Assises de Bobigny : « Vous êtes juifs, donc vous avez de l’argent »

Publié le 01/07/2021

Depuis le 22 juin, cinq accusés répondent de séquestration et agression d’un couple de personnes âgées et de leur fils, figures de la communauté juive à Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis. Le caractère antisémite a été retenu par l’accusation. Le verdict est attendu vendredi soir.

Assises de Bobigny : « Vous êtes juifs, donc vous avez de l’argent »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

 La révélation des faits, survenus vendredi 8 septembre 2017, avait suscité un émoi considérable. Alors ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb avait dénoncé « une odieuse agression (semblant) directement liée à la religion des victimes ». Près de quatre plus tard, les époux Pinto et leur fils restent profondément marqués par cet événement qui a chamboulé leur existence. Ils ont vendu leur pavillon, quitté tous les amis de la synagogue de Livry-Gargan, acheté un appartement parisien « en hauteur » pour ne plus être surpris par des malfaiteurs. Et il reste difficile de se défaire de la peur qui, sournoise, les surprend parfois dans la rue ou la nuit dans leur lit.

Assis côte à côte, serrés comme des oiseaux frêles en équilibre sur un fil, Mireille et Roger Pinto, respectivement âgés de 78 et 88 ans, couvent du regard leur fils David, 52 ans, malade et si éprouvé par l’audience qu’il a fait un malaise. Pourtant, tous trois affrontent courageusement les accusés détenus ou libres. Neuf personnes, dont quatre poursuivies pour recel des bijoux dérobés.

 « La dame chic avec une belle bague »

 Dans le box vitré, gardés par neuf policiers, les jeunes bavardent et rient beaucoup. Ils paraissent détachés de la réalité. Pourtant, Soumaïla B., 25 ans, Abdoulaye D., 26 ans, et Mohamed-Lamine M., 24 ans, encourent la réclusion à perpétuité. Comme Antony Y., dit « Babou », qui ricane dès qu’on mentionne son surnom. Son apparente indifférence s’explique par ses 28 condamnations : cet homme de 53 ans a passé la moitié de sa vie en prison. L’accusation estime qu’il a commandité la séquestration et le vol, commis en bande organisée sous la menace d’armes, avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme. Depuis plusieurs mois, il avait repéré « la dame chic avec une belle bague », selon les mots de son épouse Maria, 55 ans, qui comparaît pour recel, et d’Amel B., 21 ans, qui a aidé le gang à perpétrer son crime.

Amel a reconnu les faits, dénoncé ses complices. Depuis qu’elle a recouvré la liberté, elle craint qu’ils lui envoient « la bande de Clichy ». Maria aussi, menacée en ces mêmes termes et réfugiée en province. Néanmoins, lundi 28 juin à la barre, toutes deux tiennent bon, au grand dam des sept avocats de la défense.

« Les gâtés de la Terre »

La longue queue de cheval brune d’Amel s’agite au fur et à mesure qu’elle raconte la nuit chez Maria et Antony, avec Mohamed-Lamine, Abdoulaye et Soumaïla, qu’elle appelle « les garçons ». Les préparatifs et l’arrivée aux environs de 9 heures devant le portail de la famille Pinto. « Antony était au volant, les garçons sont descendus de voiture, ils se sont cachés dans le jardin, j’ai sonné à la porte. Les gens n’ouvraient pas, alors les garçons sont entrés par la cave. » Amel n’en sait pas plus car elle est restée faire le guet avec Antony-Babou. Elle évoque toutefois la fanfaronnade de Mohamed-Lamine à son retour : « On est les nouveaux Robin des Bois. »

Le trio force les barreaux d’une fenêtre donnant accès au sous-sol et coupe l’électricité. Les déclarations de Mireille, Roger et David Pinto, qui jamais n’ont varié, permettent de retracer la suite. David veut rétablir le courant, descend inspecter le compteur. Les hommes l’empoignent, attachent ses mains sous la menace d’un tournevis.

Mireille arrive dans la cuisine, en chemise de nuit. Elle est saisie par deux individus, frappée à la tempe et jetée au sol. « Je croyais qu’ils allaient me violer », se souvient-elle. Elle parvient à crier, alertant son mari couché à l’étage. Roger se précipite et, à son tour, il est roué de coups et neutralisé sous la menace d’un couteau. Dans le salon, des objets d’art, de culte et un drapeau israélien témoignent de leur confession. « Les garçons » mettent à sac la maison, le chef crie : « Vous êtes juifs, donc vous avez de l’argent. On vous prend pour donner aux pauvres. Les Juifs, vous êtes les gâtés de la Terre et nous, les laissés-pour-compte. » Propos réitérés, accompagnés d’avertissements : « Si vous ne donnez pas l’argent, on vous tue. »

« J’ai mis les bijoux dans l’eau de Javel »

Le couple terrorisé s’exécute. Ils remettent les montres, parures, alliances, cartes de crédit, services de table, la fameuse bague de Mireille, sertie d’un diamant de grande valeur. David remonte enfin du sous-sol avec un gars dépourvu de masque. La famille identifiera Mohamed-Lamine, lequel nie s’être trouvé là, comme Abdoulaye. Soumaïla, Antony, Maria et Amel sont les seuls à assumer. Attachés, père et fils sont enfermés dans une chambre. Mireille, sans liens, s’empare du téléphone portable de David et appelle la police. Deux heures se sont écoulées. Les Pinto sont transportés à l’hôpital. Un psychiatre leur prescrit 30 jours d’incapacité de travail.

Face à la présidente Bessone, Amel expose la fin de l’histoire : « J’ai retiré 800 € avec les cartes de crédit, Antony m’en a donné 100. » Elle admet que sa participation n’a guère payé. Maria, une petite Portugaise toute maigre, épuisée par six grossesses et les raclées de son mari, réajuste le chouchou qui maintient son chignon et poursuit le récit de la folle journée : « J’ai mis les bijoux dans un saladier avec de l’eau de Javel pour vérifier s’ils étaient en or. »

« – Ah bon, s’étonne la présidente, j’ignorais ce procédé. Et on attend ?

– Oui, il faut patienter une heure », répond la femme de chambre livide.

« Une personne âgée, c’est fragile comme un bébé »

« Dans l’après-midi, on est allés chez “James”, à Bondy, pour qu’il achète les bijoux. On en a tiré 20 000 € », continue Maria. « James », c’est Ilija J., solide Gitan assis au banc des accusés libres avec sa femme Radmila et sa fille Fatima. Selon l’instruction, ils sont les receleurs. Ils contestent les faits. Toujours est-il que les 20 000 € sont partagés entre les garçons et Antony, qui s’achètera une Mercedes. Maria, elle, n’aura même pas droit à un bijou des Pinto.

Me Marc Bensimhon, qui représente les parties civiles avec son fils Julien, l’interroge en faisant preuve de courtoisie :

« – Vous avez identifié quatre auteurs de cet acte odieux. Pouvez-vous les désigner à la cour ?

– Oui, ils sont là (elle se tourne vers le box et les nomme).

– Vous saviez que les bijoux provenaient d’un vol. Que ressentez-vous ?

– Des remords. Beaucoup de chagrin. Je m’excuse auprès des Pinto qui ont le courage de venir ici…

Antony vocifère dans son box, « les garçons » pouffent de rire. Les avocats de la défense prennent le relais avec nettement moins d’urbanité. Et Maria tient bon, toujours, répète deux fois que ce qu’elle dit est « véridique ».

La journée s’achève par les explications de Soumaïla D. Il n’apprécie pas l’interrogatoire vétilleux de la présidente. Il l’invective à tour de phrases : « Vous avez compris l’affaire que vous jugez ? Oui ? Non ? » Alors qu’elle s’inquiète des coups portés à Mireille, il rétorque : « Ouais, et ?… Bon, vous savez, une personne âgée, c’est fragile comme un bébé. »

Face à ce box où plaisantent quatre hommes quand les victimes sont d’une extrême dignité, vient à l’esprit une citation de Robert Louis Stevenson : « Tout le monde, tôt ou tard, s’assied au banquet des conséquences. »

(A suivre…)

La seconde partie de ce récit est à lire ici.

 

Me Marc et Julien Bensimhon
Mes Marc et Julien (à droite) Bensimhon représentent la famille Pinto (Photo : ©I. Horlans)