TJ de Bobigny : prison ferme pour l’importation de drogues par l’aéroport de Roissy

Publié le 14/11/2024
TJ de Bobigny : prison ferme pour l’importation de drogues par l’aéroport de Roissy
Paper Trident/AdobeStocl

Les audiences de Messieurs C. et A. se chevauchent et se ressemblent. Le premier est présenté en comparution immédiate pour l’importation de presque 30 kg de cannabis depuis la Malaisie. Le second pour l’importation de 10 kg de cocaïne depuis l’île de Saint-Martin. Face à ces quantités importantes, la procureure requiert 5 et 9 ans de prison ferme.

Grand et costaud gaillard, Monsieur C. est présenté en comparution immédiate à Bobigny pour le transport, la détention et l’importation de 29, 140 kilogrammes d’herbe de cannabis sur le territoire national français. Il a été interpellé lors du contrôle douanier à l’aéroport de Roissy et explique avoir fait ce transport depuis la Malaisie, son pays d’origine et de vie, après avoir été approché par une organisation criminelle pour rembourser ses dettes.

Les instructions lui ont été données étape par étape et c’est dans le taxi qui devait le conduire à l’aéroport de Bangkok qu’il a découvert la marchandise. « On m’a dit que c’était des légumes mais je me doutais bien qu’il y avait de la drogue. Si on me posait des questions, je devais dire que j’étais en France pour les Jeux olympiques », explique-t-il. Monsieur C. reconnaît les faits et va même au-delà : il déclare spontanément avoir effectué un premier transport réussi vers l’Espagne un mois auparavant.

« — Vous avez expliqué faire ce transport pour rembourser une dette de 2 000 euros [lors de la lecture des faits, le juge parlait de 5 000 euros, NDLR]. Quel est le salaire moyen en Malaisie ?, interroge la procureure.

— Environ 1 800 en monnaie malaisienne.

— Ce qui fait environ 400 ou 500 euros.

— Et ce n’est pas assez pour vivre.

— En quelques mois, c’est possible de rembourser 2 000 euros.

— Je voulais bien rembourser petit à petit. Mais il m’a proposé de rendre tout d’un coup ou de faire ce voyage, en me disant que les intérêts allaient augmenter et que je ne pourrai pas rembourser. Il a menacé ma famille. »

Les magistrats passent rapidement sur la personnalité du prévenu malaisien : casier vierge, 23 ans, au chômage, endetté, environnement familial compliqué. Ils veulent ensuite faire état des conclusions des douanes, avant de se rendre compte que leur document est inexact.

« Ça me semble compliqué de continuer… On va mettre le dossier en continuation », indique le juge. L’interprète traduit au prévenu. Monsieur C. échange alors sa place dans le box avec Monsieur A., 19, prévenu, lui aussi, pour le transport, la détention, l’importation de… 10 kilogrammes de cocaïne.

Une nouvelle audience commence, avec quelques airs de déjà-vu.

« — Souhaitez-vous être jugé aujourd’hui ou avoir un délai pour préparer votre défense ?, demande le juge au prévenu, comme il le fait avec chaque prévenu.

— Aujourd’hui, mais j’aimerais être transféré vers chez moi car je ne connais personne ici.

— On va y aller par étapes, répond le juge amusé.

Le président d’audience relate les faits, simples ici aussi : Monsieur A. a été interpellé à son retour de la partie néerlandaise de l’île de Saint-Martin avec de la cocaïne. Les policiers l’ont ciblé spécifiquement, parce qu’il avait été dénoncé.

Fait rare dans ce genre de dossier, le téléphone portable du prévenu a pu être exploité et les enquêteurs ont découvert dedans une vidéo indiquant la marche à suivre pour aller chercher la cocaïne dans le faux plafond des toilettes de l’aéroport de Saint-Martin.

« — Vous voulez nous donner des informations sur les commanditaires ?, demande le juge.

— Non.

— Vous avez été dénoncé.

— Oui.

— La question qu’on peut se poser, c’est quel est l’intérêt du groupe criminel à faire savoir ce transport. Est-ce que vous êtes en concurrence avec d’autres ?

— Je ne pense pas. Je ne suis pas dans une organisation. »

Monsieur A. indique qu’il lui avait été promis entre 18 000 et 20 000 euros pour ce transport et la procureure interroge :

« — Vous avez une idée du prix que vaut la cocaïne ? (Sans attendre la réponse) Environ 65 euros le gramme. Vous aviez conscience du risque encouru ? Par rapport à la justice mais aussi la dette vis-à-vis des commanditaires qui perdent leurs marchandises ?

— C’est moi qui aie pris les risques, pas eux.

— Vous pensez que les commanditaires vont se contenter de ça ? »

Monsieur A. se contente de faire oui de la tête. Le tout jeune homme, déjà condamné pour du trafic de stupéfiant à six mois de prison avec sursis, est en récidive. « C’était du cannabis, de la vente au détail », insiste-t-il.

« On connaît les ravages de la cocaïne et Monsieur A. a accepté le transport de ces doses de mort sur le territoire français », assure la procureure dans ses réquisitions, évoquant aussi les « 650 000 euros » qu’aurait pu percevoir le réseau criminel si l’opération avait été menée à son terme. « Il a agi en toute connaissance de cause, avec son libre arbitre. Ce n’était pas par opportunité, parce qu’il viendrait d’un pays pauvre pour aider sa famille », continue la magistrate, faisant écho à l’audience suspendue du Malaisien, Monsieur C. Compte tenu de la gravité des faits, de la quantité transportée, de la personnalité du prévenu en récidive, la procureure requiert une peine de neuf ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Les douanes n’ont pas fait de demandes.

« Neuf ans avec mandat de dépôt, on oublie un peu qui est Monsieur dans ce trafic ! », rétorque la défense. La ligne de l’avocate est simple : son client est un tout jeune homme à qui on a proposé une somme énorme, il n’a rien organisé du tout, il n’est qu’un pion dans ce trafic. « Je laisse à votre appréciation le quantum de la peine, il est très jeune », termine l’avocate. « Elle a tout dit ou presque. C’est vrai que neuf ans, c’est abusé », conclut Monsieur A.

Durant l’audience de Monsieur A., les douanes ont pu rectifier le document relatif au cannabis importé par Monsieur C. Il reprend sa place dans le box pour assister à la ronde des monologues que lance la procureure : « Là encore, Monsieur C. a volontairement accepté la mission. Il a pris des risques vis-à-vis de la justice et vis-à-vis de sa famille. Il est peu probable que les commanditaires qui ont perdu environ 30 000 euros avec son interpellation le laissent tranquille. » Elle requiert cinq ans de prison avec mandat de dépôt, une interdiction du territoire français pour dix ans et le remboursement de l’amende douanière fixée à 139 349 euros.

Son avocate, qui défendait déjà Monsieur C. « plaide ce qu’on plaide à chaque fois » : on a forcé la main de son client qui a cédé sous la pression et les menaces prononcées à l’encontre de sa famille. « C’est une double peine. Monsieur C. va être incarcéré deux ans j’espère – certainement pas cinq ans – et il va devoir faire face aux commanditaires. »

« Je suis très désolée. J’ai bien conscience que le cannabis peut entraîner des problèmes de santé pour la France », indique le prévenu par la voix de son interprète.

Les juges se retirent pour délibérer sur ces deux affaires.

Monsieur C. est condamné à trois ans de prison avec mandat de dépôt, l’amende douanière est fixée à 139 343 euros et il est interdit de séjour sur le territoire français pour 10 ans. Il est abattu et se contente de faire non de la tête aux questions de juge pour préparer son incarcération.

Monsieur A. est condamné à sept ans de prison avec mandat de dépôt.

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