« Même avec plus de moyens que d’ordinaire, les comparutions immédiates restent une justice très expéditive »
Du 29 juillet au 12 août, en plein Jeux olympiques, une équipe de 33 bénévoles de la Ligue des droits de l’Homme s’est relayée pour assister en continu aux audiences de comparutions immédiates qui se sont tenues au tribunal judiciaire de Bobigny. Le but de cette opération : être une vigie de cette justice du quotidien en augmentation (de 13 % à 18 % entre 2012 et 2019), alors que les effectifs en policiers et magistrats étaient renforcés. Retour d’expéricens avec Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93, Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 et Rozenn Guéguen, bénévole à la LDH 93.
Actu-Juridique : Des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) étaient présents en continu lors des comparutions immédiates au tribunal judiciaire de Bobigny durant les Jeux olympiques. Pourquoi ?
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : La LDH fait partie de l’Observatoire des pratiques policières du 93 et nous avons voulu voir ce qui se passait sur les lieux d’événements annoncés en Seine-Saint-Denis en amont des Jeux, avec une présence policière renforcée annoncée également. Nous avons pensé qu’il y allait sans doute y avoir plus d’interpellations et de comparutions immédiates liées aux Jeux olympiques. C’est pour cette raison qu’on a décidé d’y être. Finalement, dans les faits, il n’y a pas eu beaucoup d’affaires liées directement aux JO : on en a eu quelques-unes, notamment un groupe de Colombiens qui ont volé pour des dizaines de milliers d’euros de matériel audiovisuel, ordinateurs, appareils photos, argent, tenues de bénévoles, cartes d’accès, etc. mais c’est presque tout.
Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 : Il y avait aussi plus de magistrats cet été et on a constaté que même avec plus de moyens que d’ordinaire, les comparutions immédiates restent une justice très expéditive.
AJ : Qu’est-ce qui vous a le plus marquées en assistant à ces audiences ?
Rozenn Guéguen, bénévole à la LDH 93 : Le manque de moyens quand on débarque dans le tribunal. Déjà pour nous, les observatrices et observateurs présent·es, il faut prendre ses mouchoirs et son savon pour se rendre aux toilettes… Et on sait que les conditions au dépôt sont dramatiques.
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : La première après-midi d’audiences à laquelle j’ai assisté, elle se tenait dans la salle des Assises, parce qu’il faisait chaud et dans la salle des comparutions immédiates prévue, il n’y a pas la clim. Sauf que dans la salle des Assises, il n’y avait pas de son… Le président du tribunal était extrêmement pédagogue et répétait tout, en s’assurant que c’était bien ce qu’avaient voulu dire les prévenus, victimes et/ou témoins mais aussi pour que la greffière puisse prendre des notes et faire son travail. Puis à un moment donné dans l’après-midi, on a entendu comme des coups de marteau. J’ai d’abord pensé que c’était des travaux mais en fait, c’était les prévenus, détenus juste en dessous au dépôt qui tapaient pour avoir de l’eau ! Un peu plus tard ils se sont mis à crier. Compliqué de travailler dans ces conditions, sans parler des box des prévenus qui sont placés sous des verrières et ne bénéficient pas de la climatisation dans cette salle-là.
AJ : Et dans le déroulé des audiences en lui-même ?
Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 : C’est un vrai théâtre et le prévenu a un rôle qu’on ne le laisse pas jouer ! On lui dit de se lever, de s’asseoir, de se lever… On lui dit qu’il peut répondre aux questions, de se taire ou de s’exprimer librement mais il ne sait pas quand il a le droit de parler. Et quand ce n’est pas le bon moment aux yeux des magistrats, on lui demande de ne pas interrompre. Le prévenu est en permanence dans une position de soumission par rapport aux magistrats. Et beaucoup ne comprennent pas ce qu’il se passe exactement. Je pense par exemple à un prévenu condamné à une peine avec mandat de dépôt. Il demande : « prison ? ». Le président lui répond sèchement, « mandat de dépôt ! » Mais il ne connaît pas le jargon.
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : C’est expéditif. On a assisté à des comparutions immédiates lors desquelles en 8 ou 10 minutes, traduction comprise, le dossier est plié. C’est complètement bâclé.
Rozenn Guéguen, bénévole à la LDH 93 : Ensuite, lors des délibérations, le tribunal décide du sort d’une personne en quelques minutes seulement ! Ça crée un sentiment d’impuissance totale.
Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 : Et tout ça pour une majorité de délits non-violents. Les magistrats y vont à tout va sur les circonstances aggravantes : on a eu le cas d’un vol à l’étalage, le prévenu a été arrêté par le vigile qui s’est fait mal au doigt et ça, c’est qualifié de vol avec violence… Il y a une aggravation de tout ce qu’il se passe.
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : D’autant que tout dépend des magistrats à qui les prévenus ont à faire. On en a vu de toute sorte. Certains font leur travail correctement et avec humanité. D’autres ne sont pas du tout dans la compréhension et marmonnent. Il y a par exemple un président qui n’a pas dit une seule fois aux prévenus condamnés qu’ils ont le droit de faire appel de la décision, alors que c’est obligatoire, c’est la loi !
AJ : Beaucoup des affaires jugées en comparution immédiate concernent du trafic de stupéfiant. Quelles ont été vos impressions sur ces cas-là ?
Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 : Ce qui m’a frappé, c’est le rôle de la police en amont. Dans au moins deux cas de stupéfiants, les enquêtes de police mentionnaient que l’interpellation avait été faite à un endroit connu pour les trafics. Une personne était arrêté pour avoir vendu 2 grammes de crack, l’autre un peu de cannabis. Mais quel est le but de tout ça ? Ça protège qui ? Ça change quelque chose pour qui ? On s’intéresse uniquement aux petites mains, à du flagrant délit potentiel, sans mettre les moyens pour une enquête qui va au-delà.
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : Plusieurs fois nous avons pu constater que les enquêtes de police sont faites à la va-vite, bâclées ; par exemple des policiers, appelés par le TJ pour vérifier leurs déclarations, se sont abstenus de répondre ou de rappeler les magistrats et n’ont pas osé confirmer leurs accusations de violence de prévenus contre eux. Un avocat a précisé qu’il avait au moins deux clients victimes de coups reçus dans les véhicules de police.
AJ : Le recours à la procédure de comparution immédiate est en augmentation. Qu’en pensez-vous ?
Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 : C’est une justice au rabais pour des personnes qui sont racisées, précaires, isolées et qui parfois ont commis des petits délits non-violents. Cette procédure est en plus une forme de double peine bien sûr : la plupart des prévenus jugés en comparution immédiate n’ont pas de garantie de représentation, ce sont des personnes isolées, qui n’ont pas la nationalité française, qui n’ont parfois pas de famille en France… Et donc on n’aménagera pas leur peine en cas de prison ferme, on les enverra quasi systématiquement en prison.
AJ : Est-ce qu’une affaire vous est particulièrement restée en mémoire ?
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : J’ai le souvenir d’un groupe de jeunes envoyés à Fleury. Aucun n’avait de casier, c’était complètement hallucinant. Ils étaient cinq ou six et se sont tous retrouvés en détention, j’ai trouvé ça très dur. Certains avaient un boulot qu’ils vont peut-être perdre avec la prison. C’est vraiment une justice à l’arrache.
Rozenn Guéguen, bénévole à la LDH 93 : C’est une justice expéditive, une justice de classe. Et ça pose la question de la prison, parce que beaucoup d’entre eux ne veulent vraiment pas y retourner. Leur réaction devrait nous interroger sur les conditions de détention.
AJ : Envisagez-vous de poursuivre ce travail d’observation ?
Nathalie Frayssinet, bénévole à la LDH 93 : On se doit d’être témoin. Certains avocats, ainsi que des personnels du tribunal, dont des présidents de séance ou des interprètes, nous ont remerciés d’être là. Ils ont besoin que des gens assistent à ça pour ne pas être seuls face à l’injustice.
Catherine Choquet, coprésidente de la LDH 93 : D’autres sections de la LDH ont déjà fait des observations lors des comparutions immédiates, notamment à Toulouse. On va continuer avec des plannings, l’idéal étant de fonctionner par binôme pour mieux suivre et noter ce qui se passe, en se répartissant les tâches (déroulé exact, aspects « techniques » et propos tenus parce qu’on ne comprend pas tous la même chose).
Rozenn Guéguen, bénévole à la LDH 93 : Et la LDH s’en empare au niveau national. La LDH souhaite mettre en place des outils d’observation et d’analyse pour informer sur ces procédures de justice expéditive notamment par le projet NEMO. Ce projet a pour but d’inciter les sections à observer des comparutions immédiates, à parler des comparutions à travers une pièce de théâtre « Léviathan » et de pousser à une loi pour réduire le champ légal des comparutions immédiates.
Référence : AJU016c5
