Narcotrafic : la France est-elle prête à entendre les mises en garde du Mexique ?
La commission d’enquête du Sénat chargée d’évaluer l’impact du narcotrafic en France, vient de publier son rapport. Ses conclusions, particulièrement inquiétantes, ont été relativisées par certains commentateurs et notamment par la Procureure de la République de Paris, Laure Beccuau qui a affirmé quelques jours plus tard : « nous n’en sommes pas là ». Incontestablement, la France n’est pas (encore… ?) le Mexique : mais une délégation de magistrats mexicains en visite dans notre pays, tire la sonnette d’alarme…
Le rapport sénatorial décrit un marché qui atteint le chiffre de 3,5 milliards d’euros par an, des trafiquants « aussi rationnels et ingénieux que violents et corrupteurs », il évoque une « France submergée par le narcotrafic » et conclut sur « une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation ». Le rapport a été publié le 14 mai 2024, le jour même de l’évasion de Mohamed Amra au péage d’Incarville en Seine-Maritime, opération à l’occasion de laquelle deux agents pénitentiaires ont été abattus par les assaillants. Amra, un délinquant pluri-récidiviste, est impliqué dans plusieurs affaires criminelles liées au trafic de stupéfiants.
Police et criminels ne jouent pas à armes égales
Coïncidence extraordinaire, le même jour une délégation de magistrats mexicains était en visite en France. Il faut rappeler que dans ce pays, les violences liées au trafic de drogue ont été à l’origine, ces vingt dernières années, de presque un demi-million de morts. En apprenant l’attaque contre le fourgon transportant Mohamed Amra, un de ces magistrats a rappelé que cette évasion tragique démontrait, si cela était nécessaire, que forces de l’ordre et organisations criminelles « ne jouent pas à armes égales ».
Le parquet de Paris a publié le 16 mai 2024 un communiqué concernant la visite de cette délégation de magistrats mexicains. Voici le texte.
« La délégation mexicaine a passé un message d’alarme à l’attention de leurs homologues français, appelant à prendre des mesures en urgence avant de se trouver dans une situation aussi grave qu’au Mexique. Selon ces professionnels, la France est à un seuil pour prendre des mesures et ne pas commettre les mêmes erreurs [que leur pays].
« Les crimes organisés s’internationalisent, se globalisent. Nos systèmes pénaux garantissent les droits et libertés des personnes, mais il faudrait aussi organiser la manière de travailler contre le crime organisé ». « Au Mexique, il y a des menaces de mort, qui se traduisent par des actes, cela modifie la manière de travailler : il faut protéger les magistrats ». « La France peut encore proposer des modifications législatives et donner plus de pouvoir aux parquets, à la police et aux juges pour intervenir de manière efficace. Des peines plus fortes sont nécessaires ».
« Le Mexique a aussi des crimes en col blanc. Les criminels sont comme des chefs d’entreprise. Au Mexique, on commence à travailler sur la recherche et l’analyse financière, on analyse les permis d’importation, d’exportation, les échanges téléphoniques, pour savoir si l’argent des entreprises est légal ou pas. Un des principaux obstacles reste la réticence entre institutions à partager les informations, financières, et téléphoniques par exemple ». « Le niveau de violences est important au Mexique, et ce n’est pas un exemple. Malheureusement, il faut insister auprès des politiques pour investir et renforcer les institutions. Il faut des garde-fous pour assurer l’indépendance et la stabilité des institutions ». « Il faut prendre en compte la question des armes également. Il faut un contrôle des armes à un niveau européen. Au Mexique on a des munitions qui viennent de Roumanie, Russie et Bulgarie.
Enfin, les deux délégations ont proposé d’échanger des informations de manière informelle, afin de communiquer plus rapidement et bénéficier d’une meilleure visibilité et connaissance juridique de l’autre partie ».
En France, la tendance n’est pas au renforcement de l’action des forces de l’ordre et de la justice
Ces conseils seront-ils suivis ? S’apprêterait-on, en France, à « donner plus de pouvoir aux parquets, à la police et aux juges pour intervenir de manière efficace », comme le suggèrent en connaissance de cause ces magistrats mexicains engagés chaque jour dans une lutte mortelle contre le crime ? Je ne le pense pas… En France, une partie non négligeable de la population estime que les forces de l’ordre et la Justice sont, avant tout, au service d’un État oppresseur, et que la priorité n’est pas dans le renforcement de leurs pouvoirs mais, bien au contraire, dans la limitation de leur action. Tout fait donc penser que la dégradation particulièrement inquiétante des chiffres de la délinquance, constatable depuis trois ans, se poursuivra et s’accentuera à cause du maelström réglementaire qui vient d’emporter les services territoriaux de la Police Judiciaire chargés de traquer la criminalité organisée.
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Référence : AJU442152