Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : Onze ans requis contre la petite amie du terroriste
Mardi 20 février, le parquet a requis des peines comprises entre douze mois et onze ans contre les sept accusés dans le procès des attentats de Trèbes et de Carcassonne qui ont fait quatre morts le 23 mars 2018.
Comment leur dire ? Comment dire aux familles des innocents assassinés ce 23 mars 2018, à Julie, l’otage, traumatisée à vie, à Renato Silva qui vit avec une balle dans la tête, aux collègues du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame présents dans la salle, comment leur dire que le seul qui méritait la perpétuité est mort ce jour-là et que les autres n’ont pas à payer à sa place mais simplement pour ce qu’ils ont fait ? C’est à cette difficile question que doit le plus souvent répondre la justice dans ce type de procès. Morts les terroristes de Charlie et de l’hyper cacher en janvier 2015, mort celui qui a assassiné deux fonctionnaires de police le 13 juin 2016 à Magnanville, mort l’auteur de l’attentat de Nice le 13 juillet, morts les djihadistes qui ont massacré le père Hamel en pleine messe à Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet…
Le fantôme de Radouane Lakdim
Toutefois, le problème se pose avec une acuité particulière dans le dossier des attentats de Trèbes et Carcassonne. Le parquet s’apprête en effet, ce mardi 20 février, à prendre des réquisitions de requalification à l’encontre de trois des sept accusés pour les exclure du périmètre terroriste. Cela signifie qu’il estime qu’ils n’ont pas participé à l’attentat et qu’en conséquence ils seront moins lourdement punis. L’avocate générale Alexa Dubourg qui prend la parole en premier s’attaque en guise d’introduction à ce réquisitoire qui va durer six heures au fantôme qui hante le prétoire depuis cinq semaines : Radouane Lakdim, celui par qui tout est arrivé. Les quatre morts, c’est lui. Les nombreux blessés et traumatisés, c’est lui. La souffrance des survivants, c’est lui. Les six hommes et la femme jugés depuis cinq semaines, c’est encore lui. « En guise de combat, il a lâchement et par surprise… » scande la magistrate en déroulant les faits dont la cour est saisie. Et la salle soudain replonge dans l’horreur des attentats. « Sur sa route de lâcheté et de déshonneur il va croiser le courage et la bravoure du colonel Beltrame et même là il a exigé qu’il soit désarmé » poursuit-elle. Elle évoque les survivants « qui vivront toute leur vie à côté de leur vie ». C’est l’une des conséquences terribles du terrorisme, on ne s’en relève jamais totalement. Les villes elles-mêmes sont marquées à jamais. « On pensait qu’on était à l’abri, on n’avait jamais imaginé que ça pourrait arriver » sont venues dire à la barre les victimes. Carcassonne, dont le nom chante l’accent du midi. Trèbes, 6 000 habitants. Mais c’est précisément l’essence du terrorisme que de « frapper n’importe où, n’importe quand pour qu’aucun d’entre nous ne se sente à l’abri ». Que reste-t-il ? Une réalité judiciaire qui ne pourra pas complètement répondre aux attentes, prévient Alexa Dubourg.
« Juger les accusés ne veut pas dire leur faire porter le poids de l’absence »
« On a voulu offrir à n’importe quel prix un procès aux victimes » objecte la défense, elle balaie l’argument. « C’est notre travail de remonter le plus loin possible, c’est pour ça que nous disposons de compétences spécialisées et qu’on nous donne des moyens. Cela ne veut pas dire trouver des coupables là où il n’y en a pas. Ici personne n’est arrivé par hasard dans le dossier » précise-t-elle. Mais en effet, admet-elle, c’est un « procès fracturé ». L’expression est empruntée à la plaidoirie de Me Henri de Beauregard, l’avocat de Julie. « Nous sommes en désaccord avec l’analyse des juges d’instruction et ça va nous conduire à demander des requalifications. Juger les accusés ne veut pas dire leur faire porter le poids de l’absence ». Au terme de cette longue introduction, elle passe la parole à sa collègue Aurélie Valente. À elle revient le soin d’exposer les responsabilités de chacun dans cette affaire. Quatre accusés demeurent dans le champ de la prévention terroriste, tandis que trois en sortent. Elle commence par les premiers.
À Ozanam, tout le monde savait que R. Lakdim était radicalisé
Samir Manaa (né en 1995 à Carcassonne), c’est l’ami de Radouane Lakdim, celui qui l’a emmené un peu avant l’attentat dans l’armurerie où il a acheté le poignard à lame de 15 centimètres, destiné à dépecer les sangliers, avec lequel il a égorgé Arnaud Beltrame. En quarante ans de carrière, le légiste n’avait jamais vu une telle blessure. Il est poursuivi également pour détention d’armes dissimulées chez son frère Sofiane. Là-dessus pas de difficulté. En revanche pour le condamner pour association de malfaiteur en lien avec une entreprise terroriste, il faut démontrer non pas qu’il connaissait le projet de Radouane Lakdim, ça, c’est la complicité, mais qu’il avait conscience que son ami était susceptible de commettre un attentat. Il assure que non. Malheureusement, de nombreux témoins, bien moins proches de Radouane Lakdim, sont venus expliquer que le quartier d’Ozanam était un « petit village », que tout le monde se connaissait et que « tout le monde savait », pour Lakdim. Il s’était mis à porter la barbe et la djellaba, il ne faisait pas mystère de sa haine des policiers et des homosexuels, de son admiration pour le djihad, de sa fascination pour les armes, tant auprès de ses relations que sur les réseaux sociaux. Dès lors, Samir Manaa ne pouvait l’ignorer. Le parquet estime que les faits d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste sont constitués.
Un couple partageant une idéologie commune
L’autre personne dans ce procès qui n’a cessé de nier et qui pourtant ne pouvait pas ne pas savoir, c’est sa petite amie de l’époque, Marine Pequignot (née en 1999 à Carcassonne). À l’audience, le personnage de la jeune fille sous emprise, radicalisée par amour et sans avoir vraiment pris conscience de la gravité de ses actes semblait convaincant (notre conte-rendu ici). En outre, depuis sa sortie de détention provisoire en 2020, elle affirme avoir renoncé à son ancienne idéologie et a refait sa vie à Marseille. Mais le parquet ne voit pas du tout les choses de cet œil-là ; écartant le portrait d’une amoureuse sous emprise, il lui substitue l’image nettement moins flatteuse d’un couple radicalisé prêt à passer à l’acte. Contrairement à Samir Manaa, Marine Pequignot adhère aux actions de l’État islamique et ça change tout. « Ils ont eu un projet commun au service d’un groupement dépassant leur couple » analyse Aurélie Valente, pour qui cette histoire n’est pas sans rappeler le couple que formait Amedy Coulibaly, l’auteur de l’assassinat de Clarissa Jean-Philippe à Montrouge et de l’attentat de l’hyper cacher avec sa compagne Hayat Boumedienne. Si elle a répété inlassablement à l’audience qu’elle n’avait « pas fait le lien » entre les traits inquiétants de Lakdim, comme elle l’appelle aujourd’hui, et un possible passage à l’acte, c’est qu’elle dissimulait à tous qui était son petit ami pour le protéger. « Cette proximité et leur partage d’une idéologie commune excluent qu’elle ait été tenue à l’écart » assène l’avocate générale. D’ailleurs, Marine Pequignot à cette époque prépare son propre projet de départ en Syrie. Sur son application Telegram (dont l’usage est recommandé par l’EI), elle apparaît en Niqab, et échange avec plusieurs combattants en Syrie. Ses messages témoignent du fait qu’elle les soutient à 100 %, qu’elle veut rejoindre la zone avec une sœur, désire se marier mais avec un homme célibataire, hors de question de la partager, elle désigne même le groupe contre la France qu’elle veut intégrer. Dans sa bouche à l’audience, tout ceci n’était qu’un fantasme d’adolescente pour plaire à son amoureux. Mais en quoi plaît-elle à Radouane Lakdim quand elle consulte internet seule la nuit et discute avec des combattants en Syrie, à la recherche d’un époux ? « Elle ne veut pas être une femme de djihadiste mais une djihadiste ! » conclut l’avocate générale. L’association de malfaiteurs à visée terroriste est constituée. Elle et Samir encourent trente ans de réclusion.
Surexciter l’esprit de son interlocuteur pour le pousser à l’action
Il est bientôt 16 heures, le parquet requiert déjà depuis deux et demie, et se penche désormais sur Sofiane Boudebouza (né en 1998 à Vitrolles), l’influenceur. Lui est poursuivi pour délit de provocation directe via un moyen de communication en ligne. On lui reproche une conversation avec Radouane Lakdim – qu’il ne connaît pas – sur les réseaux sociaux, plusieurs mois avant l’attentat. Celui-ci venait de publier un document intitulé « Recommandations du prophète en temps de guerre ». Sofiane Boudebouza pointe les erreurs. Elles sont au nombre de trois et font froid dans le dos : contrairement à ce qu’affirme Radouane Lakdim dans son post, on peut détruire les lieux de culte non-musulmans, on peut tuer les moines et on peut tuer les fuyards. Pour le parquet, cette utilisation de textes anciens, caractéristique du djihadisme, a pour but de « surexciter l’esprit de son interlocuteur afin de le pousser à l’action« . Sofiane Boudebouza le sait d’autant mieux qu’il a déjà été condamné lorsqu’il était mineur pour un départ en Syrie, précisément provoqué par ce type de propos. Le parquet estime qu’il est coupable de provocation directe en état de récidive légale.
« Tout ça a été tu, et Radouane Lakdim tua »
Reste Baghdad Addaoui (né en 1989 au Maroc), alias « le taiseux ». C’est celui qu’on a décidé d’aller chercher par la peau du dos lors de la première audience car il avait choisi de profiter de son contrôle judiciaire et de ses problèmes mentaux réels ou supposés pour sécher son procès. Par la suite, il a refusé de s’exprimer. Il est pourtant celui qui risque le moins : on lui reproche juste de n’avoir pas dénoncé Radouane Lakdim. De tous les accusés, c’est le plus formé religieusement, celui qui parle arabe, donc le plus à même de mesure d’une radicalisation. « Il me disait tout le temps qu’il avait un projet », expliquera-t-il en garde à vue. A-t-il informé les autorités ? Non. Et ce silence a été délibéré, souligne le parquet. « Je ne vais pas faire le bon citoyen et parler à la police », confiera-t-il à ceux qui l’interrogent, ou bien encore « je ne partage pas leurs idées, mais en même temps je ne vais pas leur cracher dessus ». S’il en avait parlé, une enquête aurait été sous doute ouverte, une perquisition diligentée, on aurait trouvé les armes… Mais « tout cela a été tu et Radouane Lakdim tua » conclut la magistrate. Contre lui aussi le parquet estime que les charges sont constituées.
« Il est le plus à distance de l’attentat »
Il est temps de passer aux « droit commun », autrement dit ceux dont on estime au terme des débats qu’ils ne peuvent pas être condamnés pour terrorisme, mais méritent d’être sanctionnés pour les infractions révélées au cours de l’enquête et dont la cour est saisie. Deux d’entre eux sont logés à la même enseigne, ce sont « les boss », autrement dit les petits caïds de quartier. Reda El Yaakoubi, (né en 1989 à Carcassonne) comparait pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et transport et détention d’armes. Ce dernier point ne soulève pas de discussion, il est désigné comme étant celui qui a fourni les armes cachées chez Sofiane Manaa par son frère Samir. En revanche, ce n’est pas parce qu’il a accepté un terroriste dans son trafic de stupéfiants, que celui-ci est devenu terroriste, estime le parquet. Par ailleurs, rien ne démontre que ce groupe délictueux ait fourni les moyens matériels de commettre l’attentat, ce d’autant plus que celui-ci a nécessité très peu d’investissement (un couteau, une arme de poing, quelques bombes artisanales et une voiture, volée à une de ses victimes). Attentat au demeurant ayant nécessité très peu d’investissement. Mais il y a une difficulté juridique : la cour spécialement constituée peut-elle juger une infraction de droit commun ? Oui estime le parquet, elle est saisie des faits, il faut juste les requalifier. Le même raisonnement est appliqué à Ahmed Arfaoui (né en 1995 à Carcassonne), le beau-frère de Radouane Lakdim et le « boss » d’un autre quartier. Il reste enfin à traiter le cas de Sofiane Manaa, dans la maison duquel on a retrouvé les armes cachées par son frère ainsi qu’un bonnet rempli de munitions, portant l’ADN de Radouane Lakdim. « Il est le plus à distance de l’attentat. L’empreinte génétique de Lakdim sur le bonnet a créé un lien qui devait être interrogé » explique Aurélie Valente. Cela ne suffit pas à caractériser l’intention terroriste en l’absence d’autres éléments. En revanche la détention d’armes est acquise.
« Nous ne répondrons pas à l’injustice par l’injustice »
Au terme de six heures de réquisitoire, il est temps de conclure en évoquant les peines. De nouveau le parquet prévient « Lorsque nous avons entendu à cette barre que les parties civiles souhaitaient le maximum, nous le comprenons et nous devons aussi entendre cette colère sourde » mais « nous ne répondrons pas à la vengeance par la vengeance, à l’injustice par l’injustice, c’est cette société modérée que nous défendons ». La fixation des peines s’appuie pour chaque accusé sur la gravité des faits reprochés et la personnalité.
Contre Baghdad Addaoui, le taiseux, isolé et sans activité, qui a commis deux fois des actes inquiétants, ce sera 4 ans (sur 5 encourus) dont 30 mois avec sursis probatoire de trois ans. Le parquet souhaite son maintien en détention, car une sortie sèche serait « risquée » en raison de son profil. Sofiane Boudebouza l’influenceur radicalisé en récidive risque 7 ans, le parquet en requiert 6. Samir Manaa, l’ami de tous les jours, en détention provisoire depuis 5 ans et demi doit y rester, estime le parquet qui requiert dix ans de réclusion. Marine Pequignot, la petite amie préférée, est aussi celle contre laquelle pèsent les charges les plus lourdes. « On pourrait demander 20 ans, mais c’est une jeune fille jamais condamnée. Elle a évolué positivement, mais elle doit continuer son travail d’introspection » estime le parquet qui parle de vertige face à certaines de ses réponses à l’audience et constate avec regret le fait qu’elle se sent innocente. Le parquet requiert une peine de 11 ans, ce qui implique sa réincarcération. Quant aux « droit commun » de cette affaire, Sofiane Manaa écope de 12 mois, Reda El Yaakoubi, le boss d’Ozanam de 6 ans et Ahmed Arfaoui de 8 ans avec maintien en détention. Toutes les peines sont assorties de différentes mesures complémentaires : interdiction temporaire de paraître dans l’Aude, d’entrer en contact avec les coaccusés et des combattants, interdiction de port d’armes, obligation de suivi etc.
Le verdict est attendu jeudi soir ou vendredi matin.
Retrouvez nos chroniques du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne ici.
Comment l’omerta des quartiers protège les terroristes
Cette affaire a mis en lumière les ravages que pouvait occasionner l’omerta dans les « quartiers ». Au cœur du dossier, Ozanam, un petit « village » dans Carcassonne, anciennement ouvrier, peu à peu miné par le trafic de drogue. Ironie de l’histoire, Frédéric Ozanam (1813 – 1853) était un penseur catholique social béatifié en 1997 qui a travaillé à concilier science et christianisme. Dans leur réquisitoire, les magistrates ont pointé ces lieux où les discours anti-français sont banalisés, autant que la détestation de la police et des homosexuels, où de l’aveu même de leurs habitants lors du procès, « tout le monde possède une arme » et où le trafic de stupéfiants substitue ses règles à celles de la République. Pour le parquet : « le dossier met en exergue à quel point la loi du silence dans ces quartiers a nécessairement joué un rôle dans l’incapacité des services spécialisés de détecter le passage à l’acte de Radouane Lakdim pourtant surveillé ». Et si le trafic de stupéfiants ne doit pas être confondu avec le terrorisme, cette délinquance a permis à Radouane Lakdim de se dissimuler. « Beaucoup ont vu, mais la radicalisation a été banalisée par certains et tue par tous. L’effort de vérité n’a pas été mené, on ne parle pas à la police, ça ne se fait pas » a relevé Aurélie Valente lors de ses réquisitions, précisant « le discours radical de Lakdim a été banalisé comme le trafic de stupéfiants et d’armes, et comme les insultes aux forces de l’ordre. On n’a pas dénoncé par habitude et pour ne pas déranger les trafics. On ne partage pas l’idéologie mais on tolère et on se tait au nom de la tranquillité du quartier et de la protection des trafics ».
Référence : AJU422539