TJ de Nanterre : « La prison ça sert à rien, je vais sortir plus dangereux que je suis rentré » !

Publié le 06/06/2024

Man in prison hands of behind hold Steel cage jail bars. offende

Des morsures, des coups, un balai fracassé : pour de graves violences sur sa compagne, un homme aux lourds antécédents médicaux a été présenté en comparution immédiate au tribunal judiciaire de Nanterre.

Monsieur E. est introduit dans le box de la 16e chambre correctionnelle, une expression dure et tendue sur son visage. Il scrute la salle. La victime n’est pas présente. Deux jours plus tôt, il a été interpellé pour des violences perpétrées au domicile de sa compagne, N., à Gennevilliers. Il est présenté pour ses faits, mais aussi pour des violences commises contre elle entre le 18 avril 2018 et le 31 mars 2024.

Le juge fait la lecture des faits : en fin de journée, N. a tenté de réveiller son compagnon pour la rupture du jeûne. Ce dernier l’a alors accusé de lui avoir dérobé de l’argent. La dispute a viré au déchaînement de violences : des coups, des morsures, et même un balai fracassé sur elle. Après s’être réfugiée au commissariat, N. a raconté que les violences sont régulières. Elle parle d’hématomes et de trauma crâniens. Ces violences ne sont pas que physiques, elle essuie des insultes, des reproches de façon quasi quotidienne, des menaces de mort, des crachats. Le juge fait défiler les photos du dossier sous ses yeux, qu’on devine particulièrement éloquentes. Côté enquête de voisinage, une seule personne affirme avoir entendu souvent des bagarres et des disputes.

« Ah, je suis pas sorti de l’auberge ! »

Placé en garde-à-vue, Monsieur E. s’est montré peu coopératif, menaçant de tout casser et de passer l’ordinateur par la fenêtre. Il a cependant reconnu les faits récents, ainsi qu’une partie des faits antérieurs. N. n’a pas souhaité se rendre à l’unité médico-judiciaire pour faire évaluer son nombre de jours d’ITT. « Qu’en dites-vous ? », s’enquit le juge. Le prévenu hoche la tête : « Ça s’est passé comme elle l’a dit ». Il évoque le déclencheur de la dispute, l’argent « qu’il gagne à la sueur de son front », sa difficulté à maîtriser sa colère.

D’origine libanaise, Monsieur E. est connu en France sous sept alias. Il a en outre seize mentions à son casier judiciaire, principalement pour des vols, des violences, ainsi qu’une exhibition sexuelle. Fait peu commun, que ne manque pas de relever le juge, il est aussi indiqué qu’il a voulu faire dérailler un train.

C’est aussi le parcours médical du prévenu qui est examiné : sous tramadol et sous prégabaline, Monsieur E. a déjà été en cure de désintoxication et a reçu un suivi psychiatrique et un autre pour ses addictions. « Ah, je suis pas sorti de l’auberge ! », confirme Monsieur E. Le procureur tente d’en savoir plus sur la façon dont ses traitements ont pu intervenir dans les violences commises. « Ce n’est pas une excuse, mais bien sûr que ça joue. Le ramadan et la prégabaline ont pu créer un mélange explosif. Au dépôt, vous avez dit avoir avalé une lame de rasoir. » Le prévenu s’étonne mollement : « Je suis malade, je sais pas pourquoi j’ai dit ça. »

« Non la détention ne soigne pas, ne sèvre pas »

Dans ses réquisitions, le ministère public insiste à nouveau sur les violences difficilement soutenables subies par N. : « Il y a les traces de morsures, les coups de la tête aux pieds, et il y a une victime qui brille par son absence, qui n’a plus envie de vivre avec Monsieur. Je suis désolé qu’elle ait trop peur pour aller aux UMJ ou venir à l’audience. Imaginez, mettons-nous à la place de la victime. Il est en manque, pas content, il manque 50 euros, il dégoupille au point de vous mordre, il fracasse un balai sur vous. La finalité, ce n’est pas sa culpabilité, mais comment sanctionner cette violence-là. Il est malade, pas bien, mais c’est sa responsabilité, lui-même le dit, ça ne justifie rien. » Il requiert deux ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt, dont un avec sursis probatoire avec obligation de soins, interdiction de rentrer en contact avec la victime et de se présenter à son domicile, ainsi qu’un stage de sensibilisation aux violences sexistes.

« On vient reprocher à Monsieur des faits allant de 2018 à 2024 malgré l’absence totale d’éléments sur cette période, regrette l’avocate de la défense. Pas de photos, pas de témoignages, on ne peut pas condamner. Je demande la relaxe. » Elle demande de ne retenir que les faits les plus récents. « Le ministère public a tiré des conclusions de l’absence de la victime à l’audience, parce qu’elle a trop peur, ou juste parce qu’elle n’a pas envie d’en parler de nouveau. On n’en a pas la certitude. Les faits sont suffisamment graves pour ne pas avoir à tirer des théories sur cette absence. » La défense conteste enfin la nécessité d’incarcérer Monsieur E. : « Non la détention ne soigne pas, ne sèvre pas, ne permet pas de voir un psychologue. Ce n’est pas une solution aux problèmes d’addiction, c’est surprenant d’avoir à le rappeler ici à Nanterre. » Elle rappelle que son client s’est vu refuser ses médicaments au dépôt, qu’il a attendu toute la journée un médecin.

Avant d’être emmené, Monsieur E. confie qu’il espère ne pas être à nouveau conduit en détention : « La prison ça sert à rien, je vais sortir plus dangereux que je suis rentré. » Au délibéré, le juge déclare la relaxe partielle pour les faits allant de 2018 à mars 2024. Pour le surplus, il prononce une condamnation à deux ans d’emprisonnement. « Ferme ? Je peux faire appel, chef ? », demande Monsieur E. En l’espace d’une seconde, lui qui jusque-là n’avait pas montré d’agitation, explose et donne un grand coup dans la vitre du box. Le bruit fait sursauter toute la salle. Trois hommes tentent de le maîtriser tandis qu’il se débat, et le sortent tant bien que mal du box. Ses cris retentissent longtemps par la porte du box laissée entrouverte.

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