TJ de Créteil : « Il reste beaucoup de chemin à parcourir dans l’éducation des hommes, surtout quand ils viennent du Pakistan »

Publié le 09/09/2024
TJ de Créteil : « Il reste beaucoup de chemin à parcourir dans l’éducation des hommes, surtout quand ils viennent du Pakistan »
Valeriia/AdobeStock

Monsieur M. est présenté devant les juges du tribunal judiciaire de Créteil pour avoir agressé sexuellement une femme dans le parc de Choisy et donné des coups à son mari. Malgré son casier vierge, il est présenté en comparution immédiate en raison de sa situation irrégulière en France et risque gros : le parquet requiert dix mois de prison avec mandat de dépôt.

Pour la dernière audience de la journée, les bancs de la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil se sont vidés : il n’y a plus que les magistrats, les avocats de la défense et des parties civiles, le prévenu, son interprète et une journaliste.

« — Sauf si ma mémoire me fait défaut, nous nous étions vus le 14 mai dernier et vous m’aviez promis qu’on ne se reverrait plus jamais ?, entame le juge.

— Oui.

— Pourquoi êtes-vous là ?

— C’est à cause de mon addiction à l’alcool… »

Plus précisément, Monsieur M., 32 ans, est accusé d’avoir agressé sexuellement une femme dans le parc de Choisy, d’avoir ensuite donné des coups à son mari et d’avoir fait usage de cannabis en récidive.

Le président du tribunal en vient aux déclarations de Madame G., qui raconte la scène suivante : après avoir passé un moment avec des proches au parc de Choisy, elle décide de rentrer chez elle et commence à marcher pour sortir du parc. Au bout de quelques pas, elle se sent suivie et se retourne au moment où Monsieur M. aurait touché avec sa main ses parties génitales en insistant sur ses fesses, sans pénétration. Elle assure lui avoir donné un coup de poing dans l’épaule, ce à quoi il aurait répondu : « Je te veux, toi. » Madame G. appelle aussitôt son mari resté dans le parc, il accourt et aurait été la cible de coups de Monsieur M. : « Il a continué à venir vers mon mari qui l’a repoussé avec ses poings. » Le couple appelle la police, qui interpelle Monsieur M., très alcoolisé (0,83 mg d’alcool par litre expiré quand il souffle dans le ballon).

Examinée par un médecin des unités médico-judiciaire, elle reçoit six jours d’ITT en raison des répercussions psychologiques de ce qu’il s’est passé : elle explique notamment avoir été agressée sexuellement quelques années plus tôt et que la situation « ravive des souffrances ». Son mari reçoit un jour d’ITT pour une douleur au poignet.

Le président du tribunal demande au prévenu quelle est sa version des faits. Il commence à raconter une tout autre scène, expliquant qu’il a juste dit à cette femme, « habillée très court », qu’elle était « très belle ». Il semble rechercher dans sa mémoire et ajoute ensuite : « Peut-être que je l’ai touchée, j’étais alcoolisé. » L’air sincèrement peiné d’être là, le prévenu en vient ensuite à la rencontre avec Monsieur G. : « Je sors du parc, parce que je devais prendre le bus. Je suis sur mon téléphone, il y a un gars qui vient par-derrière. Il me demande si j’ai touché sa femme et me donne un coup de poing.

— Vous faisiez quoi sur votre téléphone ? demande le président de séance.

— Je regardais une chanson sur Youtube.

— Dans la fouille du téléphone, les enquêteurs sont tout de suite tombés sur une application de videochat avec des jeunes femmes dénudées et avenantes (Le prévenu fait non de la tête et agite ses mains dans un geste d’impatience mais le juge poursuit). Quand on voit ça, on peut imaginer que quand vous voyez cette jeune femme passer, vous vous dites qu’elle aussi est avenante ?

— Non, c’est hors de question, traduit l’interprète. Puis il ajoute, dépité : Il ne me laisse pas traduire…

— On a trouvé d’autres sites avec des photos de jeunes femmes, poursuit le juge.

— Ok, j’assume.

— C’est ce que vous regardiez quand vous étiez assis sur le banc ?

— Non. »

L’avocat de la défense pose deux dernières questions à son client, qui ont le mérite de clarifier la situation :

— « Est-ce que vous reconnaissez avoir mis une main aux fesses de cette dame ?

— Oui.

— Si Monsieur G. et Madame G. étaient là, que souhaiteriez-vous leur dire ?

— Que j’ai commis une erreur et leur demande pardon. »

Le casier judiciaire de Monsieur M. ne fait mention d’aucune condamnation mais il est passé devant le même juge un mois auparavant pour usage illicite de stupéfiant (300 euros d’amende). Sans domicile et en situation irrégulière en France, il assure vouloir quitter le pays pour rejoindre l’Espagne.

Après cet aperçu de sa personnalité, place à la plaidoirie de l’avocate des parties civiles. « Je remercie mon confrère d’avoir tendu la perche à Monsieur pour qu’il présente ses excuses et je transmettrai », commence-t-elle. La conseille insiste sur « l’état de choc » dans lequel se trouve sa cliente, encore aujourd’hui, quelques jours après les faits : elle ne cesse de pleurer et enrage de ne pouvoir protéger d’autres victimes éventuelles. Au nom de Madame G., l’avocate sollicite une indemnisation de 3 000 euros, qui serviront à payer le suivi psychologique. Quant aux demandes de Monsieur G., blessé physiquement mais surtout moralement, de « ne pas avoir réussi à protéger sa femme », elles se chiffrent à 1 000 euros. Une somme bien inférieure justifiée de la plus étrange des manières par l’avocate :

« — Le préjudice de Monsieur est moins fort, parce que c’est un homme, il est plus fort, a plus de recul.

— J’aime vous l’entendre dire », commente le président de séance.

S’ensuivent les réquisitions de la procureure, « soulagée par ces aveux, certes poussifs ». Elle requiert dix mois de prison avec mandat de dépôt pour permettre à Monsieur M. « de réfléchir » et parce que le risque de réitération est selon elle majeur. « Dans l’intérêt de la société », la magistrate demande également une interdiction de territoire français.

La parole est enfin à l’avocat de la défense. Il se lève et commence : « Il reste beaucoup de chemin à parcourir dans l’éducation des hommes, surtout quand ils viennent du Pakistan. Celui-là est le fruit d’un système patriarcal, de cette culture où on pratique encore le mariage forcé. » Le conseil développe sa ligne de défense pendant plusieurs minutes, axant son propos sur l’écart culturel entre les lois du pays où Monsieur M. est jugé et les coutumes de son pays d’origine. Pour susciter l’empathie vis-à-vis de son client, il évoque aussi sa « vie sexuelle frustre » à partir d’éléments très concrets : il avait 25 ans quand il a eu sa première relation sexuelle – avec une prostituée – et son dernier rapport remonte à plusieurs mois déjà. L’avocat assure que son client a désormais bien compris la leçon qu’il résume maladroitement : « Il faut d’abord aborder la personne avant de la toucher. » Le conseil demande une peine moins lourde, avec du sursis simple auquel son client est éligible, et la relaxe concernant les violences contre Monsieur G. Pour aider Monsieur M. à mieux « maîtriser ses pulsions sexuelles » et soigner son addition à l’alcool, il demande également une obligation de soins.

Après une pause pour délibérer, le tribunal déclare Monsieur M. coupable des trois infractions (agression sexuelle, violences, usage de cannabis) et le condamne à huit mois de prison avec mandat de dépôt, ainsi qu’une interdiction de séjour sur le territoire français pendant dix ans. Il devra verser respectivement 2 000 et 200 euros à Madame G. et Monsieur G.

« — Mais je suis incapable de payer, semble sincèrement regretter le prévenu.

— Il y a un organisme, le Sarvi, qui va payer pour vous et si vous restez en France, vous devrez rembourser.

— Et après les huit mois de prison, je serai expulsé ?

— C’est une autre administration qui s’occupe de ça.

— Je comprends, vous avez fait votre travail… »

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