Refus d’obtempérer : des techniques non létales existent !

Publié le 12/02/2024 à 9h00

Mais pourquoi ne tirent-ils pas dans les pneus ? s’interrogent régulièrement les internautes lors d’un refus d’obtempérer qui se termine mal. Parce que ça ne sert à rien. Même un tir dans le moteur ne garantit pas l’immobilisation du véhicule, explique le commandant honoraire Yves Saint-Martin. Mais il existe des techniques non létales. Voici lesquelles.  

Refus d’obtempérer : des techniques non létales existent !
Photo : ©AdobeStock/TrickyShark

L’interception de véhicules après refus d’obtempérer par les forces de l’ordre a toujours été un problème très difficile à gérer dans nos démocraties. L’application de l’article L 435-1 quatrième alinéa du Code de la sécurité intérieure de février 2017 a fait couler beaucoup d’encre et parfois même du sang. Alors, comment équilibrer la protection des intervenants, celle des délinquants interceptés et l’intérêt de la société ?

Pour mieux analyser la réalité des choses, il faut envisager d’abord les possibilités d’arrêter un mobile à énergie cinétique redoutable, quels que soient les moyens matériels disponibles.

Étant précisé que les forces de l’ordre sont dotées d’armes diverses à n’utiliser que dans le respect des lois, il est bon de rappeler quelques notions de balistique initiale permettant de comparer les énergies développées par les matériels en dotation face à celles des matériels fréquemment utilisés par les malfaiteurs ainsi que celle d’un véhicule de 1 400 kg (poids moyen en France) fonçant à seulement 20 km/h sur les intervenants.

 

MATERIEL CALIBRE ENERGIE V0

en joules

ENERGIE V0

En kgf -m

Pistolet canon long de 10 cm 9 mm parabellum 450 joules 46 kgf m
Pistolet-Mitrailleur avec

Canon de 25 cm

9 mm parabellum 700 joules 71 kgf m
Fusil d’assaut HK g36 K Canon de 25 cm 5,56 mm OTAN 1500 joules 153 kgf m
Kalachnikov AK 74 5,45 russe 1400 joules 143 kgf m
Kalachnikov AK 47 7,62 russe 2300 joules 235 kgf m
Fusil de chasse

canon de 50 cm

 

12 chasse (18,5 mm)

75 joules balle caoutchouc

3600 joules balle pleine type Brenneke

8 kgf m

 

367 kgf m

Véhicule de 1 400 kg                 // 21600 joules

à 20 km/h

2204 kgf-m

à  20km/h

Ces quelques chiffres illustrent le risque des intervenants face à un véhicule refusant d’obtempérer.

Par ailleurs, à titre de rapide information et de manière simplifiée, pour les non spécialistes :

*Les portées maximales des divers projectiles – souvent dénommées à tort « à balle perdue » car même en fin de trajectoire, elles sont dangereuses – commencent à 60 mètres pour la balle ronde caoutchouc du fusil de chasse, puis 900 mètres pour la balle de pistolet, plus de 1 000 mètres pour le pistolet mitrailleur et la balle Brenneke et, enfin, 2 500 mètres concernant les fusils d’assaut (HKou Kalachnikov).

*Les calibres 5,56 mm Otan (.223 aux USA) correspondent à l’énergie estimée suffisante par les chasseurs de renards, tandis que la Brenneke permet la neutralisation d’un sanglier (dont le poids moyen est comparable à celui d’un être humain).

Quelques éléments de balistique terminale lésionnelle

La balistique terminale lésionnelle, science étudiant les dégâts causés dans le corps humain par toutes sortes de projectiles peut nous éclairer. Le traumatisme subi sera fonction du type de balle qui causera un canal de destruction – médicalement désigné par le terme « chambre d’attrition » – variant suivant leur diamètre ouleur basculement ( cas fréquent des 5,45 et 7,62 soviet ou encore 5,56 OTAN) et surtout selon la zone atteinte.

Les projectiles 5,56 mm ont tendance à se retourner à l’impact, de même que le 5,45 mm soviet qui en plus se fragmente en de multiples éclats du fait de sa conception (chemise recouvrant un vide, puis de l’acier et du plomb, le tout se disloquant dans le corps de la victime) et possèdent une forte tendance aux ricochets. La balle brenneke en plomb ne se disloque pas.

Pour mieux visualiser ces effets terminaux, voici en tableau six schémas  illustrant ces données.

Les destructions de tissus définitives apparaissent en rose, les traits extérieurs délimitent quant à eux les parties perturbées par l’onde de passage sans dégâts notables.

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On constate :

*en A, que la balle blindée de 9 mm détruit les tissus sur son diamètre ;

*en B, que la balle expansive de 9 mm a un effet augmenté par le champignonage ;

*en C, que les projectiles de fusil d’assaut tendent à se retourner, d’où des blessures dépassant de loin leur simple diamètre d’entrée ;

*en D, que la balle de 5,45 mm russe se disloque systématiquement après son entrée, dispersant ses éclats en de multiples atteintes redoutables ;

*en E, que la Brenneke poursuit son large passage en détruisant tout;

*en F, que de simples éclats de balles achèvent leur parcours en s’arrêtant dans le corps.

Ces données de médecine légale sont enseignées aux tireurs spécialisés, mais le primo intervenant en oublie une partie à chaud.

Maintenant, comparons les avantages et inconvénients techniques des armes longues en dotation dans notre police.

 

P.M et Fusils d’assaut FUSILS 12 chasse à pompe
 

 

 

AVANTAGES

–  précision jusqu’à 300m

–  compacité

–  grande réserve de munitions

– approvisionnement rapide par chargeurs ( 30 cart.)

– cadence de tir, même en courtes rafales

 

– précision à moins de 100m

– compacité moyenne

– capacité d’environ 5 cart.

– grande puissance Brenneke

– polyvalence : caoutchouc, gaz ou Brenneke

– efficacité avec 1 seul impact

 

 

INCONVENIENTS

 

–  portée dangereuse en ville

–  puissance inférieure au FAP

–  balles pouvant ricocher

–  recul faible

–  cadence redoutable : de 600 à 750 coups/mn

– pas de marteau apparent

– cadence lente

-réapprovision

nement lent

– recul conséquent

Les groupes spécialisés choisissent le matériel selon la mission en toute connaissance de cause, ce qui n’est pas le cas du policier du quotidien porteur d’un pistolet 9 mm parabellum SIG 2022 ou Glock. En outre, il est souvent bien moins entraîné.

Tirer dans les pneus ne sert à rien

Alors, quel type de matériel privilégier pour les interceptions de véhicules  » à la volée », c’est-à dire improvisées, sans barrage ni herse notamment ?

Les Américains, très pragmatiques, ont utilisé le fusil de chasse à pompe (sigle F.A.P en France), modèle Winchester 1897- connu aussi comme M97 ou trench gun dès la première guerre mondiale. Ce modèle d’arme avait une particularité : son marteau était apparent, ce qui sécurisait les manipulations (il est difficile de vérifier rapidement si une cartouche est chambrée dans un fusil à pompe actuel : il faut dégarnir le magasin et vérifier si la chambre est vide ensuite).

Au niveau de la logistique, le coût d’un fusil à pompe est bien inférieur à celui des PM et FA de chez HK actuellement en dotation en France

Pour mieux analyser la réalité des choses, il faut envisager d’abord les possibilités d’arrêter un mobile à énergie cinétique redoutable, quels que soient les moyens matériels disponibles.

C’est ainsi que les spécialistes du 1° RPIMA à Bayonne ont testé les possibilités de stopper une automobile moteur tournant. Les munitions utilisées : 9 mm parabellum, 357 magnum, 5,56 mm OTAN,  7,62mm OTAN, 12 chasse et 12,7mm OTAN sont restées inefficaces en impacts moteurs, sauf rupture d’allumage ou d’alimentation, choses aléatoires car à la fin de cet exercice, le moteur tournait toujours.

Quant au tir dans les pneumatiques, il n’empêche jamais la progression du mobile qui reste potentiellement mortel.

Pour illustrer la limite des tirs au niveau des roues, je peux évoquer un cas de refus d’obtempérer subi par la police autonome basque d’un véhicule français qui, malgré l’identification certaine de la qualité des intervenants (tenues de police, injonctions claires), avait foncé, renversé et blessé gravement un des agents. Dans la poursuite qui s’ensuivit, – de nuit et à grande vitesse – un des policiers basques tira à quatre reprises, crevant un pneu arrière. Malgré cela les délinquants continuèrent à rouler sans ralentir pendant plusieurs kilomètres, entrèrent en France et foncèrent en sens interdit devant la police aux frontières d’Hendaye. C’est une pompe à essence située dans un virage à angle droit qui finit par stopper leur course.  Conclusion : seule la neutralisation du conducteur est efficace.

Toute la difficulté réside ici dans le fait de l’immobiliser sans le tuer et, mieux, sans le blesser.

Des cartouches à gaz irritant 

Une solution existe, celle des cartouches à gaz irritant – neutralisant – CS, CN ou PV- tirables dans les fusils de police calibre 12 chasse -soit 18,5 mm – qu’ils soient à pompe ou semi-automatiques. Dans la zone d’intervention concernée, soit de 1 à 15 mètres, ces projectiles percent les parois vitrées, y compris en triplex. Ceci a permis, il y a quelques années, lors d’une intervention de la police judiciaire de Versailles dans une affaire de vols qualifiés, d’intercepter une Porsche conduite par un malfaiteur fonçant sur les policiers : un tir, des gardés à vue vivants et des policiers non contestés.

Le fusil à pompe de police se devra d’être maniable : canon court de 50 cm, crosse pliable, et muni d’un dispositif d’éclairage ( interventions en lieux obscurs) et d’un pointeur laser (visée sans épauler, rayon dissuasif).

Reste à considérer la préparation humaine du porteur du fusil à pompe.

Les quatre critères de base pour une utilisation efficace des cartouches à gaz dans un fusil à pompe :

– une formation correcte de l’utilisateur, avec connaissance parfaite de l’arme qui n’a pas d’indicateur évident de chambre ou magasin garnis et dont on ne met qu’en dernier les cartouches à tirer en premier.

– La concertation avec les autres intervenants pour savoir quand se mettre en place pour les protéger.

– La détermination dans les ordres qui doivent être clairs, comme dans les gestes (on ne tient pas un fusil d’une main molle, avec une attitude gênée sinon honteuse)

– Un positionnement rapide en décalé devant le véhicule tout en armant et épaulant le conducteur : message clair de tir possible en cas de redémarrage et position permettant de ne pas être dans l’axe direct si le refus d’obtempérer se caractérise.

En conclusion, non seulement ce type de matériel (fusils et munitions gaz), est plus adapté pour faire face aux refus d’obtempérer que les balles blindées ou demi blindées, mais il permettrait aux personnels de voie publique d’intervenir sans se retrouver sur le banc des accusés.

Au niveau légal, ce choix permettrait une application sans restriction de l’article L435-1 alinéa 4 du Code de la sécurité intérieure qui évoque l’usage des armes de manière non limitative.

 

Plan