TJ de Bobigny : « Je prends trois comprimés le matin avant même le café ! »

Publié le 09/12/2024
TJ de Bobigny : « Je prends trois comprimés le matin avant même le café ! »
Milan/AdobeStock

Messieurs M. et N. ont été arrêtés en possession d’une grande quantité de prégabaline, médicament antiépileptique et anxiolytique. Tous les deux assurent qu’ils n’en font pas trafic mais en consomment en grande quantité : jusqu’à cinq fois la dose thérapeutique maximale !

Deux prévenus comparaissent à la même audience pour les mêmes faits. Le premier, Monsieur M. sort du dépôt, escorté par des policiers. Le second, Monsieur N., comparaît libre. La différence entre les deux ? Le casier du second est vierge.

À tous les deux, il est reproché le transport, l’acquisition et la détention en très grande quantité de médicaments, en particulier de cachets de prégabaline (antiépileptique). Ils ont été arrêtés à Aubervilliers, alors qu’ils roulaient sur le même scooter dans une voie en sens interdit. Sur Monsieur M., 42 pilules ont été retrouvés – et plus de 900 dans la chambre qu’il occupe dans un squat. Sur Monsieur N., 217 pilules et 635 euros en liquide.

La juge assesseur prend le lead de cette audience et commence par interroger Monsieur M. : « Pourquoi êtes-vous porteur de ces pilules ?

— Je suis consommateur de ces médicaments, j’en consomme entre 20 et 25 euros par jour, répond-il par la voix de son interprète.

— Combien de pilules ?

— Ça dépend du prix du vendeur. Ce jour-là, j’avais un peu d’argent donc j’en ai acheté plus. Environ 25 gélules par jour.

— Pourquoi consommez-vous ce produit psychotrope ?

— J’ai commencé il y a longtemps et je n’arrive pas à arrêter.

— Pourquoi avez-vous commencé ?

— Au départ, je cherchais l’euphorie. Maintenant je n’arrive pas à arrêter.

— Comment le financez-vous ?

— Je travaille sur les marchés pour 45 euros par jour. »

Le jeune homme de 20 ans est arrivé illégalement en France en octobre dernier et il a été condamné quelques semaines auparavant pour exactement les mêmes faits, en procédure de « plaider-coupable » (CRPC). C’est ensuite au tour de Monsieur N. de répondre aux questions de la juge assesseur. Il explique avoir commencé à prendre ce médicament en 2015 sur prescription de son médecin en Algérie pour soulager les douleurs liées aux broches qu’il a dans les chevilles. Depuis, il n’a pas cessé d’en consommer.

« — Pourquoi aviez-vous plus de 600 euros en liquide sur vous ?

— Je travaille dans le bâtiment et je n’ai pas confiance dans les banques.

— Où avez-vous acheté les pilules ?

— À côté du marché de Saint-Denis. Tu cherches un produit, tu le trouves.

— Combien coûte la boîte de quatre plaquettes ?

— 200 euros.

— 200 euros, c’est beaucoup quand on est en situation irrégulière.

— Je ne peux rien faire si je ne consomme pas. Je gagne bien ma vie. Entre 90 et 120 euros par jour sur les chantiers et l’entreprise prend en charge le loyer ».

Le président du tribunal intervient :

— « Vous dites prendre 9 ou 10 cachets par jour. C’est cinq fois la dose thérapeutique maximale !

— Je me suis habitué à ça. Je prends trois comprimés le matin, avant même le café ! », explique Monsieur N. avec le secours de l’interprète venue l’aider.

Comme de coutume dans les affaires impliquant des substances illicites, la procureure entame ses réquisitions en rappelant l’enjeu de « santé publique » que constitue la substance en question, ici la prégabaline. « C’est un médicament contre l’épilepsie ou l’anxiété qui comporte des risques : tentatives de suicide, dépression, overdose… » Les quantités retrouvées sont, selon la magistrate, au-dessus de ce que le corps peut ingérer, élément caractéristique d’un trafic. Elle requiert six mois de prison ferme contre Monsieur M., ainsi que la révocation du sursis prononcé dans le cadre de la condamnation précédente (quatre mois). Contre Monsieur N., elle requiert cinq mois de prison avec sursis simple et la confiscation de l’argent trouvé sur lui.

« La drogue est le nomadisme de l’exclu », rétorque en défense l’avocat de Monsieur M., citant Jacques Attali. Il dresse le portrait de son client : un « paria » qui a trouvé refuge dans la drogue dès ses douze ans, un jeune homme malade qu’il faut accompagner. Concernant les 900 pilules retrouvées dans le squat qu’il occupe, le conseil insiste : rien ne permet de prouver qu’il s’agit de pilules lui appartenant, étant donné que 15 personnes vivent là. L’avocat demande au tribunal de faire preuve de mansuétude en le condamnant à une peine de prison avec sursis.

Au tour de Monsieur N. de se défendre lui-même – il n’a pas souhaité être assisté d’un avocat. C’est bref : « J’assume ce que j’ai fait et je m’en excuse. »

Messieurs M. et N. sont reconnus coupables d’acquisition, transport et détention – « pas de vente », insiste le juge, bien qu’ils n’aient à aucun moment été poursuivis pour ce délit. Monsieur M. écope de deux mois de prison ferme et la révocation du sursis à hauteur de deux mois. « Ça vous fait quatre mois en détention, un peu moins si vous vous comportez bien, parce qu’on a ce problème d’adresse et on ne peut pas faire de sursis probatoire », détaille le président du tribunal. Les juges condamnent Monsieur N. à trois mois de prison avec sursis simple et la confiscation de l’argent qu’il détenait. « C’est une peine d’avertissement », met en garde le juge.

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