TJ de Bobigny : « Depuis que j’ai volé le téléphone de Monsieur, j’ai arrêté les bêtises » !
C’est une vie cabossée de plus qui arrive devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny : Monsieur T. est prévenu pour un vol avec effraction dans un appartement et pour un vol à l’arraché. Il assure ne pas se souvenir du premier et regrette le second, fait depuis lequel il a « arrêté les bêtises » !
« J’ai besoin de l’interprète en langue arabe… » Passablement agacée par la multiplication des couacs depuis le début de l’après-midi, la présidente balaie du regard la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny sans apercevoir celle qu’elle attend. Après quelques instants de flottement durant lesquels les lycéens venus assister aux procès se tiennent à carreau, l’interprète est retrouvée. Elle prête serment et l’audience peut commencer.
Monsieur T., la vingtaine, comparaît pour deux faits de vol. Le premier a eu lieu trois mois auparavant : le prévenu se serait introduit par effraction dans une habitation et y aurait volé des bijoux, des documents d’identité, des objets high-tech au préjudice de Madame M. « Est-ce que Madame M. est dans la salle ? », demande la juge. Smoking noir, manucure parfaite, une trentenaire se lève des bancs du public pour venir s’asseoir à la place habituelle des parties civiles. Elle souhaite être reconnue victime et demande un renvoi sur intérêt civil, le temps d’évaluer les dommages et intérêts qu’elle va demander.
Ce sont les traces laissées par Monsieur T. dans l’appartement qui ont conduit à son arrestation. La présidence du tribunal s’adresse à l’interprète :
« — Est-ce qu’il se rappelle être entré dans l’appartement ?
— Non.
— Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait vous arriver ?
— Non, je ne me rappelle pas.
— On retrouve vos empreintes sur les lieux…
— Je ne me rappelle pas. »
Les échanges continuent sur ce mode, de quoi agacer la juge qui fait une dernière tentative : « Mais pour la troisième fois, est-ce que c’est quelque chose que vous auriez pu faire ?
— Si j’avais fait ça, ils auraient retrouvé les effets personnels chez moi.
— C’était il y a trois mois, entre-temps vous avez pu les vendre, les donner à quelqu’un…
— J’ai eu un accident, j’ai des trous de mémoire. »
Quand il avait 19 ans, le prévenu a eu un accident grave de scooter qui l’a plongé pendant plus de deux semaines dans le coma et dont il garde des séquelles : douleurs à la tête et troubles de la mémoire. De sorte que, concernant ce premier vol, on n’en saura pas plus. La présidente du tribunal passe au second, en commençant par résumer le conflit de procédure auquel elle est confrontée : un juge a déjà pris une décision par ordonnance pénale – une procédure de jugement simplifiée appliquée à des faits peu graves – mais qui n’a pas encore été notifiée au prévenu. Dans ce cas, faut-il quand même juger Monsieur T. pour ce second fait ? Le ministère public y est favorable, la défense ne s’y oppose pas. « Dans l’intérêt de mon client, il peut être intéressant de joindre les deux affaires pour n’avoir qu’une mention au casier », détaille l’avocate.
Après ce prélude technique, place aux faits, simples et reconnus par Monsieur T. : il a volé à l’arraché le téléphone portable d’un livreur Deliveroo dans la rue, sous les yeux de policiers qui ont rendu son téléphone au propriétaire. Informé de la date d’audience par le commissariat, lui aussi a fait le déplacement jusqu’au tribunal, sans souhaiter se constituer partie civile.
« Depuis que j’ai volé le téléphone de Monsieur, j’ai arrêté les bêtises, je travaille, je n’ai plus recommencé », répète le prévenu à plusieurs reprises, les mains sagement gardées derrière le dos. Arrivé en France depuis l’Algérie et après avoir traversé la Méditerranée en zodiac, Monsieur T. exerce comme manœuvre dans le bâtiment, vit dans un fourgon à Bondy et envoie chaque mois entre 200 et 300 euros à sa famille.
Pas de quoi émouvoir la représentante du ministère public qui se dit « étonnée » par la position de Monsieur T. au cours de l’audience : « Quand on entre dans l’intimité de quelqu’un, qu’on fouille dans ses affaires, la moindre des choses devant la victime, c’est de reconnaître les faits. » Elle assure que les éléments du dossier sont bien suffisants pour qu’il soit déclaré coupable. En répression, elle explique avoir longuement hésité entre une peine avec incarcération immédiate ou du sursis. Tenant compte de la personnalité du prévenu, en situation irrégulière et avec un casier vide, elle a choisi la deuxième option et requiert un an de prison intégralement assorti d’un sursis simple, ainsi que d’une interdiction de paraître en Seine-Saint-Denis.
Du côté de la défense, on plaide la relaxe pour le premier vol, sans grande conviction : « Je m’aligne avec mon client qui assure ne pas se souvenir de cette effraction. » S’il devait toutefois être condamné, son avocate demande une peine de sursis simple avec un quantum moins important que celui requis par la procureure.
Le tribunal juge Monsieur T. coupable pour les deux vols et le condamne à dix mois de prison avec sursis simple. La présidente prend le temps d’expliquer ce que cela signifie et annonce que Madame M. est reçue en sa constitution de partie civile avec un renvoi sur intérêts civils. En sortant du box, Monsieur T. sourit.
Référence : AJU014e8