Néonaticide : et si le temps était venu de changer la loi ?

Publié le 15/05/2023

Un néonaticide désigne le meurtre d’un nouveau-né le jour de sa naissance. La semaine dernière, la cour d’assises de la Gironde a condamné Alice pour homicide  volontaire sur mineur de moins de quinze ans à cinq ans de prison, dont quatre ans avec un sursis probatoire. L’une de ses avocates, Me Michèle Bauer, raconte la tragique histoire de cette jeune femme handicapée victime d’un déni de grossesse. Une affaire qui interroge : la loi est-elle adaptée ?

Néonaticide : et si le temps était venu de changer la loi ?
Photo : ©AdobeStock/PeterPunk

Il y a des clients que l’on n’oublie pas, que l’on n’oubliera pas et des procès que l’on peut refaire souvent, trop souvent.

Alice est de ces clients, si attendrissante, si fragile.

Son procès s’est tenu la semaine dernière durant trois jours devant la Cour d’Assises de la Gironde.

Agée de 22 ans au moment des faits,  elle a été adoptée par une femme qui avait une maladie génétique et ne voulait pas la transmettre à son enfant. Mais très vite, Alice a présenté des problèmes de vue, on lui a diagnostiqué une pathologie qui ne se guérit pas, elle finira aveugle. Elle est également en surpoids, ce qui lui vaut des moqueries. Au collège, elle a été victime de harcèlement. Son intelligence limitée lui a par ailleurs valu des échecs scolaires. Ses parents ont divorcé lorsqu’elle avait douze ans, elle a vécu ensuite chez sa mère.

Un jour, Alice a fugué pour se détacher de sa mère. Elle a commencé à multiplier les aventures amoureuses pour oublier les deux trahisons dont elle avait été victime. Décidée à ne plus s’attacher, elle enchaîne les relations sexuelles sans trop savoir avec qui et quand, elle se perd. Alice rentre chez sa mère, mais continue de voir des hommes en cachette.

Une simple gastroentérite ?

En décembre 2018, malgré tous ses handicaps, elle décide de ne plus dépendre de sa mère avec qui elle a une relation fusionnelle, trop fusionnelle. Elle veut prendre son envol.

Alice est volontaire, elle choisit de suivre un stage en ESAT (Établissement ou service d’aide par le travail). Un foyer pour aveugles et déficients visuels lui permet d’être hébergée à Bordeaux.

Le dimanche 9 décembre 2018, elle ne se sent pas bien du tout, elle a très mal au ventre, mais elle quitte néanmoins sa maison pour se rendre à son stage. C’est une amie de sa mère qui l’héberge.

Le lendemain, elle consulte un médecin qu’elle connait déjà ; il diagnostique des problèmes digestifs, sûrement une gastroentérite, et lui prescrit des médicaments.

Elle est rassurée, c’est un professionnel, si elle avait eu un grave problème, il l’aurait vu. Alice peut commencer son stage le mardi dans la sérénité.

Le 11 décembre, elle s’installe à l’UNADEV (Union nationale des aveugles), chambre 11 au 5ème étage. Il n’y a aucun autre résident, elle est seule au sein de ce foyer, seule pour affronter cette terrifiante nuit qui l’attend.

L’intendante qui a accueilli Alice a constaté qu’elle n’était pas très bien et demandé au gardien de passer la voir.  Ce qu’il fait en début de soirée, vers 20h ; il lui trouve mauvaise mine.

Alice n’est toujours pas bien, ces fichus maux de ventre ne se calment pas. Impossible de dormir tant  la douleur est intense. Elle a beau prendre ses médicaments, ils ne lui font aucun effet.

Alice pense qu’elle est en train de mourir

Sa nuit d’enfer ne fait que commencer.

Elle ne cesse de faire des allers et venues de la chambre aux toilettes situées dans la salle de bains,  et des toilettes à la chambre. Elle saigne beaucoup, il y a du sang partout.

Alice panique, elle ne comprend pas ce qui lui arrive, elle s’efforce d’évacuer des selles, mais cela ne vient pas, elle pousse et n’arrive pas.

La lumière dans la salle de bains est peu importante, ce qui aggrave son handicap, elle est presque aveugle la nuit.

Tout ce sang qui sort d’elle, Alice pense qu’elle est en train de mourir.

Elle est sidérée.

Finalement, elle expulse ce qu’elle croit être des selles, mais elle n’est pas soulagée, ça ne va pas mieux, elle cherche de l’aide, une des femmes de ménage du foyer la découvre au premier étage, près de la fontaine d’eau et lui dit de remonter dans sa chambre. Il est 5h50 du matin lorsqu’une autre femme de ménage la trouve assise sur son lit et lui demande si elle a fait une fausse couche à la vue de tout ce sang et de cette odeur.

Les pompiers sont appelés. Dans la salle de bain, ils découvrent un placenta qui pend des toilettes, en s’approchant de la cuvette, ils distinguent une forme ovale dans une eau pleine de sang, de papier et de serviettes hygiéniques. C’est un nouveau-né.

Après une garde à vue, Alice est placée en détention provisoire d’abord dans un Hôpital psychiatrique puis à la Maison d’arrêt, elle y restera durant 6 mois.

Cinq ans après les faits, elle comparaît devant la Cour d’Assises de la Gironde pour néonaticide.

Alice est terrifiée à l’idée de retourner en détention. Ses six mois en maison d’arrêt se sont très mal passé, la prison broie les faibles.

Déni de grossesse total 

Lors du premier jour d’audience, l’expert psychiatre auditionné conclut à une altération du discernement au moment des faits. Alice était sidérée. La sidération, explique-t-il, c’est une dissociation, le cerveau se bloque. Alice a fait un déni de grossesse total, il n’y a aucun doute. Ce déni s’est poursuivi au-delà de l’accouchement. Seulement c’est compliqué à comprendre. Comment une femme peut-elle être enceinte physiquement et ne pas l’être psychiquement ? Il est encore plus difficile d’accepter le déni d’accouchement, de naissance et le déni d’altérité.

Alice comparaît pour homicide volontaire, c’est une infraction intentionnelle. Pour retenir ce genre d’infraction, il faut démontrer l’existence d’une intention, c’est-à-dire ici la volonté de donner la mort.

Alice a-t-elle eu la volonté de tuer ce nouveau-né qu’elle n’a pas pu prénommer et qui n’existait pas pour elle ?

Cette absence d’intention a dû gêner la juge d’instruction. La cause première de la mort de Paul, ainsi l’a prénommé la mère d’Alice, est la noyade. Aucune trace n’a été retrouvé sur son corps, pas de violence, il était coincé, la hanche luxée.

Une expertise surréaliste de plomberie 

Un expert en bâtiment auprès de la Cour d’appel a été chargé d’une expertise surréaliste avec un poupon afin de déterminer comment ce nouveau-né a pu se coincer. Conclusion de l’expert : le poupon n’a pu se coincer dans la cuvette que si on lui a appuyé sur la tête, le geste homicide est donc caractérisé par une expertise de plomberie.

Et l’intention, la volonté, comment la caractériser alors que le déni de grossesse, d’accouchement et de naissance a été reconnu par l’expert psychiatre ?

L’avocate générale n’a pas développé cette question, elle a considéré qu’Alice ne voudrait pas se souvenir de ce geste et a insisté sur l’expertise. Elle a reconnu que sur le déni de grossesse, il n’y avait pas de débat, Alice n’est pas une manipulatrice selon l’avocate générale. Cependant, elle ne peut pas avoir fait un déni de naissance. Mais alors, elle est manipulatrice ou elle ne l’est pas ?

Nous avons plaidé l’acquittement, avec ma consœur Sophie Gaucherot.

L’élément intentionnel n’existait pas, comme ce nouveau-né pour Alice.

La Cour d’Assises de la Gironde en a décidé autrement. Elle a jugé Alice coupable et l’a condamnée à cinq ans d’emprisonnement dont quatre ans avec un sursis probatoire.

Elle encourait la perpétuité ou au minimum trente ans si l’altération du discernement était retenue par les jurés.

La législation française est extrêmement sévère à l’égard des néonaticides alors que d’autres législations européennes sont beaucoup plus clémentes. Dans certains pays, une infraction particulière a été créé et la peine encourue est ramenée à cinq ans.

Il serait temps en France de s’interroger sur cette question de société, sans banaliser cet acte, et  d’envisager de revoir la législation. Ces femmes sont le plus souvent en effet des victimes de leur psychisme, mais aussi de leur précarité comme l’a relevé la sociologue Julie Ancian dans son livre « Les violences inaudibles ». La moyenne des peines prononcées en France serait de neuf ans selon elle, ce n’est qu’une moyenne ce qui signifie que certaines femmes sont condamnées à plus de neuf ans de prison.

Pourquoi les jurés n’ont-ils pas retenu l’absence d’intention ? Parce qu’ils se refusaient à acquitter une femme qui a tué son nouveau-né ? Pour éviter de faire « jurisprudence » et de donner un blanc-seing aux femmes qui voudraient se débarrasser de leur enfant à la naissance ? Mais le cas d’Alice est suffisamment exceptionnel pour exclure tout risque de ce type. Sans doute faut-il considérer que la morale est sauve.

Alice est soulagée, elle accepte le verdict.  Elle a retrouvé le sourire et c’est bien là l’essentiel, le plus important, le plus satisfaisant pour un avocat.

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