TJ de Bobigny : « Je regrette profondément ce que j’ai commis depuis plusieurs mois »
En ce jour, c’est une audience pour des faits de violences conjugales, le tribunal judiciaire de Bobigny en voit presque tous les jours en comparutions immédiates… À la différence près que le profil de la personne dans le box sort de l’ordinaire : c’est une femme, au casier vierge, insérée socialement, qui reconnaît l’intégralité des faits et regrette ses actes.
Avec sa voix douce et son allure effacée, difficile de deviner ce qui a conduit Madame D., 32 ans, à atterrir dans le box des prévenus du tribunal judiciaire de Bobigny. La liste est pourtant longue : des menaces de mort sur son ex-compagne et la fille de cette dernière (« Je vais te niquer », « Je vais te tuer », « Je vais t’enculer »), le port d’une arme de catégorie D, des violences habituelles et des violences volontaires ayant entraîné 7 jours d’ITT (incapacité temporaire totale) sur sa compagne avec la circonstance aggravante d’avoir été commises en présence de mineurs.
C’est l’un des enfants qui, deux jours avant cette audience, a appelé les forces de l’ordre après que Madame D. s’est rendue avec un couteau et une bombe lacrymogène au domicile de Madame R., sa compagne depuis deux ans, en proférant des menaces de mort à l’encontre de la fille de cette dernière. Depuis plusieurs jours, Madame D. lui envoyait des messages menaçants et la relation était verbalement agressive depuis longtemps. « Je ne savais pas quoi faire quand elle est entrée avec le couteau. J’ai pensé à ma fille, je me suis mise devant sa chambre, elle m’a tapé pour rentrer », raconte Madame R. en sanglotant.
« — Vous aviez l’impression qu’elle avait l’intention de tuer votre fille ?, interroge le président du tribunal.
(En sanglotant) — Oui, ce n’était pas elle. Elle découpait les photos accrochées au mur.
— Qu’est-ce qui a fait qu’elle n’est pas entrée dans la chambre de votre fille ?
(Madame R. pleure) — J’étais là, j’étais là. Devant sa porte. »
Quand les policiers arrivent, ils constatent que Madame D. s’est elle-même blessée au doigt (du sang coule par terre), elle ne tient plus le couteau. Les forces de l’ordre s’y prennent à deux fois pour que le taser ait l’effet escompté, laissant penser que Madame D. est dans un état second.
Quand le président du tribunal demande à la prévenue de s’exprimer sur les faits reprochés, elle ne tente à aucun moment de minimiser et lance d’une voix tremblante : « Je regrette, je n’aurais jamais dû faire ça. Je m’excuse.
— Quand on vient avec un couteau, c’est pour faire quoi ?, interroge le juge.
— Je n’ai jamais voulu tuer la fille de Madame R.
— Vous vouliez blesser ? Faire peur ?
— Non.
— Vous avez porté des coups sur Madame R. ?
— Oui.
— Comment vous l’expliquez ?
— Je suis très colérique. La relation est toxique pour moi. J’ai de la colère et de la jalousie envers ses enfants. Je suis désolée, j’ai pris conscience de l’atrocité.
— D’où vient le conflit avec la fille de Madame R. ?
— Elle ne participe en rien et n’aide pas Madame, pour le loyer, le linge…
— On pourrait dire que ça ne vous regarde pas.
— Oui. »
Madame R. explique que la relation avec Madame D. était « super, au début », avant que les violences ne surviennent au bout d’un an, parce qu’elle n’aimait pas ses trois enfants (le plus âgé a 27 ans) : gifles, coups de poings, coups de chaises. « Quand elle commençait à être agressive, j’arrivais à la calmer. Je me défendais, je ne me laissais pas faire. Et je revenais à chaque fois, parce que je l’aimais », détaille la victime.
L’une et l’autre assurent à l’audience vouloir mettre un terme à leur relation. Madame R. fait part de la terreur qui l’a envahie depuis deux jours et la survenue de l’épisode de violence qui a conduit à cette audience : « Tout a changé depuis deux jours. J’ai peur pour mes enfants », sanglote-t-elle.
Une fois les faits établis et la personnalité de Madame D. abordée – casier vierge, domiciliée chez sa mère à Paris et en CDI –, le président d’audience demande à la victime si elle souhaite se constituer partie civile pour elle-même et pour ses deux enfants mineurs qui ont assisté aux violences. « Non, non. Moi j’ai besoin que mes enfants soient suivis par un psychiatre, c’est tout », répond-elle. Pas convaincu que Madame D. ait bien saisi les enjeux (elle n’est pas assistée d’un avocat), le juge réexplique et repose ses questions. « Je comprends rien », finit par exploser cette quarantenaire en pleurs. Le juge reprend ses explications et se montre insistant sur la pertinence de se constituer partie civile, en particulier pour ses enfants. Madame R. opte finalement pour cette option sans chiffrer sa demande et ajoute : « Je veux qu’elle [Madame D.] soit suivie par un psychiatre car elle a un problème dans sa tête. Et si elle sort, j’ai peur. On ne sait pas ce qu’il va se passer dans six mois, un an. Elle pourrait avoir un bracelet ou quelque chose comme ça, je ne sais pas… »
La procureure commence par saluer le courage de Madame R. d’être venue à l’audience et évoque le « cercle vicieux de l’amour » qui a maintenu cette relation malgré les violences. « La justice doit répondre de manière adéquate pour protéger la victime », insiste la magistrate en requérant une peine mixte de 30 mois de prison : 10 mois ferme aménagés sous la forme d’une détention à domicile. Et 20 mois avec sursis probatoire assortis des obligations de soins, de travail, l’interdiction de contact et de se rendre au domicile de la victime, la participation à un stage de sensibilisation aux violences conjugales, l’indemnisation des victimes et l’interdiction de porter une arme.
« Le tribunal devra faire preuve de pondération et d’équité », rétorque la défense qui estime qu’une peine d’emprisonnement n’est pas adaptée et demande du sursis avec obligation de soins. En l’absence de certificats médicaux ou de témoins, l’avocat estime aussi que le dossier ne permet pas d’établir la matérialité des faits des violences habituelles reprochées à sa cliente.
Des efforts aussitôt mis à mal par les derniers mots de la prévenue : « Je regrette profondément ce que j’ai commis depuis plusieurs mois », dit-elle à destination des juges. Puis elle regarde son ancienne compagne : « Je ne t’approcherai plus. » Le président d’audience lui demande de ne pas s’adresser à la victime, alors elle ajoute : « Je n’existerai plus pour elle. Et je n’ai pas trop compris mais je ne veux pas être condamnée pour les dix mois. »
Après une brève suspension d’audience, Madame D. est déclarée coupable de l’ensemble des faits reprochés, y compris pour les violences habituelles sur la base de photos fournies par la victime et des déclarations faites à l’audience. Elle est condamnée à deux ans de prison avec sursis probatoire pour trois ans et les obligations et interdictions requises par le parquet, ainsi qu’une interdiction de paraître en Seine-Saint-Denis. Madame R. et ses enfants sont reçus en leur constitution de partie civile et une audience ultérieure aura lieu pour statuer sur leurs demandes.
Référence : AJU015g4