Tatouages dans la police : une regrettable levée d’interdiction

Publié le 22/06/2023

Depuis 2018, les policiers ont le droit d’arborer des tatouages, à condition toutefois qu’ils ne soient pas visibles et qu’ils ne constituent pas des messages de haine. Une autorisation au nom de l’individualisme triomphant dont on aurait pu se passer, estime Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire. 

Tatouages dans la police : une regrettable levée d'interdiction
Photo : ©AdobeStck/magann

« Le triomphe de l’individualisme s’est fait au détriment des appartenances collectives »

                                                      (Michel Winock)

Début juin 2023, à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites, plusieurs photographes ont pris des clichés représentant des policiers lillois arborant sur leurs bras des tatouages représentant le Valknut (trois triangles entrelacés). Le Valknut est un symbole caractéristique des doctrines pangermanistes, nazies, racistes et suprémacistes, faisant référence à la mythologique Nordique et, plus particulièrement, au wotanisme, forme de religion identitaire néopaganiste qui prit son essor en Allemagne et en Autriche au début de XXe siècle. Informée de ces faits, Mme Sarah Kerrich, conseillère régionale des Hauts-de-France, a demandé que l’Inspection Générale de la Police Nationale soit saisie pour enquête. Elle a précisé à BFM Grand Lille, que « ces tatouages, à la symbolique suprémaciste et néonazie sans équivoque, constituent un signe manifeste d’appartenance à une organisation politique […] dénaturent la relation du policier avec les usagers », ajoutant avoir fourni à l’IGPN des photos qui permettront l’identification de ces agents.

Le signalement de la conseillère régionale est fondé sur la circulaire du 30 novembre 2017 publiée le 12 janvier 2018 et signée par le Directeur général de la police nationale de l’époque, le préfet Éric Morvan, concernant « le port des tatouages, de la barbe, des bijoux et accessoires de mode ». Depuis cette date, les policiers sont donc officiellement autorisés à porter la barbe et aussi à être tatoués, mais, pour ce qui concerne les tatouages, il est précisé que ceux potentiellement visibles devront être masqués, tandis que ceux manifestant une appartenance « à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative ou s’ils portent atteinte aux valeurs fondamentales de la nation » (qu’ils soient masqués ou pas) restent interdits.

Le port des tatouages est réglementé dans la Police Nationale

Comment le port des tatouages était-il réglementé avant la circulaire de 2018 ? Il était purement et simplement interdit. Ce sont les syndicats de police qui ont été à l’origine de ce changement. Le secrétaire général de l’UNSA-Police de l’époque, M. Philippe Capon, avait dénoncé les « pressions hiérarchiques » exercées par certains commissaires prétendant vouloir faire masquer les tatouages ; or, selon lui, « tout en gardant une présentation correcte, cela [les tatouages apparents] permet aux policiers d’évoluer comme le reste de la société. C’est une tendance mode dans la société française. Et la société, les policiers en sont issus », soulignait le syndicaliste. Après la publication de la circulaire, M. Axel Ronde, secrétaire général Île-de-France du syndicat VIGI, avait immédiatement invité « la hiérarchie policière à mettre fin, de façon rétroactive et immédiate, à toutes les procédures en cours » et à « supprimer toute trace de sanctions disciplinaires inhérentes à cette problématique pouvant figurer dans les dossiers administratifs des collègues ». On n’arrête pas le progrès.

En la matière, la police française ne fait que suivre la lame de fond : un débat analogue (avec des conclusions identiques) a eu lieu, ces derniers temps, chez les forces de police italiennes et belges. Un peu partout en Europe, donc, les policiers sont autorisés à porter des tatouages, censés être masqués et, en tout état de cause, ne pas être des messages de haine. Le problème est que la planète se réchauffe, et que le port systématique de chemises à manches longues, l’été, sur la voie publique, n’est pas toujours agréable ; d’où ces images, de plus en plus nombreuses, de policiers et gendarmes arborant des avant-bras couverts de tatouages… On pensait que la circulaire du 12 janvier 2018 avait réglé le problème : il n’en est rien, de nouveaux « bras de fer » s’annoncent, à la fois dans le domaine réglementaire (sanctions administratives pour les tatouages « à découvert »), juridique (sanctions pénales pour apologie du nazisme) et syndicale (il faut vivre avec son époque et éviter de stresser inutilement les policiers, déjà suffisamment malmenés par une violence qui se généralise). Essayons d’y voir plus clair… si possible.

Le Valknut symbole mythologique ?

Lorsqu’au siècle dernier j’étais en poste à la Police Judiciaire de Paris, un jour un inspecteur est arrivé au service avec, épinglée sur sa veste, une Francisque : je lui ai demandé d’enlever ce symbole du régime de Vichy, incompatible avec les valeurs de la République et susceptible de choquer certains plaignants exigeant, à juste titre, la neutralité politique de la part des policiers. Il m’a répondu que la Francisque c’était l’arme symbolique des guerriers francs, et pas du régime de Vichy ; j’ai insisté (en clair, je lui ai dit : « vous me prenez pour un con ? ») et il a fini par l’enlever. Mais on ne peut pas (ou alors très difficilement) enlever un tatouage comme on enlève un badge : donc aujourd’hui, un policier arborant un tatouage représentant la Francisque  terminerait en conseil de discipline.

J’imagine les débats (je rappelle que les conseils de discipline sont des organismes paritaires, dans lesquels la moitié des sièges est détenue par les représentants syndicaux). Cela donnerait :

Le Valknut symbole nazi ? « Mais voyons, M. le Préfet, Hitler n’était pas né à l’époque ! Notre adhérent n’est pas un adepte du nazisme, mais un simple passionné d’histoire antique ! D’ailleurs, nous avons apporté une pièce à conviction, à savoir un livre qu’il conserve précieusement sur sa table de nuit : « La mythologie pour les nuls » ».

Le serpent enroulé autour du cou, symbole de l’addiction à la drogue ? « Mais non M. le Préfet, le tatouage du serpent représente la renaissance de l’esprit, dû à la mue de l’animal qui perd son ancienne peau, lui permettant ainsi d’en créer une nouvelle… oui, notre adhérent a voulu représenter artistiquement sa nouvelle vie, au service de la police et de la société ! ».

Ce dessin, qu’on nous dit être le symbole des « assassins tuant en silence » ? « Pas du tout M. le Préfet, notre adhérent est un passionné de psychologie, et plus particulièrement des taches d’encre du fameux test de Rorschach qu’il a voulu représenter sur son biceps ! ».

Mon tatouage c’est ma personnalité

Le maître mot de notre époque : se démarquer des autres, être considéré à tout prix comme un individu original, absolument unique et donc exceptionnel ; c’est le seul moyen pour affirmer son ego, et quand on manque de talent ou de personnalité, et bien, il reste le tatouage. Nul doute donc que les gens (policiers compris) seront de plus en plus nombreux à arborer de cette manière leur prétendue originalité en s’appuyant, si nécessaire, sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Nul doute, aussi, que certains policiers pourront ainsi afficher, de manière plus ou moins voilée (et parfois réservée aux seuls initiés) leur appartenance à tel ou tel clan, apportant ainsi leur contribution à l’atomisation de la société.

Plan