TJ de Bobigny : « Monsieur, on a du mal à comprendre comment Madame saigne du nez si vous ne la frappez pas »

Publié le 04/11/2024
alcoolisme, violence, VSS, violences conjugales
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C’est une affaire de violences conjugales comme le tribunal judiciaire de Bobigny en juge souvent en comparution immédiate : Madame confirme des propos cohérents depuis son dépôt de plainte et n’accable pas celui avec qui elle souhaite continuer de vivre, Monsieur ne reconnaît qu’à moitié les faits. Et au milieu de tout, l’alcool.

« Monsieur ! Je vous demande de vous lever ! » Ce n’est que le début des comparutions immédiates dans la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny mais sa présidente perd déjà patience face à Monsieur S., à la carrure imposante et dont la tenue colorée tranche avec le noir des magistrats et des avocats.

Le prévenu de 39 ans est présenté pour des faits de violences conjugales sur sa compagne, Madame A., présente à l’audience. Il y a trois infractions : des faits de violences ayant entraîné 4 jours d’ITT (incapacité totale temporaire) et qui ont donné lieu à l’interpellation. « Là, il est allé trop loin ! », a expliqué la plaignante aux policiers. Mais elle a évoqué d’autres faits pour lesquels le prévenu est aussi poursuivi : des violences volontaires sans jours d’ITT depuis le début de l’année 2024 et des coups avec un chargeur de téléphone quelques mois plus tôt.

« — Vous reconnaissez les faits ?, demande la présidente du tribunal au prévenu, d’une voix douce quand elle ne s’énerve pas.

— Non, sauf pour le chargeur mais ça ne s’est pas passé comme ça…

— Ça m’est égal », marmonne la juge.

La présidente du tribunal entre dans une longue description des faits qui sont reprochés au prévenu à partir des auditions de sa compagne. Aux policiers, elle a décrit la scène suivante : elle est assoupie sur le canapé, il la réveille en la giflant, elle se réfugie dans la salle de bains et appelle par téléphone l’amie qu’elle héberge et qui est sortie prendre l’air, il casse la porte et lui donne des coups au visage, elle saigne du nez, l’amie hébergée arrive et intervient, Madame A. se réfugie chez la voisine qui la pousse à aller porter plainte. La juge complète : « Lors de l’interpellation, les policiers constatent que la porte de la salle de bains est cassée et qu’il y a du sang par terre.

— Le sang, c’était mon pied, soupire le prévenu.

— (La présidente crie) Je ne vous ai pas autorisé à parler maintenant ! C’est moi qui parle, ok ?

— Oui », répond tout doucement le prévenu, à la manière d’un petit garçon qu’on vient de gronder.

La juge se radoucit aussitôt et continue son monologue. « Je vous le dis comme je le pense, le taux d’alcool mesuré, on ne voit pas ça souvent. 1,05 mg d’alcool par litre d’air expiré ! » Monsieur S. avait bu plus d’un litre de whisky. Puis elle s’attelle à la lecture des procès-verbaux d’audition de la voisine du couple et de l’amie hébergée au moment des derniers faits reprochés. Toutes les deux affirment avoir été témoin d’autres moments où Monsieur S. a été violent envers sa compagne. « Il est violent quand il est bourré mais il est gentil le reste du temps », assure la voisine. L’alcool revient sans cesse dans les différentes auditions et Madame A. assure que son compagnon boit tous les deux jours et qu’elle est l’objet de coups ou d’insultes environ une fois par mois.

Lors de son audition, le prévenu a assuré qu’il ne se souvenait pas d’avoir frappé Madame A. Il l’aurait simplement repoussée, parce qu’elle l’insultait, et aurait juste contenu ses bras pour qu’elle ne puisse pas le frapper, ni se frapper elle-même. Les gabarits des deux protagonistes laissent penser qu’il est facile pour Monsieur S. de contenir Madame A. sans trop d’effort.

« — Monsieur, on a du mal à comprendre comment Madame saigne du nez si vous ne la frappez pas. Et on a plusieurs personnes au-delà de Madame qui disent que vous devenez violent quand vous buvez.

— En tout cas, je ne me rappelle pas l’avoir frappée. Elle a commencé à m’insulter, à insulter ma mère, mes enfants [d’une autre union]. Quand je ne réponds pas, elle me frappe. Je l’ai juste repoussée. Et quand j’ai enfoncé la porte de la salle de bains, elle saignait déjà du nez. Elle a un problème à son piercing et elle vous le dira, si elle veut bien dire la vérité…

— Et les autres moments de violence ?

— L’histoire du câble de téléphone, par exemple. On se chamaillait gentiment. Elle m’a mis des coups de câble alors je l’ai arraché de sa main et je l’ai jeté sur elle, c’est tout. »

La présidente d’audience fait venir Madame A. à la barre, qui confirme ses déclarations à la police et assure que l’alcool transforme son compagnon. La juge interroge la plaignante sur l’après : « Vous envisagez quoi pour la suite ?

— Qu’il se fasse soigner et qu’il arrête de boire.

— Après le procès, il va peut-être sortir de ce tribunal. Est-ce que vous estimeriez adapter qu’il revienne habiter chez vous ce soir ?

— Il a besoin de se soigner et je suis prête à l’aider. »

S’ensuit la délicate question de la constitution de partie civile. À cette plaignante non-francophone, sans avocat et chamboulée par les événements, la présidente d’audience tente d’expliquer les différentes options qui s’offrent à elle en la matière, de la manière la plus neutre possible. Finalement, Madame A. ne souhaite pas se constituer partie civile et assure être prête à pardonner. « Le pardon n’intéresse pas le tribunal », répond la juge qui cache difficilement qu’elle aurait préféré une autre réponse.

Elle interroge ensuite le prévenu sur l’après. Lui aussi souhaite voir durer cette relation.

« — Je suis prêt à me soigner car je l’aime, dit-il.

— Vous savez, l’amour… »

Face à ce prévenu qui n’a qu’une mention au casier pour des faits très anciens (2011), inséré professionnellement et socialement, la procureure requiert dix mois de prison avec sursis probatoire pour deux ans, assorti d’une obligation de soins et d’une interdiction de contact avec la victime, le temps que Monsieur appréhende le problème avec l’alcool. « Madame pourra voir avec le juge de l’application des peines pour faire lever cette mesure », complète la magistrate.

L’avocate du prévenu insiste sur le profil de son client qui est seulement dans un début de violence et qu’il faut aider. « Votre tribunal est là aussi pour accompagner », assure-t-elle en demandant la non-inscription au casier judiciaire et de réduire la peine à six mois plutôt que dix.

Lui utilise ses derniers mots pour adresser un regard à sa compagne – le premier de l’audience – et présenter ses excuses. « Je ferai tous les efforts qu’il faudra », dit-il.

Après une pause d’une heure, les faits sont requalifiés en violences habituelles depuis le début de l’année 2024 et Monsieur S. est condamné au-delà des réquisitions à 16 mois de prison avec sursis pendant deux ans, un stage de sensibilisation aux violences conjugales, une obligation de soins pour l’alcool, l’interdiction de contact et de paraître au domicile de la victime. La demande de non-inscription au casier est refusée.

Dès le verdict prononcé, l’avocate de permanence se précipite vers son client pour lui faire comprendre qu’il n’a plus le droit de contacter sa compagne. « Je dors où ? Je ne vais pas la voir pendant 16 mois ? »

Lui semble sonné, elle pleure.

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