L’affaire des « Fiancés de Fontainebleau » relance le débat autour de la prescription des crimes de sang

Publié le 02/02/2024

Clos par la justice en 2011, le dossier du mystère le plus retentissant de Seine-et-Marne intrigue toujours le journaliste Christian Porte. Premier averti de la disparition des fiancés de Fontainebleau, le 31 octobre 1988, il a publié son troisième livre sur ce triple meurtre grâce à son confrère et éditeur Jacques Pradel. Via une pétition, tous deux relancent le débat sur l’imprescriptibilité des crimes de sang.

L’affaire des « Fiancés de Fontainebleau » relance le débat autour de la prescription des crimes de sang
Jacques Pradel (à gauche) et Christian Porte, auteur de trois livres sur « les Fiancés de Fontainebleau ». (Photo : ©Christian Porte)

Le thème est sensible, ils le savent et ne veulent pas que les contempteurs du « droit à l’oubli » imaginent une croisade « de sécuritaires », réduisant leur réflexion à la remise en cause globale d’un principe cardinal du droit : la prescription. Non, les journalistes Jacques Pradel et Christian Porte sont attachés au « pardon légal » si tous les recours ont été épuisés, si la totalité des actes procéduraux a été diligentée ou s’il s’agit d’infractions autres que le crime de sang. Contre celui-ci, à l’instar de parlementaires de droite ou de gauche, de magistrats, d’associations, d’avocats, ils estiment qu’il faudrait allonger le délai de prescription – la loi du 27 février 2017 l’a porté à 20 ans. La pétition qu’ils ont lancée, visant à « seulement rouvrir le débat », avait recueilli plus de 18 000 signatures ce 1er février.

Pourquoi de « simples » journalistes en sont-ils à l’origine ? A cause de ces démons qui tourmentent les enquêteurs : les affaires non résolues. Créé en 2022 à Nanterre (Hauts-de-Seine), le pôle “cold cases  tente d’élucider de vieux dossiers non clos. Or, celui dit des « Fiancés de Fontainebleau », qui hante Christian Porte au point d’avoir écrit un troisième livre édité par Jacques Pradel, est définitivement refermé. Si par miracle on apprenait qui a tué Gilles Naudet, Anne-Sophie Vandamme et leur chien Dundee le 31 octobre 1988, les meurtriers ne seraient pas jugés (encadré sur le rappel des faits ci-dessous).

Affaire Bonfanti : « Des aveux, un crâne… et la prescription ! »

 Jacques Pradel, journaliste à France Inter, TF1, Europe 1, RTL, écrivain et directeur de collection aux Éditions JPO, n’a pas que les amoureux seine-et-marnais en mémoire. Le triple meurtre dans le domaine de chasse des rois de France, réserve artistique qui inspira tant de peintres et d’écrivains, l’a certes marqué. Mais ce n’est pas le seul. Par exemple, il regrette qu’en fin 2023, le voisin de Marie-Thérèse Bonfanti ait été relâché par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon. La jeune mère de 25 ans avait disparu en mai 1986. « Et voici qu’en 2022, le voisin avoue : il fournit des indications aux gendarmes qui retrouvent la victime. Il y a des aveux, un crâne et… la prescription ! » Il s’est en effet écoulé plus de 30 ans entre les faits et leur résolution. Libre, l’homme vit près des Bonfanti…

Autre cas, la disparition de l’ouvrier viticole Frédéric Fauvet en décembre 1985 à Épernay (Marne). L’accusé est acquitté en 1988. « La famille a tout fait pour que le dossier reste ouvert, il y a eu des demandes d’actes jusqu’à ce que l’ADN prélevé sur la scène de crime devienne exploitable. En 2012, il “matche” avec l’acquitté ! C’est l’autorité de la chose jugée, je ne mélange pas tout mais, là encore, il y a un vrai sujet autour du parquet, seul habilité à faire appel. Après l’acquittement du mineur dans le dossier des fiancés de Fontainebleau, et en dépit de la volonté des familles, la justice n’a pas poursuivi les investigations. Alors que Christian Porte, seul, a soulevé de nouvelles pistes. Lorsque tout n’a pas été entrepris, la société ne supporte plus ce “pardon légal”. »

« L’impunité peut renforcer la détermination criminelle »

 Jacques Pradel souligne aussi « les immenses progrès en matière de police technique et scientifique, de criminalistique, de science forensique ». Avec le général François Daoust qui dirigea l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, il publie un livre sur ce thème fin février*. En raison des avancées, il plaide pour le rallongement du délai au-delà de 20 ans. Le rapport des ex-députés Alain Touret (LREM) et Georges Fenech (LR), qui a abouti à leur proposition de loi votée en 2017, allait en ce sens. Magistrats, avocats, universitaires battaient déjà en brèche « l’idée que la prescription se justifierait par le dépérissement des preuves ».

Autre argument de l’Union syndicale des magistrats : « L’impunité peut renforcer la détermination criminelle de certains auteurs. » Enfin, la loi de l’oubli « heurte davantage l’opinion publique », considère Jacques Pradel, comme le constatent les parlementaires. À tout le moins, il suggère « qu’à la discrétion des magistrats, des actes interruptifs successifs parviennent à repousser l’extinction de l’action publique. C’est grâce à cela, et à l’ADN, que “le Grêlé” [gendarme violeur et tueur en série durant 35 ans] a pu être confondu et que l’énigme de la petite martyre de l’A10, morte en 1987, a été résolue ! Les juges en charge, qui se sont succédé, ont refusé de clore les instructions. La volonté de quelques-uns suffit, parfois… »

Christian Porte et Jacques Pradel ont transmis le dossier de Fontainebleau au Président Emmanuel Macron. Son chef de cabinet les a avertis que, à sa demande, il communiquait « [leur] intervention » au garde des Sceaux. À ce jour, Éric Dupond-Moretti ne leur a pas répondu.

 *Police technique et scientifique : Le choc du futur, Éditions du Rocher, disponible le 28 février.

 

 Octobre 1988 : « Les Fiancés de Fontainebleau » engloutis par la forêt

UnknownEn janvier 1989, les corps de Gilles Naudet et Anne-Sophie Vandamme, un jeune couple abattu 71 jours plus tôt en forêt de Fontainebleau, sont découverts avec le cadavre de leur chien. Depuis, le dossier a été refermé pour prescription. Mais le journaliste Christian Porte* s’y accroche.

En cette veille de Toussaint, Gilles Naudet et Anne-Sophie Vandamme, un couple d’amoureux, garent leur Peugeot 304 sur un parking en bordure de la forêt domaniale de 25 000 hectares. En descend aussi leur chien Dundee, jeune berger des Pyrénées. L’employé de banque et l’assistante sociale, qui vivent dans le Val-de-Marne, profitent de leur lundi 31 octobre, férié, pour s’aérer. Ils ont déjeuné chez les parents de Gilles à Bois-le-Roi, en Seine-et-Marne et, en début d’après-midi, ils s’élancent sur le GR 11 qui traverse le massif des Trois-Pignons et le plateau du Coquibus, entre autres sites. Ce lundi marque aussi l’ouverture de la chasse au gros dans le secteur.

En soirée, Gilles et Anne-Sophie ratent un dîner entre amis. Les familles s’inquiètent aussitôt. Dès le 1er novembre, elles retracent le parcours des jeunes âgés de 25 ans, découvrent leur voiture, alertent la gendarmerie.

En 1988, la procédure de « recherche dans l’intérêt des familles » n’est pas aussi spontanée qu’aujourd’hui. Le couple, majeur, a dû s’égarer dans les massifs boisés ; le chien l’aidera à retrouver son chemin. Le 2 novembre, Gilles et Anne-Sophie ne reprennent pas le travail. L’angoisse des parents convainc le commandant des gendarmes de Fontainebleau d’organiser des recherches. S’y joignent les collègues de Melun, Paris, Meaux et de l’Essonne. Première d’une longue série de battues : hélicoptères, équipes cynophiles, élèves motards, volontaires, etc. : 700 personnes mobilisées, dont une cinquantaine de cavaliers de la Garde républicaine !

La piste des chasseurs ou des braconniers

 Seules manquent à l’appel les sociétés de chasse qui traquaient sangliers et chevreuils ce 31 octobre. Un « détail » qui surprendra tous les officiers. « Qui sait si, une fois de plus, ils n’ont pas déconné ? », confiera l’un d’eux au journaliste local Christian Porte. « Lundi, ça tirait de partout », lui dit à l’époque un promeneur venu en famille. La R5 du responsable de l’Office national des forêts a même été traversée par une balle Brenneke !

Sollicitée, la presse publie les photos du couple souriant, avenant. Le porte à porte n’aboutit à rien. Le 31 décembre 1988, les recherches sont levées et quatre hypothèses retenues : des braconniers ; l’accident de chasse ; des malfaiteurs ; le triple meurtre « gratuit » lors d’un entraînement au tir.

Mardi 10 janvier 1989, cinq chasseurs et leur fox-terrier parviennent sur le plateau du Coquibus (Essonne), près de la Mare-aux-joncs entre les gorges aux Voleurs et aux Loups. Le fox s’écarte du GR 11 et débusque deux corps sous des branches de bruyère, à 100 mètres du sentier. Entre eux, il y a un chien. Autour, dix douilles de calibre 22 Long Rifle. Dans la soirée du 11 janvier, le parquet confirme qu’il s’agit de Gilles, Anne-Sophie et Dundee. Tous trois exécutés par balles tirées, pour cinq d’entre elles, à bout portant dans la nuque ou la tête. Par deux armes. Soit deux tireurs.

Une autre énigme renforce le mystère. Le 4 novembre, cette zone avait été minutieusement ratissée : les cadavres ont donc été « conservés » quelque part et enfouis là après la fin des battues. La bruyère qui les recouvre a été cueillie moins de huit jours avant la macabre découverte.

À compter du 11 janvier 1989 et jusqu’à la prescription du dossier en 2011, quelque 4 500 procès-verbaux seront établis ; le résultat de 200 000 heures d’audition. Un jeune chasseur qui s’est accusé puis rétracté est acquitté par la cour d’assises des mineurs, faute de preuves. Le parquet n’interjette pas appel. Depuis, les familles Vandamme et Naudet s’accrochent à l’espoir de comprendre un jour, même sans l’aide de la justice.

* Les Fiancés de Fontainebleau : la faillite de la Justice, par Christian Porte, aux Éditions JPO, Collection Jacques Pradel, 355 pages, 19,90 €.

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