Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : un accusé manque à l’appel

Publié le 22/01/2024

Le procès des attentats de Trèbes et Carcassonne a débuté ce lundi matin pour une durée de cinq semaines. Sept personnes comparaissent pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste criminelle et non dénonciation de crime. L’auteur, Redouane Lakdim, a été abattu le jour des attentats. Ce sont les membres de son entourage que l’on juge. Un mandat d’amener a été délivré contre l’un des accusés absent à l’ouverture des débats. 

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : @P. Cluzeau)

Les attentats de Trèbes et Carcassonne, dont le procès a débuté ce lundi 22 janvier dans la salle des grands procès du Palais de justice de la Cité, sont restés dans les mémoires, mais pas sous ce nom. C’est un regard très bleu et un patronyme qui ont marqué à tout jamais les esprits : ceux du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame. Il est l’une des quatre victimes assassinées le 23 mars 2018 par Redouane Lakdim, 26 ans, connu aussi sous les sobriquets de « Grenouille » et « kalach ».

La course meurtrière fait quatre morts

Ce matin de printemps, « kalach » se rend d’abord vers 9 heures sur un parking de Carcassonne réputé pour être un lieu de rencontre gay ; il veut tuer des homosexuels. Il tire sur deux hommes. L’une des victimes meurt sur le coup, l’autre est blessée. Redouane Lakdim poursuit sa course meurtrière et croise un groupe de CRS en civil qui fait son jogging. Les forces de l’ordre, il ne les aime pas non plus : il rêvait d’intégrer l’armée, elle n’a pas voulu de lui.  Trop incontrôlable. Là encore il tire et touche l’un des coureurs au thorax. Il est 10 h 33. Redouane Lakdim se rend ensuite au Super U de Trèbes, pénètre dans le supermarché, abat un salarié et un client avant de se retrancher dans les lieux, avec une caissière en otage. C’est elle que le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame va sauver en proposant au terroriste de la remplacer. Gravement blessé par arme blanche et par balle, le gendarme mourra quelques heures plus tard à l’hôpital. Le terroriste est abattu vers 14 h 30. Les attentats, revendiqués par l’EI ont fait quatre morts et plusieurs blessés. Sept personnes, dont une femme, sont appelées à comparaître durant cinq semaines. Deux accusés sont détenus, les cinq autres libres. L’auteur des faits ayant été abattu, il s’agit comme souvent dans les procès terroristes, de membres de son entourage proches, poursuivis pour participation à une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste criminelle pour six d’entre eux, non-dénonciation de crime (délit) pour le septième.

Un accusé manque à l’appel

Le premier jour d’un procès d’assises, il ne se passe rien d’autre que d’arides formalités : vérification de l’identité des accusés, discussions de procédure, appel des témoins et lecture par le président du rapport, autrement dit du récit des faits objet du procès et des charges contre les accusés. Souvent les discussions portent sur des détails d’organisation ou des points techniques accessibles aux seuls initiés, mais ici on a un problème de taille : l’un des accusés comparaissant libre manque à l’appel. Il s’agit de Baghdad Haddaoui, poursuivi pour non-dénonciation de crime terroriste. Interrogé par le président de la cour, Laurent Raviot, son avocat avoue son impuissance : il ne sait pas si son client habite toujours à l’adresse où il a été cité, ni s’il a l’intention de se présenter à son procès.

Le ministère public n’a pas l’air d’apprécier du tout. L’une des avocates générales rappelle qu’il s’est illustré tout au long de la procédure par son irrespect de la justice, ce qui lui a valu deux placements en détention provisoire dans l’attente du procès. Certes, Baghdad Haddaoui a des difficultés psychologiques, sociales et souffre d’addictions mais, souligne-t-elle, l’expertise n’a pas conclu à l’abolition ou l’altération de son discernement, ni à son impossibilité de se présenter à cette audience. Que faire ? Elle rappelle les trois options qui s’offrent à la cour. D’abord passer outre et le juger par défaut. « Nous excluons cette hypothèse, il a été très bavard dans la presse et sur les réseaux sociaux, il se présentait comme ami de l’auteur, donc il est particulièrement inconcevable de ne pas tout mettre en œuvre pour qu’il vienne » estime la magistrate. La cour peut aussi décider d’une disjonction des faits. En clair, on reporterait à un procès ultérieur le jugement des actes qui lui sont reprochés. Mauvaise solution, estime le parquet qui invoque la « nécessité certaine » d’aborder les faits qui lui sont reprochés à ce procès-là et pas plus tard.

« Ces contraintes matérielles ne doivent pas prendre le pas sur l’intérêt supérieur de la justice »

Reste une dernière solution, celle de l’article 320-1 du Code de procédure pénale qui autorise le président à ordonner que l’accusé soit amené par la force publique. « Nous en avons conscience, cette option rend le début de cette audience plus complexe, néanmoins ces contraintes matérielles ne doivent pas prendre le pas sur l’intérêt supérieur de la justice. Des services spécialisés peuvent intervenir dans la journée » précise l’avocate générale. Pour l’avocat de Baghdad Haddaoui, il n’y a évidemment pas de bonne solution. Après avoir rappelé que son client souffrait de sérieuses difficultés dont des difficultés psychiatriques, et qu’il ne lui était reproché qu’un délit,  il a finalement déclaré que parmi les trois « potions amères » proposées, il choisissait la disjonction. Après une courte suspension, la cour a suivi le parquet : Baghdad Haddaoui sera amené de force devant la cour.

Ce point étant réglé, la suite de la matinée a été consacrée à l’enregistrement des parties civiles, avec la traditionnelle querelle juridique sur le sort des constitutions de partie civile de personnes morales dans les procès terroristes. Me Jean Reinhart, qui représente le Super U, a rappelé que la constitution du Petit Cambodge qu’il représentait au procès des attentats du 13 novembre (surnommé V13) a été admise, de même que celle de la société exploitant le Bataclan. Le parquet lui oppose l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 mars 2019 qui a confirmé le rejet de constitution de partie civile de la ville de Nice dans l’attentat du 14 juillet.

En voici la synthèse :

« Les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’une des infractions visées à la poursuite. Est irrecevable à se constituer partie civile la commune qui invoque un préjudice matériel de même qu’un préjudice résultant de l’atteinte à son image à la suite de la réalisation d’un attentat sur son territoire dès lors que, d’une part, l’information résultant de ces faits a été ouverte des seuls chefs d’infractions à la législation sur les armes, de crimes contre la vie ou l’intégrité des personnes et de participation à un groupement en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes, toutes infractions en relation avec une entreprise terroriste, cette dernière n’étant susceptible d’avoir porté directement atteinte, au-delà des victimes personnes physiques, qu’aux intérêts de la nation, d’autre part, aucun des préjudices allégués ne découle de l’ensemble des éléments constitutifs desdites infractions. »

Le point n’a pas été tranché à ce stade du procès, Me Reinhart a indiqué qu’il y reviendrait.

Extension du domaine de la visioconférence

Puis la Cour a procédé à l’appel des témoins. Modernité oblige, outre la vérification de la présence effective des témoins – certains ne répondent pas aux convocations –, des enquêteurs et des experts, et la négociation d’éventuels changements de date et d’heure en fonction des agendas de chacun, se pose désormais la question de savoir si les personnes seront entendues à l’audience ou en visioconférence. Le parquet et les parties civiles ont ainsi réclamé par exemple que les compagnes du terroriste fassent le déplacement à Paris plutôt que de témoigner depuis Carcassonne. Pour éviter qu’elles n’entrent en contact, mais aussi et surtout parce que le témoignage dans la salle est toujours plus pertinent que par écran interposé. Les proches des accusés dans les affaires de terrorisme répugnent souvent à venir s’exprimer à la barre. Certains ne veulent plus entendre parler des auteurs des faits, d’autres ont peur d’être assimilés à celui ou celle que l’on juge.

Pour les policiers qui optent de plus en plus aussi pour la visioconférence, c’est une question de sécurité, surtout dans les procès terroristes. On les voit apparaître le visage flouté, la voix modifiée et sous un matricule dissimulant leur identité, et parfois même on n’aperçoit qu’un écran entièrement flou. Et puis il y a les experts (médecins, spécialistes de balistique etc.…). Eux n’éprouvent pas de crainte particulière, ce qui les motive c’est le gain de temps et l’économie d’argent. Très sollicités, mal payés ils sont de moins en moins nombreux à accepter les missions que leur confie la justice. Alors on leur accorde sans discuter le confort de ne pas se déplacer. Cette fois le parquet tique : « oui Carcassonne c’est loin et mal desservi, convient l’une des avocates générales, en revanche les experts qui vont intervenir en visioconférence depuis Meaux ou Fontainebleau pourraient faire quelques dizaines de kilomètres de plus pour se présenter à l’audience en personne ! » Le président de la Cour est d’accord avec le parquet, mais immédiatement il précise « on essaie d’être arrangeant, sinon on n’en aura plus ».  Et d’insister : « Bientôt on n’aura plus d’experts ». Ainsi l’écran gagne-t-il toujours plus de terrain dans les prétoires, bien que tout le monde s’accorde à le regretter.

Le procès, prévu pour durer cinq semaines, s’achèvera en principe le 23 février. Il se tient tous les jours à partir de 9h30. Les accusés encourent trente ans de réclusion criminelle.

 

La salle des grands procès bientôt démontée

Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : un accusé manque à l'appel
Salle des grands procès du palais de justice de Paris à la rentrée solennelle de la cour d’appel de Paris, lundi 15 janvier 2024 (Photo : ©P. Cabaret)

Construite dans la salle des pas perdus du palais de justice de Paris pour accueillir le procès des attentats du 13 novembre 2015, la salle des grands procès a connu ensuite de nombreuses affaires, dont l’an dernier le Mediator ou encore l’évasion de Redoine Faid. Cette année, s’y dérouleront le procès de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg, l’appel du procès des attentats de Nice et enfin le procès de l’assassinat de Samuel Paty.  Puis la salle sera démontée courant 2025 pour permettre la poursuite des travaux de réhabilitation du palais. Un projet de salle pérenne est à l’étude à la Chancellerie pour la remplacer, sur l’ile de la Cité. Mais aucune date de livraison n’est encore connue, ce qui inquiète les chefs de juridiction (notre article ici).

 

 

 

 

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