe de choc, certainement pas un barreau de seconde zone. C’est important de le dire et de le montrer, et cette série le fait. C’est une bonne chose, car en général, la représentation de la juridiction de Bobigny est caricaturale. Tout le monde parle des toilettes qui sont bouchées, les confrères parisiens disent avec une certaine condescendance qu’ils vont « plaider à Boboche » ! On entend souvent aussi que les juges de Bobigny sont laxistes, alors que la justice y est rendue aussi sévèrement qu’ailleurs…

AJ : Comment ce projet a-t-il été accueilli dans la juridiction ?

Anne Landois : Peimane Ghaleh-Marzban, le président du tribunal judiciaire, a accepté de nous soutenir, à condition qu’on ne vienne pas dans l’intention de parler des fuites au plafond ou de la pauvreté. Il trouvait que cela ne servait à rien et il avait raison. Il m’a expliqué la particularité de Bobigny, une juridiction où tous se serrent les coudes, et où, bien que le barreau soit militant, magistrats et avocats travaillent main dans la main pour que la justice soit aussi bien rendue que possible en dépit du flot d’affaires. Nous avons tourné l’été, le tribunal était inondé de lumière, tout le monde était en tee-shirt. Les réalisatrices, Danielle Arbid et Keren Ben Rafael, ont encore intensifié cela à l’image. Dans la série, le décor est entraînant, joyeux, vivant, lumineux, chaleureux.

Clarisse Serre : L’histoire est bien écrite, bien réalisée, portée par un super casting. Les chefs de juridiction sont venus à l’avant-première, ils ont été très satisfaits du résultat. Je reçois depuis la diffusion beaucoup de retours enthousiastes des confrères de Bobigny, qui aiment la série. Ils reconnaissent beaucoup d’éléments de leur environnement de travail, dans les décors mais aussi dans les personnages d’avocats et de magistrats : par exemple, dans le premier épisode, Roxane plaide vraiment dans la salle d’audience de Bobigny, et la comédienne qui interprète la présidente de l’audience ressemble à une magistrate du tribunal. Les confrères voient tout cela, et trouvent que la série est juste.

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