Loi contre le narcotrafic : « Il faut s’attendre à une riposte de la part des trafiquants »
Substitut général au sein du département de lutte contre la criminalité organisée du parquet général de Paris, Damien Brunet fait partie des meilleurs connaisseurs des phénomènes mafieux en France. Directeur du livre Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée, paru aux éditions LGDJ et récompensé par le prix du Livre de la pratique juridique en 2024, il est membre de la mission de préfiguration du PNACO et a coordonné le rapport sur la lutte contre la criminalité organisée, publié par le Club des juristes en mars 2025. Pour Actu-Juridique, il livre son analyse de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, publiée au Journal officiel du 14 juin 2025. Rencontre.
Actu-Juridique : Comment vous êtes-vous spécialisé dans la lutte contre la criminalité organisée ?
Damien Brunet : De manière empirique. J’ai pris mes fonctions en 2007 en tant que juge d’instruction à Évreux. J’avais en charge des affaires d’infractions sexuelles, des infractions à la législation sur les stupéfiants, des vols avec arme et quelques autres infractions en bande organisée. En 2010, j’ai rejoint le parquet de Bobigny et intégré la DACRIDO, qui a compétence pour les affaires criminelles et la délinquance organisée sur tout le département de Seine-Saint-Denis. Dans ce département, le plus jeune et le plus criminogène de France, pourvu du plus grand aéroport du pays, existent toutes les infractions possibles, avec un recours à la violence débridé et des modes opératoires très élaborés. Cela a donc été une expérience formatrice. En 2015, j’ai quitté Bobigny pour rejoindre la section JIRS du parquet de Paris où je suis resté 3 ans. J’ai continué à traiter des dossiers similaires à ceux de la DACRIDO mais à plus grande échelle, avec une dimension interrégionale et même internationale. Après une parenthèse dans l’administration centrale, j’ai rejoint le département de lutte contre la criminalité organisée au sein du parquet général de Paris, lors de sa création en mars 2021.
AJ : En amont de l’adoption de la « loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic », vous avez travaillé le sujet avec le Club des juristes et vous êtes désormais membre de la mission de préfiguration du PNACO. En quoi consistaient ces travaux ?
Damien Brunet : La commission narcotrafic du Club des juristes et la mission de préfiguration du PNACO ont effectivement un sujet commun mais leur approche, leurs objectifs et leur portage sont très différents.
Le Club des juristes m’a confié la présidence d’une commission dans laquelle j’ai réuni des spécialistes de la matière – universitaires, juges d’instruction, parquetiers, juges du siège – pour analyser la proposition de loi et apporter un éclairage technique, dans une démarche intellectuelle et associative. Nous avons réaffirmé notre attachement à certains principes de l’institution judiciaire dans la lutte contre la criminalité organisée et tenté de suivre un calendrier parlementaire qui n’a cessé de s’accélérer ! Nous avons donc assumé de ne pas faire une analyse exhaustive de la loi et avons formulé 34 propositions dont certaines, telles que l’idée de créer une chaîne pénale spécialisée, semblent parfois difficiles à mettre en œuvre.
En parallèle, le ministre de la Justice, dans une démarche d’anticipation plus opérationnelle, a nommé une mission de préfiguration du PNACO pour identifier les aspects juridiques, techniques et pratiques de la mise en œuvre de ce nouveau parquet. L’objectif de cette mission est d’identifier les éventuelles difficultés avant l’entrée en vigueur de la loi pour mieux les appréhender et in fine les surmonter. Identifié parmi d’autres comme une personne qualifiée, j’ai eu l’honneur de rejoindre cette mission. Le premier sujet était le lieu d’implantation du PNACO. Finalement, à l’issue des débats parlementaires, il s’est avéré qu’il était plus opportun de l’établir à Paris qu’à Marseille, conformément aux préconisations de la mission.
AJ : À quoi devrait ressembler ce PNACO ?
Damien Brunet : Le PNACO entrera en vigueur le 5 janvier 2026. Il aura une compétence concurrente nationale sur les infractions visées notamment aux articles 706-73, 706-73-1, 706-74 et à l’article 706-73 relevant de la délinquance et de la criminalité organisée ainsi que sur le blanchiment et l’association de malfaiteurs qui y sont associés. Outre sa compétence concurrente nationale, qui est désormais un marqueur des parquets nationaux en matière financière et antiterroriste, le PNACO pourra, à l’instar du PNAT, mettre en œuvre des délégations judiciaires à destination des parquets territorialement compétents (mais également un dispositif de « co-saisine » avec ceux-ci, permettant ainsi d’assurer une meilleure coordination des juridictions intervenant en matière de lutte contre la criminalité organisée. C’est dans le même objectif qu’a été créée une compétence prioritaire permettant au PNACO « d’évoquer » une affaire. Enfin, et c’est peut-être encore l’innovation la plus importante, le PNACO sera l’interlocuteur privilégié sinon unique de l’État-Major interministériel de lutte contre la criminalité organisée qui, établi au sein de la DNPJ (Direction Nationale de la Police Judiciaire), aura une mission de criblage des objectifs par tous les services de police judiciaire et de renseignement. Ces dispositions, doublées d’un avis systématique au PNACO pour les livraisons surveillées, les infiltrations sur demande d’entraide pénale internationale, le recours envisagé à un repenti, peuvent paraître techniques. Néanmoins, ce genre de dispositions, trop peu développées jusqu’alors, permettront de créer une communauté de la criminalité organisée, au même titre qu’une communauté du renseignement.
AJ : La création du PNACO sera-t-elle accompagnée d’une spécialisation de magistrats au siège ?
Damien Brunet : C’est un point de vigilance : un parquet sans siège pour juger ne peut pas grand-chose. Or si la loi prévoit bien que des magistrats de toute la chaîne judiciaire – juge des enfants, juges d’instruction, magistrats du siège correctionnel et de la cour d’assises –seront spécialement habilités pour traiter des affaires initiées par le PNACO, le législateur n’est pas allé jusqu’à créer des postes dédiés à l’exception du juge d’application des peines. La présidence du tribunal judiciaire de Paris et de la première présidence de la cour d’appel de Paris devront s’assurer que les magistrats du siège soient spécialisés pour traiter les seules affaires suivies par le PNACO. Cette forme de filiarisation, qui emporte des moyens RH particuliers, permettra d’éviter un engorgement de la chaîne pénale qui doit aussi traiter des affaires de délinquance organisée et de criminalité organisée JIRS. Une autre question est de savoir avec quel portefeuille de dossiers ce PNACO va entrer en vigueur. Est-ce qu’on commence par un petit parquet qui grossira plus tard ? Est-ce que le PNACO reprend des dossiers voire tous les dossiers de la JUNALCO ? C’est un enjeu majeur.
AJ : Un point important de la loi concerne la refonte du statut des repentis. En quoi consiste-t-il aujourd’hui ?
Damien Brunet : En 2004, la loi Perben II a créé un statut des repentis. Dès les travaux parlementaires précédant la loi, il y avait une réticence, pour des raisons morales, à adopter ce système. On estimait que celui qui avait commis des méfaits ne pouvait pas bénéficier d’une réduction de peine de moitié après avoir dénoncé ses complices. Les décrets d’application ont donc paru dix ans plus tard seulement, en 2014. C’est seulement à cette date que l’on a pu véritablement mettre en œuvre ce régime, et on a alors découvert un tas de problèmes. Le système est édicté dans un texte général du Code pénal, qui renvoie ensuite à des textes spéciaux, rédigés en des termes différents. Ainsi, d’après le texte général, le statut de repenti pouvait s’appliquer si le repenti avait permis d’empêcher la commission de l’infraction, ou évité qu’elle ne se poursuive, ou permis d’arrêter des malfaiteurs. Dans certains textes spéciaux, le « ou » devient « et ». Cela rend le statut presque impossible à obtenir. Le deuxième problème du dispositif de 2004 tient à ce que l’octroi du statut de repenti n’est jamais définitif. Cela signifie que si un magistrat décide qu’un repenti bénéficie d’une réduction de peine de moitié, il peut être « déjugé » par d’autres magistrats. C’est ainsi que, dans une affaire, un mis en cause a dénoncé tous ses complices, sans que son statut de repenti ne soit finalement retenu par la juridiction de jugement, lui retirant ainsi, ipso facto, le bénéfice du programme de protection prévu pour les repentis. Les mécanismes de protection de l’anonymat des repentis ont également été la source de complications tant ils pouvaient être estimés incompatibles avec les règles de déroulement du procès, particulièrement à l’audience d’assises. Au final, il y a, selon les chiffres présentés par le président de la Commission Nationale de Protection et de Réinsertion (CNPR) à la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, une grosse quarantaine de repentis en France, contre 3 000 en Italie !
AJ : Comment le statut des repentis sera-t-il modifié par la loi ?
Damien Brunet : La loi de 2025 élargit le dispositif. L’auteur d’un meurtre pourra devenir repenti. Ce changement vient du fait que les assassins sont rarement des chefs mais des exécutants recrutés sur Snapchat dans des villes moyennes. Ils agissent parfois pour 10 000 euros voire moins… Ce ne sont pas forcément des acteurs principaux des organisations criminelles. En revanche, ils peuvent connaître le commanditaire de l’assassinat et même le patron de l’organisation criminelle. Dès lors, une information, certes donnée par un meurtrier, peut apporter un taux d’élucidation satisfaisant dans les enquêtes. Autre changement : l’enjeu n’est plus une diminution de peine de moitié mais des deux tiers. Une fois qu’on va contractualiser cela, après avoir vérifié les dires du repenti, qu’il aura vu un expert psychologue, le juge d’instruction ou le procureur examinera ses informations et décidera si elles en valent la peine. Si oui, il fera une convention qu’il soumettra à la chambre de l’instruction. Cette dernière décidera ou non d’accorder le statut. Une fois le statut accordé, en revanche, il ne pourra plus être retiré. L’institution se donne le temps de vérifier que les informations sont sérieuses. Si, dans un délai de 10 ans pour un délit ou de 20 ans pour un crime, il apparaît que les informations sont fausses ou manifestement erronées, le repenti sera incarcéré pour une durée elle aussi mentionnée dans la convention initiale. Les Italiens font cet examen en amont : ils laissent au repenti 30 jours pour tout dire. Si à l’issue de ces 30 jours, des éléments manquent, les juges ne lui accordent pas cette protection. Enfin, avec ce nouveau dispositif, désormais, quel que soit le statut dans la procédure du repenti – il n’est pas rare qu’un repenti doive comparaître dans le cadre de plusieurs procédures à différents titres : témoin, prévenu, accusé, partie civile –, les modalités de protection primeront sur les modalités de comparution, permettant ainsi une comparution à distance en toutes circonstances.
AJ : Quels sont les principaux aménagements de procédure pénale prévus par la nouvelle loi ?
Damien Brunet : Les principaux aménagements portent sur les délais du contentieux de la détention, qui ont été augmentés. La chambre de l’instruction aura désormais 30 jours au lieu de 20 pour statuer sur une demande de mise en liberté. De manière très quotidienne, les juges des libertés et de la détention doivent traiter un gros volume, le contentieux de la détention étant de plus en plus soutenu. Certains pointent du doigt les avocats qui font des recours après que les demandes de mise en liberté de leur client ont été rejetées. Mais on ne peut pas reprocher aux justiciables d’exercer un droit qui leur est reconnu ! Le problème vient du fait que le dimensionnement des services n’a pas suivi la production législative comportant de nouvelles voies de recours et de nouveaux examens. La loi sur le narcotrafic vient rallonger des délais pour accorder une forme de soupape, des facilités de traitement.
AJ : Un des points les plus débattus de cette réforme est la mise en place d’un régime de détention plus sévère. Qu’en pensez-vous ?
Damien Brunet : Le débat sur la prison n’est pas arrivé tout de suite. Dans sa proposition de loi, issue des travaux de la commission d’enquête pour sortir la France du piège du narcotrafic, le Sénat n’avait rien écrit sur le carcere duro à la française. Ce régime de prison à sécurité renforcée a été intégré par voie d’amendements gouvernementaux. Il vise à rassembler dans certains établissements pénitentiaires réputés pour leur haut niveau de sécurité des personnes qui relèvent du haut du spectre de la criminalité organisée et qui présentent les risques les plus forts d’évasion ou de corruption. C’est un changement majeur de philosophie dans la science pénitentiaire. Dans les années 1970, il existait l’idée qu’un bâtiment très sûr garantissait la sécurité. Puis, en France et au Canada, des détenus sont parvenus à s’échapper de ces prisons sécuritaires avec des régimes de détention très durs et contestés. Un mouvement général, dépassant largement la France, a alors émergé et mis en avant l’idée d’une sécurité axée sur les personnes. L’idée que certains détenus étaient dangereux a donné lieu à la création du régime des détenus particulièrement surveillés (DPS). Ce régime a lui aussi été contesté. C’est donc une nouvelle approche à la fois centrée sur le détenu et son lieu d’incarcération qui semble se dessiner.
AJ : Certains qualifient cette conception de retour en arrière. Qu’en pensez-vous ?
Damien Brunet : Je ne pense pas : à l’époque, les quartiers de haute sécurité (QHS) accueillaient un braqueur comme Mesrine à côté d’un terroriste comme Carlos. Les quartiers à sécurité renforcée prévus par la loi seront dédiés aux 100 plus grands trafiquants de stupéfiants, qui seront pris en compte par un personnel dédié. C’est une chose nécessaire : il existe en France un détenu qui, dès qu’il croise un représentant de l’autorité, gardien ou directeur de prison, lui propose 50 000 euros s’il le laisse sortir. Ces approches n’ont pour le moment rien donné, mais le risque corruptif existe. Aujourd’hui déjà, les DPS font l’objet de mesures particulières dans des établissements pénitentiaires ordinaires. Par exemple, si un détenu présente un fort risque de corruption, il est systématiquement escorté par trois agents pénitentiaires au lieu d’un seul car corrompre un agent est plus facile que d’en corrompre trois… Mais le risque corruptif ne s’entend pas que par le versement d’argent au personnel pénitentiaire. Il peut s’agir de pressions sur tout acteur judiciaire, en dehors de l’enceinte pénitentiaire, par exemple dans sa vie privée, sur ses proches. Il faut donc que les personnels pénitentiaires, mais plus globalement tous les personnels judiciaires, s’astreignent à une certaine discrétion sur les réseaux sociaux et, au-delà, dans leur vie personnelle.
AJ : D’après le rapport du Sénat portant sur la lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée, la France a dépassé le « point de bascule ». Depuis quand, à votre avis ?
Damien Brunet : Contrairement à l’Italie, la France n’a pas appréhendé de front terrorisme et criminalité organisée. L’Italie, dès 1982, adopte une loi anti-mafia sur le modèle de la loi antiterroriste. En 1986, après l’attentat de la rue de Rennes, la France crée le dispositif antiterrorisme. À l’époque, le démantèlement de la French Connection a eu lieu et la menace de la criminalité organisée semble lointaine. En 2004, la loi Perben II prend en compte le fait que les organisations criminelles passent les frontières et que le découpage en juridiction n’est plus pertinent. Elle met en place des juridictions interrégionales spécialisées. C’est une révolution dans la procédure pénale car, jusqu’alors, tout justiciable relevait du tribunal de son département. Puis, en 2019, la JUNALCO est créée. C’est un nouveau changement d’échelle. Cette nouvelle organisation judiciaire est complétée par le concours d’EUROJUST qui, depuis 2002, permet de faire travailler des magistrats de chaque pays dans un même immeuble à La Haye et fluidifie énormément la coopération intracommunautaire. Cette dynamique est interrompue ensuite par les vagues noires d’attentats qui reprennent avec la montée en puissance de la menace terroriste et les attentats de 2015. La France devient, cette année-là, la destination touristique la plus dangereuse au monde. Tous les regards sont alors tournés vers la lutte antiterroriste au détriment de la criminalité organisée. Aujourd’hui, la menace terroriste a baissé, et le trafic de produits stupéfiants explose, pour différentes raisons géopolitiques. En Colombie, depuis le cessez-le-feu avec les FARC, la production de cocaïne a été multipliée par deux après que les ex-guérilleros se sont reconvertis comme trafiquants. Le marché américain étant déjà saturé, cette production est arrivée en Europe. Dans ce contexte de surproduction, les prix se sont effondrés et l’usage de la cocaïne s’est démocratisé. En 2011, on saisissait 10 tonnes de cocaïne par an. Maintenant, cette quantité est saisie en une seule affaire. Les trafiquants ont tellement de produits qu’ils n’ont plus de problème à en perdre une partie. Ils mettent en œuvre des techniques de saturation des réseaux policiers et judiciaires, par exemple en dénonçant l’une de leurs propres importations. Les forces de sécurité intérieure vont aller la saisir et pendant qu’elles sont occupées de cette manière, les trafiquants en font passer quatre autres… Nos ports métropolitains, en plus de ceux de Cayenne, Fort-de-France, ou Pointe-à-Pitre, font de la France un pays exposé. Cette menace devient plus visible depuis que le terrorisme est moins fort.
AJ : Pourquoi la France s’est-elle pensée à l’abri de la criminalité organisée ?
Damien Brunet : Par déni, comme pour Tchernobyl. Et aussi du fait d’une forme de condescendance vis-à-vis de nos voisins marocains, italiens et espagnols. Il y a dix ans, la mafia n’était qu’italienne. Il a fallu que la grande violence liée à la criminalité organisée touche la Belgique et les Pays-Bas, des États que l’on perçoit comme proches de nous, pour que la France comprenne la menace. Au cours du procès Marengo, des avocats ont plaidé cagoulés, un journaliste s’est fait tuer pour avoir interrogé un témoin, le témoin s’est ensuite fait tuer à son tour ainsi que son frère. Cela a été un signal très fort. Mais nous aurions pu être alertés bien avant. Deux juges d’instruction français sont morts : François Renaud, en 1975 et Pierre Michel, en 1981. L’avocat Pierre Sollacaro a été assassiné en 2012. Le point de bascule, à mon sens, ne date pas d’aujourd’hui. Nous n’avons pas compris la situation car la criminalité organisée ne se voit pas, contrairement au terrorisme dont l’essence est d’être revendiqué.
AJ : Quelle est la définition de la criminalité organisée ?
Damien Brunet : Il existe une liste d’infractions relevant de la criminalité organisée, mais elle n’est pas définie en tant que telle. La définition financière est à mon avis la meilleure. Le chiffre d’affaires mondial de la criminalité organisée est équivalent à 2 fois le budget de toutes les armées du monde ! En France, le trafic de produits stupéfiants génère 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an – 3 fois plus que le budget annuel de la justice pénale. Au total, le chiffre d’affaires de la criminalité organisée est évalué, en France, chaque année, aux alentours de 22 milliards d’euros. À ce seul titre – sans compter les autres, de paix et de santé publiques – il est aisé de comprendre quels enjeux la lutte contre la criminalité organisée recouvre.
AJ : Est-ce trop tard pour prendre les choses en main ?
Damien Brunet : Je ne dis pas cela. La question que l’on doit se poser, en revanche, est la suivante : en plus des actions répressives nouvelles, que met-on à la place de cette économie liée au trafic ? L’État, par le biais de l’école particulièrement, et les collectivités territoriales devront assurer une présence forte pour compenser la disparition de cette économie illégale. Il faut aussi s’attendre à une riposte de la part des organisations auxquelles on va s’attaquer. C’est un effort qui peut se retourner contre l’État, au moins de manière transitoire. La conférence de presse de la DZ Mafia, les attaques contre l’administration pénitentiaire, sont à lire ainsi. Elles semblent montrer que la prise de conscience et les mesures qui sont en passe d’être prises par les pouvoirs législatifs et exécutifs gênent. Démanteler une organisation, toujours connectée à d’autres, va créer un déséquilibre lié au réajustement des activités illégales. Cela va engendrer des règlements de compte, les organisations survivantes vont devenir plus puissantes. L’administration pénitentiaire a déjà payé un lourd tribut et l’actualité montre qu’elle est toujours une cible première des organisations criminelles. Mais il n’y a pas de raison que cette menace se limite à l’administration pénitentiaire. D’ailleurs, une cinquantaine de magistrats vivent actuellement sous protection policière. Il faut donc regarder ces enjeux en face et s’y préparer. La mise en œuvre des nouveaux outils juridiques et juridictionnels votés par le Parlement est un enjeu vital.
Référence : AJU017o5
