Séquestration de Livry-Gargan : l’antisémitisme retenu contre les accusés

Publié le 05/07/2021

Le procès des neuf accusés qui comparaissaient depuis le 22 juin devant les assises de Seine-Saint-Denis pour avoir séquestré une famille juive en 2017 s’est achevé vendredi soir. La circonstance aggravante d’antisémitisme a été retenue.

Séquestration de Livry-Gargan : l'antisémitisme retenu contre les accusés
Palais de justice de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

 « Vous êtes juifs donc vous avez de l’argent (…) Vous êtes les gâtés de la Terre et nous, les laissés-pour-compte ». La famille Pinto a été attaquée chez elle vendredi 8 septembre 2017, peu avant le shabbat. Mireille, Roger et leur fils David ont été séquestrés, ligotés et frappés durant une matinée. On leur a volé plusieurs biens de valeur (lire notre chronique). Cinq des accusés comparaissent devant les assises de Seine-Saint-Denis pour séquestration en bande organisée, accompagnée de vol et d’extorsion avec armes, et de propos portant atteinte à la considération de victimes en raison de leur religion, circonstance aggravante retenue par la cour et les jurés. Quatre autres personnes sont poursuivies pour recel des bijoux dérobés. Certains accusés ont avoué, d’autres pas.

« Vous imaginez le choc, la terreur ? »

 Mercredi 30 juin, au 7e jour des débats, les parties civiles ont la parole. Les conseils du MRAP* et de la LICRA** expliquent d’abord pourquoi il est nécessaire de lutter contre l’antisémitisme, et de toutes ses forces. Puis Me Marc Bensimhon, l’un des deux avocats des Pinto, rappelle en détail ce qui est  reproché à Abdoulaye D., Soumaïla B., Mohamed-Lamine M., âgés de 24 à 26 ans, Antony Y., 53 ans et Amel B., 21 ans. Les trois premiers sont entrés dans le pavillon, le 4e, l’aîné, est considéré comme l’instigateur des infractions, et la dernière a fait le guet. L’avocat parisien s’emploie à lever les doutes, s’il en demeure encore, rappelant que ses trois clients, libérés par les policiers et aussitôt conduits à l’hôpital, « n’ont pas eu le temps de s’accorder sur une version ».

Son fils Julien Bensimhon, qui lui succède, emmène les jurés sur la scène de crime à Livry-Gargan. D’un geste qui fige autant les accusés que ses confrères, il écrase d’une main son masque sanitaire, suffoque, recule sous la pression comme l’a fait Mireille, 75 ans le jour de l’attaque. « Vous imaginez le choc, la terreur ? », interroge-t-il. Question rhétorique tant le public a lui-même la sensation d’être bâillonné. Il n’épargne pas les receleurs « sans qui il n’y aurait pas eu de séquestration, Antony Y. étant incapable d’écouler de tels bijoux ».

Mireille Pinto est en larmes. Ce jour-là, elle est seule sur le banc des victimes : son mari Roger, 88 ans, est alité, épuisé par les journées où il a fallu témoigner, revivre le drame. David, leur fils atteint d’une grave affection, est resté au chevet de son père.

Séquestration de Livry-Gargan : l'antisémitisme retenu contre les accusés
Mireille Pinto avec son avocat, Me Julien Bensimhon – (Photo ©I. Horlans)

« Un diamant et deux émeraudes valaient-ils de bousiller des vies ? »

Jeudi 1er juillet, ni Roger ni David n’ont réapparu pour entendre l’avocate générale Maylis de Roeck. La jeune femme, magistrate depuis sept ans, va livrer un modèle de réquisitoire. Claire, concise, précise et pédagogue, elle évite l’outrance, imitant Mes Bensimhon père et fils dont la sobriété en ce procès s’est ajustée à la dignité de leurs clients. L’accusation doit démontrer que les faits correspondent aux qualifications. Maylis de Roeck énumère l’un après l’autre les chefs de prévention. Sont-ils caractérisés ? Oui, conclut-elle à chaque fois d’un ton tranchant. Elle s’attache également à leurs conséquences.

La séquestration en bande organisée sous la menace d’un couteau et d’un tournevis : « Deux heures, c’est interminable ! Les victimes ne savent pas si elles vont en sortir vivantes (…) Deux heures pour les auteurs, c’est du temps qui permet de se dire : “Qu’est-on en train de faire ?” Mais ils ne se posent pas la question, n’ont pas de remords. » Le vol et l’extorsion : « Un diamant et deux émeraudes valaient-ils de bousiller des vies ? [D’autres bijoux ont été dérobés, Ndlr]. La famille Pinto, dominée, a été contrainte de participer à son dépouillement ! »

Les propos antisémites : « Ce ne sont pas des insultes mais un préjugé très négatif : Juifs = argent (…) Oui, ils portent atteinte à la considération des Pinto qui ont travaillé toute leur vie. Et on ramène ça à leur religion ? Deux vieilles personnes sont au sol, en train de tout perdre, et vos propos, c’est : “Vous êtes juifs” ? », s’indigne-t-elle, marquant une pause. Les receleurs, Ilija, Radmila et Fatima J. ne sont pas épargnés : « Ils sont mal placés pour plaider la bonne foi, ce ne sont pas des acheteurs lambda. » Seule Maria, épouse d’Antony Y. qui leur a apporté les prétendus « bijoux de famille », est ménagée : « Il est inutile de la renvoyer en prison. » Contre les autres, elle requiert de trois à quatorze ans de détention (voir encadré).

« Ce n’est pas un barbare mais un être en perte de repères »

Au tour des plaidoiries de la défense. Les avocats des receleurs sont virulents, jusqu’à prêter à madame de Roeck des propos stigmatisant les Gitans, qu’elle n’a pas tenus.  Puis on entend François Chassin pour Maria, Quentin Dekimpe pour Amel B. et Frédéric Beaufils qui conclut la journée de jeudi en demandant l’acquittement au bénéfice de Mohamed-Lamine M.

Les dernières heures du procès, vendredi 2 juillet, sont consacrées aux accusés qui encourent les peines les plus lourdes. Me Véronique Massi intervient en défense d’Abdoulaye D. « que tout accuse dans un crime dont il se dit innocent (…) Les faits ne correspondent pas aux valeurs que sa famille lui a inculquées ». Elle se dit certaine « que les propos antisémites n’ont pas été tenus ». Mais comment peut-elle l’être dès lors que son client affirme qu’il n’était pas dans le pavillon ?Enfin, à l’adresse de Mireille : « Non, madame, vous n’avez pas été ciblée parce que juive mais parce que vous avez eu le privilège de porter une belle bague. »

Me Wissam Casal, venu de Rosny-sous-Bois en soutien de Soumaïla B., est un avocat prometteur. Ancien biologiste, il a prêté serment en janvier 2018 et plaide brillamment dans « ce procès de vies brisées ». A Mireille, il dit combien son témoignage l’a « touché dans sa chair » et « [sa] gêne quand M. Pinto a déclaré s’être senti coupable de n’avoir pas protégé sa famille ». Il porte la parole « d’un jeune qui n’est ni un nuisible ni un antisémite, lui qui n’avait pas idée de ce que recouvre ce terme et qui a beaucoup appris ici ». Me Casal rappelle que son client a avoué et présenté ses excuses : « Ce n’est pas un barbare mais un être en perte de repères. »

Séquestration de Livry-Gargan : l'antisémitisme retenu contre les accusés
Me Margot Pugliese, avocate de l’un des cinq auteurs de la séquestration – (Photo ©I. Horlans)

« Je suis triste pour Amel B. qui repart en prison »

 A l’appui d’Antony Y., faisant office de bouée pour « cet homme né dans une prison » et 28 fois condamné, Me Margot Pugliese, 1ère Secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris en 2016, s’efforce de gommer l’image d’un instigateur cupide, de « l’aîné qui a envoyé les jeunes » perpétrer le crime. « Il ne faut pas simplifier l’histoire. Parfois, la vie est faite de basculements, de liaisons dangereuses, de rencontres explosives. » Avec le cœur, car elle a « peur pour lui », l’avocate refuse que l’on « désespère de celui qui n’est pas un vieux chien qu’on peut abandonner sur la route ». Elle implore la cour et le jury « d’entrouvrir une porte » à son client qui purge une peine de 10 ans pour des faits similaires commis à Montpellier, contre qui 14 ans de plus sont requis à Bobigny. Elle sera entendue, la sanction étant allégée de quatre ans.

La nuit est tombée lorsque la présidente Bessone rend son arrêt, qui ne surprend guère tant les débats avaient révélé la brutalité des crimes. La cour d’assises prononce des peines allant de trois ans de prison à douze ans de réclusion criminelle. Elle a retenu la circonstance aggravante d’antisémitisme : « C’est une victoire du droit, qui fera jurisprudence car la responsabilité collective a été reconnue, peu importe qui a prononcé ces mots odieux », constatent avec satisfaction Mes Marc et Julien Bensimhon.

Il y a des larmes d’un côté du prétoire, des signes d’apaisement de l’autre. Mireille Pinto est soulagée, et sa réaction demeure élégante, discrète. Ses pensées vont à la 5e complice de la bande qui les a séquestrés : « Je suis triste pour Amel qui repart en prison », dit-elle en regardant la jeune fille munie d’une petite valise s’éloigner avec son escorte.

 

*Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples

**Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme

 

Les peines requises et infligées

 Les sanctions ont été pour la plupart conformes aux réquisitions. Soumaïla B. est condamné à 12 ans de réclusion criminelle (13 ans requis), Antony Y. à 10 ans (contre 14), Mohamed-Lamine M. à 8 ans de prison, Abdoulaye D. à 7 ans, Amel B. à 5 ans dont 3 avec sursis.

Maria, coupable de recel, est libre, les 5 ans infligés étant assortis du sursis.

Les trois receleurs écopent de peines plus lourdes que celles requises : Ilija J. est condamné à 5 ans de prison ferme et 50 000 € d’amende (4 ans), sa femme Radmila à 3 ans avec sursis et 20 000 € d’amende et leur fille Fatima à 4 ans de prison ferme (3 ans demandés).

 

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